Droit de la consommation – Lettre n°17

L’essentiel

Quelques arrêts très importants ont été rendus par la Cour de cassation ces derniers mois en matière de droit de la consommation. Au plan des principes, elle a précisé la notion de professionnel, exclusivement fonctionnelle et strictement cantonnée (1), ainsi que celle du contrat à distance qui suppose impérativement que le contrat ait été conclu dans le cadre d’un système organisé de vente ou de services délivrés à distance (2). Dans le contrat de construction, les clauses illicites engendrent un déséquilibre significatif ; il s’agit donc logiquement de clauses abusives, entraînant la sanction sévère du réputé non‑écrit (3). Concernant le formalisme des contrats conclus hors établissement et l’information du consommateur, la Cour de cassation a rendu, en matière de fourniture et de pose de panneaux photovoltaïques, deux arrêts opposés dont la lecture croisée interroge fortement (4). La Cour régulatrice a rappelé, par ailleurs, que des contrats de location financière passés entre professionnels pouvaient fort bien rentrer dans le dispositif protecteur des contrats conclus hors établissement (5), en sorte qu’un déficit d’information concernant le droit de rétractation du professionnel sollicité peut entraîner l’annulation du contrat (6). Mais une telle annulation ne peut être prononcée par le juge que si elle a été demandée (7). La clause de TEG a également donné lieu au prononcé de deux arrêts intéressants (8 et 9). Enfin, deux arrêts sont à retenir en droit du crédit (10 et 11).

LES PRINCIPES

1 – Notion de professionnel : fonctionnelle et strictement délimitée

Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21-11.097, FS-B

Dans cet arrêt rédigé dans des termes très didactiques, la Cour de cassation procède à un rappel des catégories de personnes visées par le code de la consommation :

Au vu de l’article liminaire du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017‑203 du 21 février 2017, et l’article L. 212‑1 du même code, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2016‑131 du 10 février 2016, on entend par : – consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; ‑ non‑professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ; – professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la notion de « professionnel » est une notion fonctionnelle impliquant d’apprécier si le rapport contractuel s’inscrit dans le cadre des activités auxquelles une personne se livre à titre professionnel (arrêt du 4 octobre 2018, Komisia za zashtita na potrebitelite, C-105-17, point 35) (…).

Et la Cour régulatrice d’en déduire qu’un médecin libéral qui réserve une chambre d’hôtel n’agit pas à des fins professionnelles et rentre donc dans la catégorie du consommateur.

Cette décision se trouve dans la droite ligne de la définition fonctionnelle du professionnel : la chambre d’hôtel avait été réservée par le neurologue afin d’assister au congrès, mais pas seulement, de telles manifestations étant propices aux activités annexes de villégiature. En restreignant ainsi au maximum la notion de professionnel, l’arrêt manifeste la volonté de soumettre au contrôle du déséquilibre significatif le plus grand nombre de clauses contractuelles possible.

2 – Notion de contrat à distance et système organisé

Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21‑13.080, FS‑B

Cet arrêt procède à un rappel des principes en matière de contrat à distance : cette qualification ne s’impose pas dès lors qu’un contrat a été conclu entre des personnes qui n’étaient pas physiquement présentes. L’article L. 221‑1 du code de la consommation exige en effet la réunion de trois critères cumulatifs. Le contrat doit être conclu : 1) sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, 2) par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à la conclusion du contrat, mais également, 3) dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance.

En l’espèce, ce dernier critère était manquant, le locateur d’ouvrage auquel le marché de travaux avait été confié n’ayant pas mis en place de système organisé de prestation de services à distance.

Reste à savoir à quoi correspond un tel système organisé : la Cour de cassation est muette sur ce point, mais on peut penser qu’une organisation même minimale suffira, afin de ne pas trop restreindre la catégorie des contrats à distance.

3 – Clause illicite et déséquilibre significatif consécutif : la clause est nécessairement abusive

Civ. 1re, 15 juin 2022, n° 18‑16.968, FS‑B

Cet important arrêt, rendu en matière de construction, pose que toute clause d’un contrat de construction qui est contraire aux dispositions légales et réglementaires, donc illicite, engendre un déséquilibre significatif et constitue ainsi une clause abusive, réputée non‑écrite.

L’arrêt analyse une dizaine de clauses du contrat de construction et constitue une véritable mise en garde pour les professionnels, ainsi invités à rédiger soigneusement leurs contrats, en respectant scrupuleusement la réglementation et en se gardant de se ménager des prérogatives contractuelles de nature à leur conférer un avantage injustifié, sous peine d’une sanction sévère : le réputé non‑écrit.

CONTRATS CONCLUS HORS ETABLISSEMENT

4 – Formalisme du bon de commande en matière de fourniture de panneaux photovoltaïques

Civ. 1re, 15 juin 2022, n° 21‑11.747, FS‑B

Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21‑12.968, FS‑B

A seulement deux mois d’intervalle, la Cour de cassation a rendu deux arrêts fortement contrastés se prononçant sur la même question, soit le formalisme et l’information du client en matière de fourniture et de pose de panneaux photovoltaïques.

Dans le premier arrêt, elle rappelle avec rigueur les exigences de l’article L. 111‑1 3° du code de la consommation (information précontractuelle) qui prescrit au professionnel de préciser dans quel délai il s’engage à délivrer le bien ou à exécuter la prestation de service. A cet égard, la mention d’un délai global de 120 jours ne suffit pas, dès lors que des prestations administratives annexes sont prévues après la livraison des panneaux photovoltaïques : le consommateur ne pouvant savoir précisément quand le vendeur aura exécuté ses obligations, la nullité de la vente est donc encourue. Et la Cour de cassation refuse de voir, dans l’exécution du contrat, une confirmation tacite de celui-ci. Un tel arrêt invite donc les professionnels à être précis sur les délais mentionnés sur les bons de commande et à éviter les délais « globaux ».

Le second arrêt est, pour sa part, à l’opposé. La Cour de cassation atténue fortement la rigueur de sa ligne passée : si les conditions générales reproduites au verso d’un bon de commande rappellent les dispositions du code de la consommation prescrivant et décrivant le formalisme attaché aux contrats hors établissement, le consommateur est forcément au fait des vices affectant le bon de commande qui ne respecte pas ce formalisme (en l’occurrence, le bon mentionnait un prix global), en sorte qu’en exécutant volontairement le contrat, le client confirme tacitement un acte nul.

La lecture croisée de ces deux arrêts laisse le lecteur perplexe : dans le premier, relatif à l’imprécision des délais dans le bon de commande, la nullité est encourue sans confirmation tacite par l’exécution volontaire du contrat ; dans le second, relatif à l’imprécision du prix dans le contrat, la confirmation tacite est admise, au seul motif que le bon comprenait au verso des conditions générales décrivant le formalisme légal qui doit présider à la conclusion de tout contrat conclu hors établissement. Les deux mentions imprécises étant, dans ces deux arrêts, d’égale importance, il faut y voir un recul de la rigueur adoptée par la Cour de cassation, à condition bien entendu que le bon de commande comprenne de telles conditions générales.

La solution néanmoins interroge : la Cour de cassation a‑t‑elle voulu donner un coup d’arrêt au contentieux très abondant en matière de fourniture de panneaux photovoltaïques ? Si tel est le cas, on peut douter de son opportunité, dans une matière où les consommateurs, alléchés par des démarcheurs peu scrupuleux, tombent souvent ensuite de haut.

En outre, on sait que peu de consommateurs lisent les conditions générales, surtout si elles ne sont pas encadrées ou libellées en caractères très apparents, de sorte que l’on peut douter du pragmatisme de la solution. A tout le moins, la Cour régulatrice devrait‑elle exiger que ces conditions générales soient encadrées ou libellées en caractères très apparents, dès lors qu’elles sont censées avertir le consommateur des vices entachant le bon de commande.

Et cette solution sera-t-elle étendue à d’autres contrats réglementés par le code de la consommation ? L’avenir le dira.

5 – Location financière et contrat conclu hors établissement

Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21‑11.455, FS‑B

Dans cet arrêt, rendu au visa de l’article L. 221‑3 du code de la consommation, la Cour de cassation rappelle, concernant un contrat de location financière de photocopieur, que les dispositions protectrices du code de la consommation sont applicables aux relations entre deux professionnels, concernant la passation des contrats hors établissement qui n’entrent pas dans l’objet de l’activité principale du professionnel sollicité. La précision est d’importance, car c’est l’activité principale du professionnel par rapport au matériel loué qui détermine la qualification du contrat.

Au cas d’espèce, le photocopieur était indispensable à l’activité professionnelle de l’expert‑comptable preneur, mais il n’entrait pas dans l’objet de son activité principale, peu important les compétences que le client professionnel pouvait par ailleurs avoir en matière financière.

Une extension donc, mais bienvenue, de la protection du code de la consommation pour les contrats passés hors établissement entre professionnels.

6 – Location financière et droit de rétractation

Civ. 1re, 31 août 2022, n° 21‑10.075, FS‑B

L’arrêt, rendu en matière de location financière, précise les sanctions encourues lorsque les mentions légales relatives au droit de rétractation dans les contrats conclus hors établissement (articles L. 121‑16 et L. 121‑17 du code de la consommation) ne figurent pas dans l’acte : non seulement le preneur dispose d’une prolongation d’un an du délai qui lui est ouvert pour se rétracter, mais encore il peut demander l’annulation du contrat.

Le consommateur (ou le professionnel qui lui est assimilé dans l’hypothèse du contrat conclu hors établissement) dispose donc d’une option entre nullité du contrat et prolongation de son délai de rétractation.

7 – Droit de rétractation : le juge ne peut prononcer d’office la nullité du contrat

Civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 21‑16.254, FS‑B

Un rappel bienvenu des principes par la Cour de cassation : si l’information légale requise relative au droit de rétractation n’a pas, dans un contrat conclu hors établissement, été donnée au client sollicité, le juge ne peut prononcer d’office la nullité de la convention qui ne lui a pas été demandée.

CLAUSES DE TEG

8 – Procédure : les demandes de nullité d’une clause de TEG et de déchéance des intérêts tendent aux mêmes fins

Civ. 1re, 7 septembre 2022, n° 21‑16.646, F‑B

L’arrêt procède à un rappel des principes qui n’est pas inutile en matière d’irrecevabilité d’une demande nouvelle en cause d’appel : la demande d’un emprunteur en annulation d’une clause de TEG tend aux mêmes fins que celle tendant à la déchéance des intérêts présentée en première instance : elle est donc recevable en appel.

Une telle solution est logique : le but poursuivi par les deux demandes est de priver le prêteur de son droit aux intérêts conventionnels.

9 – Calcul du TEG : intégration des frais et intérêts afférents à la période de préfinancement

Civ. 1re, 7 juin 2022, n° 20‑16.070, FS‑B

Les intérêts et frais afférents à la période de préfinancement doivent‑ils être intégrés dans le calcul du TEG ?

Oui, répond la Cour de cassation, mais à une condition : qu’ils soient déterminables au jour de la conclusion du contrat, ce qui n’est pas le cas des intérêts dus sur le capital libéré de manière progressive au cours de cette période, dès lors que leur montant est fonction du rythme de cette libération, inconnu des parties lors de la conclusion du contrat.

La Cour de cassation apporte donc un tempérament à la règle bien connue de l’intégration dans le TEG des intérêts et frais exposés pendant la période de différé d’amortissement. Cette atténuation est pragmatique et évite des calculs hasardeux, notamment concernant les prêts travaux, le plus souvent débloqués au fur et à mesure de l’avancement de ceux-ci et que les parties ne maîtrisent pas.

DROIT DU CREDIT

10 – Découvert en compte : prescription

Civ. 1re, 25 mai 2022, n° 20‑23.326, F‑P+B

La Cour de cassation rappelle les règles gouvernant la prescription applicable en matière de découvert tacite : l’action en paiement diligentée par l’organisme de crédit doit être engagée, à peine de forclusion, dans les deux ans suivant l’expiration d’un délai de trois mois courant depuis la date du dépassement continu non régularisé.

Le point de départ de la prescription ne se situe pas au jour du premier découvert, dès lors que celui‑ci a été régularisé, mais à partir du premier dépassement continu dans le temps.

Les établissements de crédit doivent donc être attentifs aux découverts continus dans le temps car ils marquent le point de départ du premier délai de trois mois, mais ils n’ont pas à subir les effets des dépassements anciens régularisés, même ayant duré jusqu’à trois mois.

11 – Prêt immobilier : condition résolutoire et coemprunteurs

Civ. 1re, 29 juin 2022, n° 21‑11.690

Cet arrêt apporte un éclaircissement dans l’hypothèse de coemprunteurs : une offre de crédit immobilier est toujours acceptée par l’emprunteur sous la condition résolutoire de la non-réalisation, dans un délai de quatre mois, du contrat que le prêt finance (article L. 312‑12 du code de la consommation, devenu l’article L. 313‑36).

Pour la Cour de cassation, la condition résolutoire ne peut produire d’effet si l’acquisition du bien immobilier financé est faite dans les quatre mois, quand même le prêt aurait été souscrit par deux co‑emprunteurs et l’acquisition faite par un seul d’entre eux.

Cette solution évite d’étirer excessivement les effets de la clause résolutoire légale, au détriment, il est vrai, du coemprunteur, contraint de financer un bien immobilier qu’il n’a pas acquis.

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