Droit social – Lettre n°5

L’essentiel

Voici une nouvelle actualité de la jurisprudence de la Cour de cassation qui va intéresser les praticiens du contentieux prud’homal. Elle est riche de précisions apportées en diverses matières : la période de protection attachée à la maternité (1), l’obligation de reclassement (2, 4), l’indemnisation du licenciement abusif (5, 6, 7), la convention de forfait (8, 9) la détermination de la rémunération variable (10, 11) et les suites de l’annulation de l’autorisation du licenciement du salarié protégé (12, 13). Un revirement de jurisprudence est toutefois à noter : les congés payés sont acquis pendant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et la réintégration du salarié (3). Enfin, cinq arrêts importants ont été rendus dans le contentieux prud’homal (14). Bonne lecture !

Rupture du contrat de travail

1 – Précision sur la période de protection attachée à la maternité

Soc. 1er décembre 2021, FP-B, n° 20-13.339

L’on sait que l’interdiction de licencier une salariée en situation de grossesse couvre toute la durée du congé maternité, les congés payés accolés au congé et maternité, et se poursuit pendant une période de dix semaines à compter du retour de la salariée, dite période de protection “relative” durant laquelle l’employeur peut néanmoins rompre le contrat s’il justifie d’une faute grave non liée à l’état de grossesse, ou si le maintien du contrat est impossible pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement (art. L. 1225-4 CT).

La question se posait de savoir si une salariée dont le contrat de travail est suspendu pour maladie à l’issue de son congé maternité pouvait invoquer le bénéfice de la protection “absolue” qui prend normalement fin au terme du congé maternité.

La réponse nous est livrée par cet arrêt : si la pose de congés payés suivant immédiatement le congé maternité a pour effet de reporter le point de départ de la période de protection relative de dix semaines à la date de reprise effective du travail, tel n’est pas le cas de l’arrêt maladie. Ainsi, dès lors que le congé maternité prend fin, l’employeur est admis à rompre le contrat de travail s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée non liée à son état de grossesse.

2 – Licenciement économique : l’employeur peut proposer le poste refusé

Soc. 24 novembre 2021, F-D, n° 20-12.616

Dans le cadre du licenciement pour refus de la proposition d’une modification du contrat de travail pour motif économique, l’employeur reste tenu de son obligation de reclassement, et peut proposer au salarié éventuellement le même poste en exécution de cette obligation.

3 – Licenciement nul : revirement de jurisprudence concernant l’acquisition de congés payés pendant la période d’éviction

Soc. 1er décembre 2021, FP-B+R, n° 19-24.766

Par cet arrêt, la Cour de cassation se rallie à la position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 25 juin 2020, aff. C-762/18 et aff. C-37-19), et procède à un revirement de jurisprudence : il y a lieu de juger désormais que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés, en application des dispositions des articles L. 3141- 3 et L. 3141-9 du code du travail, durant la période d’éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant cette période.

4 – Suspension abusive du contrat de travail du salarié inapte

Soc. 4 novembre 2021, F-D, n° 19-18.908

Un salarié déclaré inapte avait refusé les propositions de reclassement de son employeur, et ce dernier l’avait maintenu délibérément dans une situation d’inactivité forcée au sein de l’entreprise, dans l’attente de son reclassement sans aucune évolution possible. L’arrêt a jugé que ce comportement, qui consistait à suspendre abusivement le contrat de travail, constituait un manquement suffisamment grave justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail prononcée aux torts de l’employeur.

La solution est claire : l’employeur doit tirer les conséquences du refus du salarié inapte d’accepter plusieurs propositions de reclassement, soit en formulant de nouvelles propositions soit en procédant au licenciement, et il ne peut ainsi se contenter de poursuivre le paiement des rémunérations auquel il est légalement tenu.

5 – L’indemnité de préavis est due en cas de licenciement abusif pour absence prolongée pour maladie

Soc. 17 novembre 2021, FS-PB, n° 20-14.848

Un licenciement avait été prononcé pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif du salarié. Le juge qui décide que ce licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, doit accorder au salarié – qui le demande – l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, nonobstant l’arrêt de travail pour maladie au cours de cette période.

6 – L’indemnité pour licenciement abusif : le barème Macron s’entend en brut

Soc. 15 décembre 2021, FS-B, n° 20-18.782

Dans cet arrêt, la Cour de cassation décide sans surprise que le barème d’indemnités obligatoire prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant les ordonnances Macron, est exprimé en mois de salaire brut, comme le prévoit expressément cette disposition.

Dans cette affaire, la Cour de cassation n’a pas été appelée à se prononcer sur la possibilité pour le juge d’écarter l’application de ce barème dans le cas où ce dernier ne permettrait pas d’assurer au salarié une réparation adéquate compte tenu de sa situation particulière et concrète comme l’ont admis certaines cours d’appel (ex : CA Paris 16 mars 2021, n° 19/08721). L’on attend donc avec intérêt les prochaines décisions de la Haute Cour sur ce point.

7 – Précision sur la base de rémunération servant au calcul des indemnités de rupture

Soc. 8 décembre 2021, FS-B, n° 20-11.738

Le montant des indemnités de rupture doit être déterminé sur la base de la rémunération perçue par le salarié dont peuvent seulement être déduites les sommes représentant le remboursement de frais exposés pour l’exécution du travail. Par conséquent, les sommes prélevées par l’employeur au titre de l’impôt sur le revenu dû par le salarié ne pouvaient être exclues de la rémunération pour le calcul des sommes dues à titre d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Durée du travail

8 – La convention de forfait doit mentionner les heures supplémentaires incluses dans la rémunération

Soc. 15 décembre 2021, FS-B, n° 15-24.990

La seule fixation d’une rémunération forfaitaire, sans que ne soit déterminé le nombre d’heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait. En conséquence, le salarié a pu obtenir de la cour d’appel, la condamnation de l’employeur à lui verser diverses sommes à titre de rappel de salaire, congés payés afférents et dommages-intérêts au titre de la contrepartie en repos, sans que l’employeur ne puisse opposer que la convention collective prévoyait la possibilité de convenir d’une rémunération annuelle forfaitaire couvrant l’intégralité des heures de travail.

9 – Précisions sur les conséquences d’une irrégularité conventionnelle en matière de garantie des forfaits en jours

Soc. 17 novembre 2021, FS-B, n° 19-16.756

De solution classique, le salarié peut revendiquer la nullité de la clause relative au forfait en jours et prétendre à ce que les heures accomplies au-delà de la durée légale lui soient rémunérées comme des heures supplémentaires, lorsque les dispositions relatives au forfait en jours de la convention collective applicable ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail du salarié restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, et donc à assurer la protection de sa sécurité et de sa santé.

Dans l’arrêt, la Cour de cassation applique cette solution. L’intérêt de l’arrêt tient au fait que la Haute Cour a écarté le moyen de l’employeur, qui avait fait valoir que la clause de forfait en jours était conforme à l’état de la jurisprudence au moment de sa conclusion, de sorte qu’il n’y avait pas vocation à faire application de la jurisprudence actuelle à une convention de forfait conclue antérieurement aux premiers arrêts rendus par la Cour de cassation qui déclaraient nulles les clauses de forfait annuel en jours consenties sur la base de la convention collective irrégulière. Mais, pour écarter ce moyen, la Cour de cassation a retenu que la norme jurisprudentielle applicable au temps du litige ne constituerait pas un revirement de jurisprudence. Il faut donc retenir que l’argument de l’employeur aurait pu être approprié en cas de revirement effectivement appliqué. L’on attend donc avec intérêt une prochaine décision de la Cour de cassation pour connaitre sa position.

Salaire

10 – Rémunération variable : elle est due intégralement en l’absence de concertation sur les objectifs annuels

Soc. 4 novembre 2021, F-D, n° 19-21.005

La cour d’appel, qui a constaté que l’employeur avait manqué à son obligation contractuelle d’engager chaque année une concertation avec le salarié en vue de fixer les objectifs dont dépendait la partie variable de la rémunération, a décidé à bon droit que la rémunération variable contractuellement prévue devait être versée intégralement pour chaque exercice.

11 – Rémunération variable : il appartient à l’employeur de démontrer que les objectifs qu’il a fixés au salarié étaient réalisables

Soc. 15 décembre 2021, FS-B, n° 19-20.978

Un salarié engagé en 2013 en qualité de responsable régional des ventes d’une entreprise avait pris acte en 2016 de la rupture de son contrat de travail pour plusieurs manquements de son employeur. Parmi ces manquements, son contrat de travail prévoyait une rémunération variable dépendant d’objectifs qui étaient, selon le salarié, non réalisables. La Cour de cassation admet que la rémunération variable au titre de l’exercice 2013 était due dès lors que l’employeur ne produisait aucun élément de nature à établir que les objectifs qu’il avait fixés au salarié pour l’année 2013 étaient réalisables.

Salarié protégé

12 – Le harcèlement moral commis par un salarié protégé peut rendre impossible sa réintégration

Soc. 1er décembre 2021, FP-B, n° 19-25.715

Lorsqu’un salarié protégé a été licencié sur autorisation administrative, mais que cette décision est annulée par le ministre ou le juge administratif, il peut demander sa réintégration dans l’entreprise. Cette réintégration est une obligation pour l’employeur, qui ne peut s’y soustraire qu’en cas d’impossibilité absolue.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation juge pour la première fois, que l’opposition des collègues victimes du harcèlement moral commis par le salarié protégé peut caractériser une telle impossibilité, en raison de l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur à l’égard de son personnel.

13 – Concours entre demande de résiliation judiciaire et autorisation de licenciement annulée sans réintégration

Soc. 10 novembre 2021, FS-B, n° 20-12.604

Le contrat de travail du salarié protégé, licencié sur le fondement d’une autorisation administrative ensuite annulée, et qui ne demande pas sa réintégration, est rompu par l’effet du licenciement et lorsque l’annulation est devenue définitive, le salarié a droit, d’une part, en application de l’article L. 2422-4 du code du travail, au paiement d’une indemnité égale à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et l’expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision d’annulation, d’autre part, au paiement des indemnités de rupture, s’il n’en a pas bénéficié au moment du licenciement et s’il remplit les conditions pour y prétendre, et de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail, s’il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse. Ces dispositions font obstacle à ce que la juridiction prud’homale se prononce sur la demande de résiliation judiciaire formée par le salarié protégé, même si sa saisine est antérieure à la rupture.

Ainsi, il est rappelé que le juge judiciaire saisi d’une demande de résiliation judiciaire ne peut plus se prononcer si, depuis la demande de résiliation, le salarié protégé a été licencié après autorisation administrative, y compris lorsque cette autorisation a été annulée. Si le salarié ne demande pas sa réintégration, comme c’est le cas dans cette affaire, le contrat est alors rompu par l’effet du licenciement avec les conséquences de droit. A contrario, si le salarié demandait sa réintégration, son contrat de travail serait rétabli et se poursuivrait, ce qui autoriserait de nouveau le juge judiciaire, à se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire.

Contentieux prud’homal

14 – Cinq arrêts à retenir :

Soc. 1er décembre 2021, F-PB, n° 20-13.339

Les demandes formées par le salarié au titre d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, puis, en appel, d’un licenciement nul, tendent aux mêmes fins, à savoir l’indemnisation des conséquences de son licenciement qu’il estime injustifié. Par conséquent, la demande en nullité du licenciement présentée en appel est recevable.

Soc. 10 novembre 2021, F-D, n° 19-24.375

L’évolution du litige impliquant la mise en cause d’un tiers devant la cour d’appel n’est caractérisée que par la révélation d’une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

Soc. 10 novembre 2021, F-D, n° 19-22.407

Un salarié, défenseur syndical, partie à une instance prud’homale, ne peut pas assurer sa propre représentation en justice.

Civ. 2e, 16 décembre 2021, F-B, n° 20-12.000

Selon l’article 83 du code de procédure civile, lorsque le juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues, notamment, par l’article 85 du même code. Aux termes de ce dernier texte, l’appel est instruit ou jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction, dont émane le jugement frappé d’appel, imposent la constitution d’avocat, ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l’article 948 relatif à la fixation prioritaire dans la procédure sans représentation obligatoire.

La Cour de cassation prend une position claire : en matière prud’homale, même s’il est prévu une procédure spécifique de représentation puisque que la partie peut se faire représenter par un avocat mais également par un défenseur syndical, la représentation est obligatoire. Il en résulte que l‘appel d’un jugement prud’homal statuant sur la compétence est instruit comme en matière de procédure à jour fixe, et non selon l’article 948 du code de procédure civile.

Soc. 8 décembre 2021, FS-B, n° 19-22.810

En matière prud’homale, lorsque la partie intimée a constitué un défenseur syndical pour la représenter, et que cette constitution a été portée à la connaissance de l’avocat de l’appelant avant que celui-là a remis ses conclusions au greffe de la cour d’appel, l’appelant doit alors notifier ses conclusions d’appelant au défenseur syndical, dans le délai de remise au greffe, sans profiter du délai supplémentaire d’un mois de l’article 911. Ayant notifié ses conclusions passé le délai de trois mois de sa déclaration d’appel, la déclaration d’appel encourt la caducité, quand bien même les conclusions ont effectivement été notifiées au défenseur syndical dans le délai d’un mois de l’article 911.

A noter que s’agissant d’une notification par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification, il existe un différé entre l’envoi et la remise qui oblige à anticiper tout envoi destiné à un défenseur syndical.

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