Responsabilité bancaire

Droit commercial général & droit bancaire – Lettre n°8

L’essentiel

Voici un panorama des décisions de la chambre commerciale de la Cour de cassation, particulièrement riches en droit commercial général et de droit bancaire.

En droit commercial général, la Haute juridiction reconnait que la SPA puisse avoir été victime de parasitisme de la part d’autres associations, peu important que victimes et auteurs ne poursuivent pas un but économique (1). Par ailleurs, Elle se prononce sur les conséquences de violations multiples commises par une plateforme de VTC en matière de droit du travail, droit des transports et droit de la consommation : mises ensemble, ces violations faussent la concurrence et offrent à l’opérateur un avantage concurrentiel déloyal (2). Une banale affaire de cession de parts sociales, permet à la Cour de cassation de rappeler les principes régissant l’exception de nullité et le commencement d’exécution d’une obligation sous conditions suspensives (3). Le déséquilibre significatif, issu du droit commun de l’article 1171 nouveau du code civil, s’applique aux contrats de location financière conclus entre commerçants (4). Enfin, l’étendue de l’obligation de couverture d’une sous-caution a été précisée par la Cour de cassation (5).

En droit bancaire, en matière de prescription de l’action récursoire intentée par un acquéreur condamné, à l’encontre de son banquier lui ayant accordé un crédit disproportionné, la Cour de cassation transpose la solution classique relative au point de départ de la prescription (6). Elle limite le devoir d’information du banquier en matière d’ouverture de PEA (7). La chambre commerciale a également tiré les conséquences de la question préjudicielle qu’elle avait posée à la CJUE en matière de services de paiement : la caution de l’utilisateur peut agir contre la banque, sur le fondement du droit commun, concernant des opérations de paiement non autorisées (8). Enfin, la Haute juridiction a réaffirmé l’irrévocabilité de l’inscription en compte d’un virement que l’établissement bancaire ne peut contrepasser sans l’accord de son client, quand même ce virement serait le produit d’une fraude (9).

DROIT COMMERCIAL GENERAL


1 – Agissement parasitaire : victimes et auteurs œuvrant pour des causes non lucratives

Com. 16 février 2022, FS‑B, n° 20‑13.542

L’arrêt rappelle que l’action en parasitisme, fondée sur l’article 1382 devenu 1240, du code civil, implique l’existence d’une faute commise par une personne au préjudice d’une autre. L’intérêt de l’arrêt est de préciser que cette action peut être mise en œuvre quels que soient le statut juridique ou l’activité des parties, dès lors que l’auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements.

En l’espèce, la Société protectrice des animaux (SPA) qui avait lancé une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, a été reconnue victime de parasitisme de la part d’autres associations à but non lucratif qui avaient détourné ses affiches sur leurs sites internet, pour faire passer leur message au profit de leur propre cause notamment l’opposition à la GPA et à la PMA.

Le parasitisme peut ainsi être invoqué et/ou commis par des personnes morales qui ne poursuivent pas un but économique.


2 – Pratiques concurrentielles déloyales par une plateforme de VTC

Com. 12 janvier 2022, FS‑B, n° 20‑11.139

Dans cette affaire, une société gestionnaire d’une centrale de réservation de taxis en région parisienne, a exploité également de 2011 à 2017 une activité de voitures de transport avec chauffeur (VTC) et proposait la réservation des VTC via une application pour smartphone. Aux fins de faire de cesser des pratiques de concurrence déloyale, elle a agi contre une société exploitant une plateforme de mise en relation d’exploitants de VTC avec des clients, au moyen d’une application pour smartphone.

L’arrêt retient que les violations multiples, par la plateforme de VTC, du droit du travail, du droit des transports et du droit de la consommation, conduisent à lui offrir un avantage concurrentiel, issu de pratiques commerciales déloyales. Notamment, les chauffeurs se trouvaient sous la subordination de la plateforme qui ne se contentait pas de leur fournir une mise en relation informatique avec les clients, mais constituait un service global de transport absorbant toute liberté d’exploitation des partenaires. C’est aussi l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler qu’un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale, générateur d’un trouble commercial, fût-il seulement moral.


3 – Exception de nullité, commencement d’exécution et réalisation de la condition suspensive

Com. 19 janvier 2022, F‑B, n° 20‑14.010

L’affaire était banale : deux sociétés avaient convenu d’une cession de la totalité des parts sociales d’une SARL, sous conditions suspensives tenant au remboursement échelonné de la SARL du solde créditeur des comptes courants détenus par le promettant. La venderesse a finalement refusé de céder leurs parts. La société bénéficiaire de la promesse l’a assignée et, pour paralyser l’action, la société promettante a argué de la nullité de la promesse pour vileté du prix et absence de cause.

La cour d’appel a décidé que l’exception de nullité soulevée par le promettant ne pouvait pas prospérer puisque les conditions suspensives avaient été réalisées du fait du remboursement des comptes courants. Le promettant se pourvoit en cassation en reprochant à l’arrêt attaqué d’avoir confondu exécution de l’obligation et réalisation d’une condition suspensive.

L’arrêt commenté rappelle un principe classique en droit civil : l’exception de nullité est perpétuelle, mais elle ne peut être invoquée, pour paralyser l’action du créancier d’une obligation, que si celle‑ci n’a pas fait l’objet d’un commencement d’exécution. Pour la Haute juridiction, l’accomplissement d’une condition suspensive, laquelle ne constitue pas l’objet de l’obligation, ne caractérise pas une exécution, même partielle, de l’obligation, de sorte que l’exception de nullité de celui-ci peut être invoquée. L’arrêt de la cour d’appel est donc cassé pour avoir jugé que la condition suspensive de remboursement des comptes courants ayant été levée, il existait un commencement d’exécution, alors que la condition suspensive constitue une modalité de l’obligation ne marque pas son exécution.


4 – La location financière fait encore parler d’elle : à propos du déséquilibre significatif

Com. 26 janvier 2022, F-B, n° 20-16.782

L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit à l’article 1171 du code civil, la notion de déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion : toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.

Pour les besoins de son activité, une entreprise de restauration rapide signe un contrat de location de matériel avec une société de financement. A la suite de loyers impayés, le loueur met en œuvre la clause résolutoire de plein droit prévue au contrat. Le locataire oppose l’existence d’un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations.

La Cour de cassation décide que le déséquilibre significatif peut affecter un contrat de location financière, quand même il aurait été passé entre commerçants, dès lors qu’il ne relève pas de l’article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, soit des pratiques restrictives de concurrence. Cet arrêt permet de clarifier l’articulation des textes, entre fondement de droit commun du déséquilibre significatif et textes spéciaux. En l’occurrence, la location financière ne relevant pas des textes régissant les pratiques restrictives de concurrence, c’est le droit commun qui devait s’appliquer.


5 – Garantie extrinsèque et étendue dans le temps de sous-cautionnements

Com. 9 février 2022, F‑B, n° 19‑21.942

Cet arrêt précise l’étendue de l’obligation de couverture de sous-cautions à une garantie extrinsèque accordée en matière VEFA. Il s’appuie sur la distinction classique opérée, en matière de cautionnement, entre obligation de couverture et obligation de règlement.

La Cour de cassation rappelle quelques principes applicables en matière de sous-cautionnement : l’obligation de la sous‑caution est de garantir la caution contre le risque de défaillance du débiteur principal (soit de ne pas pouvoir récupérer les sommes que la caution a payées à sa place), en sorte que son obligation prend naissance à la date de l’obligation principale (en l’occurrence les VEFA) et couvre l’intégralité des sommes concernées, peu important leur date d’exigibilité. Bref, la sous-caution doit garantir la caution, peu important que des paiements aient été effectués par celle-ci après l’expiration de la période de couverture prévue aux sous-cautions.

DROIT BANCAIRE


6 – Prescription de l’action récursoire intentée contre une banque pour octroi abusif d’un crédit

Com. 9 février 2022, F‑B, n° 20‑17.551

Cet arrêt rappelle les principes applicables à la prescription en matière d’action récursoire. L’espèce était banale : un particulier avait souscrit une promesse d’achat d’un bien immobilier, sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt qui lui a été accordé par le Crédit agricole. L’acquéreur a cependant refusé de régulariser la promesse, en estimant que le prêt dépassait ses capacités de remboursement. Les vendeurs et l’agence immobilière l’ont donc assigné en réparation de leurs préjudices respectifs et l’acquéreur a été condamné à indemnisation. Et – c’est là que l’affaire devient originale –, l’acquéreur s’est ensuite retourné contre la banque, pour mettre en jeu la responsabilité de celle-ci, dans l’octroi d’un prêt qui n’était pas proportionné à ses capacités financières et obtenir l’indemnisation des préjudices qu’il avait subis, en suite des condamnations prononcées à son encontre. S’est alors posée la question de la prescription.

Au visa de l’article 2224 du code civil, la Cour de cassation a transposé à l’espèce une solution désormais classique en matière de prescription et d’action récursoire : la prescription n’avait pu courir que du jour où l’acquéreur avait été recherché par les vendeurs et l’agence immobilière par voie d’assignation.


7 – PEA et devoir d’information limité du banquier

Com. 9 février 2022, FS‑B, n° 20‑16.471

Cet arrêt limite le devoir d’information du banquier en matière de PEA. La chambre commerciale retient que, dès lors que l’article 1er du décret n° 92-797 du 17 août 1992 prescrit que l’ouverture d’un PEA doit faire l’objet d’un contrat écrit et mentionne qu’un contribuable ne peut en ouvrir qu’un seul, la seule obligation qui repose sur le banquier est de proposer la souscription d’un tel contrat, comportant la mention visée. Cet arrêt précise également qu’il incombe au souscripteur de rapporter la preuve de la défaillance de l’établissement de crédit à cet égard.

A l’heure où les établissements de crédit voient leur devoir d’information et de conseil accru, cet arrêt apporte une limitation bienvenue, en matière d’ouverture de PEA et d’obligations fiscales du souscripteur.


8 – Opérations de paiement non autorisées : la caution peut agir contre la banque sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun

Com. 9 février 2022, FS‑B, n° 17‑19.441

Par cet important arrêt, la Cour de cassation a posé en principe que les articles L. 133-18 et L. 133-24 du code monétaire financier (qui prescrivent le remboursement immédiat des opérations de paiement non autorisées signalées par l’utilisateur à la banque, dans le délai de 13 mois) ne font pas obstacle à ce que la caution de l’utilisateur de services de paiement engage la responsabilité du prestataire sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil (devenu l’article 1231-1). Cette solution se trouve dans la droite ligne de la question préjudicielle que la Haute juridiction avait transmise à la CJUE sur l’interprétation de l’article 58 de la directive 2007/64/CE concernant les services de paiement dans le marché intérieur, et sur laquelle la Cour de justice de l’Union avait statué, par arrêt du 2 septembre 2021 (CJUE, 2 sept. 2021, aff. C‑337/20).

Les principes sont donc aujourd’hui clairs : l’utilisateur de services de paiement ne peut agir contre la banque que sous les conditions posées par les textes spéciaux du code monétaire et financier, tandis que la caution de cet utilisateur de services peut rechercher la responsabilité de la banque, sur le fondement du droit commun, sans que le délai de forclusion de treize mois puisse lui être opposé.


9 – Irrévocabilité de l’inscription en compte d’un virement : même en cas de fraude

Com. 24 novembre 2021, F‑B, n° 20‑10.044

La Cour de cassation a posé, dans cet arrêt qui a été abondamment commenté que, sauf stipulations contractuelles contraires, lorsque le montant d’un virement a été remboursé au payeur par son prestataire de services de paiement en application de l’article L. 133‑18 du code monétaire et financier, serait-ce en raison de l’existence d’une fraude, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire, s’il a déjà inscrit le montant de ce virement au crédit du compte de son client, ne peut contre-passer l’opération sur le compte de celui-ci sans son autorisation, quand bien même il aurait lui-même restitué le montant du virement au prestataire de services de paiement du payeur.

A l’heure où les fraudes bancaires se multiplient, les banques devront être particulièrement vigilantes, en raison du caractère irrévocable d’un virement inscrit au compte d’un client. On ne peut que conseiller l’insertion de la clause suggérée par la Haute juridiction dans le contrat de prestation de services de paiement conclu entre le banquier et son client.

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