Droit des affaires

Droit des affaires – Lettre n°3

L’essentiel

D’importants arrêts ont été rendus par la Cour de cassation en matière commerciale. Celle-ci a réaffirmé le principe de la loyauté de la preuve des actes de concurrence déloyale (Com. 10 novembre 2021, n° 20-14.669). Elle a appliqué le principe de proportionnalité à la garantie d’éviction en matière de cession de parts sociales (Com. 10 novembre 2021, n° 21-11.975). Et, en vertu du principe de l’irrévocabilité du virement inscrit au compte du client, elle interdit au banquier du bénéficiaire de contre-passer ce virement, même s’il a été opéré en suite d’une fraude (Com. 24 novembre 2021, F-B, n° 20-10.044). C’est toutefois, en matière de procédure collective que la Cour de cassation a rendu les arrêts les plus remarquables.

Preuve en matière commerciale

Le principe de la loyauté et la pratique du ” client mystère “

Com. 10 novembre 2021, F-B, n° 20-14.669 et n° 20-14.670

Un syndicat professionnel de défense de l’éthique de la profession des opticiens-lunetiers, avait organisé la visite de ” clients mystère ” dans des différents magasins d’optique munis d’une ordonnance, afin de vérifier la pratique frauduleuse consistant à falsifier les factures pour faire prendre en charge par les mutuelles, une part plus importante du prix des montures. Se prévalant des témoignages des ” clients mystère “, le syndicat demandait la cessation des actes de concurrence déloyale et des dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession.

La Cour de cassation décide que les attestations, les ordonnances utilisées pour se faire passer pour des clients potentiels, ainsi que les devis, factures et feuilles de soins remis à la suite de leur mise en scène, étaient irrecevables car obtenus de manière déloyale, dès lors que le syndicat avait eu recours ” à un stratagème consistant à faire appel aux services de tiers rémunérés pour une mise en scène de nature à faire douter de la neutralité de leur comportement à l’égard (du commerçant).

Ainsi, si le recours au ” clients mystère ” aux fins de démontrer un acte de concurrence déloyale, n’est pas interdit, ce procédé ne doit pas dissimuler un stratagème faisant douter de la neutralité de l’auteur de l’attestation. Cette solution s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence civile qui exige une absolue loyauté dans l’administration de la preuve.

Société commerciale

Cession de parts sociales : garantie légale d’éviction et proportionnalité de l’obligation de non-concurrence du cédant

Com. 10 novembre 2021, F-B, n° 21-11.975

Si la liberté du commerce et la liberté d’entreprendre peuvent être restreintes par l’effet de la garantie d’éviction à laquelle le vendeur de droits sociaux est tenu envers l’acquéreur, c’est à la condition que l’interdiction pour le vendeur de se rétablir soit proportionnée aux intérêts légitimes à protéger.

Dans cet important arrêt, la Cour de cassation fait application du principe de proportionnalité à la garantie légale d’éviction, mettant en balance les intérêts divergents des deux parties contractantes : ceux du cessionnaire qui n’a pas à souffrir d’éviction et ceux du cédant qui doit pouvoir se rétablir.

En l’espèce, il a été reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si, au regard de l’activité de la société dont les parts avaient été cédées et du marché concerné, l’interdiction de se rétablir se justifiait encore au moment des faits reprochés aux cédants trois ans après la cession.

Bancaire

L’irrévocabilité de l’inscription en compte d’un virement : même en cas de fraude bancaire

Com. 24 novembre 2021, F-B, n° 20-10.044

Sauf stipulations contractuelles contraires, lorsque le montant d’un virement a été remboursé au payeur par son prestataire de services de paiement en application de l’article L. 133-18 du code monétaire et financier, serait-ce en raison de l’existence d’une fraude, le prestataire de services de paiement du bénéficiaire, s’il a déjà inscrit le montant de ce virement au crédit du compte de son client, ne peut contre-passer l’opération sur le compte de celui-ci sans son autorisation, quand bien même il aurait lui-même restitué le montant du virement au prestataire de services de paiement du payeur.

À l’heure où les fraudes bancaires se multiplient, les banques devront être particulièrement vigilantes, en raison du caractère irrévocable d’un virement inscrit au compte d’un client. On ne peut que conseiller l’insertion d’une stipulation contractuelle contraire, telle que suggérée par l’arrêt, dans le contrat de prestation de services de paiement conclu entre le banquier et son client.

Procédures collectives

1 – Plan de sauvegarde et substitution de garantie

Com. 20 octobre 2021, F-B, n° 20-20.810

L’appréciation de l’équivalence des garanties dont il est demandé d’autoriser la substitution, par application de l’article L. 626-22, al. 3 du code de commerce, relève du pouvoir souverain des juges du fond.

L’article L. 626-22, al. 3 du code de commerce permet effectivement au tribunal ” d’exproprier ” le titulaire d’une sûreté de sa garantie, sous la condition qu’une garantie équivalente lui soit fournie. Il s’agit là d’une possibilité exceptionnelle, ouverte par la loi afin de permettre l’exécution du plan de sauvegarde et sauver l’entreprise, le créancier pouvant être forcé par le tribunal à se dessaisir de sa sûreté. La Cour de cassation refuse néanmoins de contrôler l’équivalence de la garantie fournie en substitution et en abandonne l’appréciation aux juges du fond.

Eu regard de la rareté de la jurisprudence de la Cour de cassation, relativement à l’application de l’article L. 626-22, al. 3 du code de commerce, le point méritait d’être clarifié.

À noter : c’est à la date à laquelle il statue que le juge doit se placer pour apprécier l’équivalence des garanties.

2 – Saisine d’un tribunal de commerce non spécialement désigné : il s’agit d’une incompétence à soulever in limine litis


Com. 17 novembre 2021, FS, B-R, n° 19-50.067

La Cour de cassation détermine le régime de la saisine d’un tribunal de commerce non spécialement désigné (article L. 721-8 du code de commerce), dans l’hypothèse où le débiteur en sauvegarde, redressement ou liquidation répond à des critères de nombre de salariés et de chiffre d’affaires net (les entreprises dont s’agit doivent employer au moins 250 salariés et dégager au moins 20 millions de chiffre d’affaires net ou 40 millions si le nombre minimal de salariés n’est pas atteint), qui appelaient la compétence de la juridiction spécialisée. Le ministère public qui soulève l’incompétence du tribunal non spécialement désigné, formule non pas une fin de non-recevoir, mais une exception d’incompétence qui, comme telle, doit être présentée in limine litis (article 74 code de procédure civile) ; cette exception ne peut ainsi être soulevée en appel, après que le ministère public a conclu au fond en première instance. La Cour de cassation rappelle également que le juge ne peut soulever d’office l’incompétence de la juridiction non spécialement désignée.

La cour d’appel avait, pour sa part, retenu que le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce constituait non une exception d’incompétence, mais une fin de non-recevoir relevant de l’article 125 du code de procédure civile, d’ordre public, pouvant être soulevée en tout état de cause. La cassation a été prononcée au double visa des articles L. 721-8 du code de commerce et 74 du code de procédure civile : ne se trouvait pas en jeu un défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce, mais une règle de répartition de compétence entre les tribunaux de commerce “ordinaires” et les juridictions spécialisées.

Pour mémoire : la liste des tribunaux de commerce spécialisés a été arrêtée par décret du 26 février 2016. Il s’agit des tribunaux de Bobigny, Bordeaux, Dijon, Évry, Grenoble, Lyon, Marseille, Montpellier, Nanterre, Nantes, Nice, Orléans, Paris, Poitiers, Rennes, Rouen, Toulouse et Tourcoing (Lille métropole).

3 – Liquidation judiciaire : une nouvelle demande de report de la date de cessation des paiements est possible

Com. 29 septembre 2021, F-B, n° 20-10.105

L’article L. 631-8, alinéa 2, du code de commerce disposant que la date de cessation des paiements peut être reportée une ou plusieurs fois, il s’en déduit que l’existence d’une décision d’irrecevabilité ou de rejet d’une demande de report de la date de cessation des paiements ne fait pas obstacle à l’introduction d’une nouvelle demande fondée sur la disposition précitée.

La chose jugée n’est ainsi pas un obstacle pour le liquidateur qui voudrait présenter une nouvelle demande de report de la date de cessation des paiements, car cette faculté est aménagée par le texte lui-même. Nul besoin donc d’invoquer un fait nouveau pour présenter une nouvelle demande de report.

Cette solution se trouve en parfaite logique avec l’article L. 631-8 du code de commerce : la possibilité de reporter plusieurs fois la date de cessation des paiements se comprend dès lors que la consistance réelle du patrimoine de l’entreprise peut n’être découverte qu’au bout de plusieurs mois. Il n’en résulte néanmoins aucune véritable incertitude pour le débiteur et les créanciers, dès lors que la ou les demandes de report doivent être impérativement présentées dans l’année qui suit le jugement d’ouverture de la procédure collective.

4 – Dessaisissement du débiteur et qualité à défendre seul à sa procédure de divorce

Com. 20 octobre 2021, F-B, n° 20.10-710

Cet arrêt rappelle que le débiteur en liquidation judiciaire a seul qualité pour intenter une procédure en divorce et y défendre, cette action étant exclusivement attachée à sa personne. Cela inclut la fixation de la prestation compensatoire qui peut consister en l’abandon au conjoint d’un bien immobilier propre du débiteur, marié sous le régime de la séparation de biens. En conséquence, si le liquidateur entend s’opposer à un tel abandon, la seule voie qui lui est ouverte est celle de la tierce opposition au jugement.

L’arrêt indique donc la marche à suivre pour le liquidateur, confronté à la distraction, par l’effet du jugement de divorce, d’un bien immobilier qui faisait partie du gage du débiteur : il peut seulement former tierce opposition au jugement. La solution n’est pas nouvelle (Com. 16 janvier 2019, n° 17-16.334). Elle s’impose cependant seulement en matière de divorce judiciaire. Lorsque la procédure de divorce est amiable, le liquidateur doit être associé à la signature de la convention amiable, faute de quoi elle est inopposable à la procédure collective.

À noter : en matière de divorce, le succès de la tierce opposition est subordonné à la preuve de la fraude du débiteur.

5 – Interruption des instances en cours et déclaration de créance

Com. 20 octobre 2020, F-B, n° 20-13.829

Cet arrêt rappelle qu’en conséquence des dispositions de l’article L. 622-22, alinéa 1er du code de commerce, les instances en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective sont interrompues, jusqu’au jour où le créancier concerné a déclaré sa créance. Faute de déclaration de créance, le juge du fond de la créance saisi de la demande de fixation de celle-ci ne peut déclarer cette demande irrecevable, en relevant le défaut de déclaration de créance, il peut seulement constater l’interruption de l’instance l’empêchant de statuer.

Cette règle importante qui avait déjà été rappelée en 2020 (Com. 9 septembre 2020, n° 18-25.365) s’inscrit dans la logique du régime de la reprise d’instance. Si l’instance n’est pas reprise, le créancier ne disposera d’aucun titre pour faire exécuter sa créance, étant précisé qu’en cas de défaut de reprise, le jugement de première instance est réputé non-avenu. En appel, la cour se contentera de constater que l’interruption de l’instance l’empêche de statuer.

6 – Déclaration de créance : régularisation par ratification du créancier

Com. 29 septembre 2021, F-B, n° 20-12.291

La déclaration de créance faite pour le compte d’une personne morale par un préposé dénué de pouvoir, peut être régularisée jusqu’à ce que le juge statue. La régularisation, qui n’appelle pas de forme particulière, peut être implicite et peut résulter des conclusions d’appel du créancier, demandant l’admission de sa créance, ces conclusions emportant nécessairement ratification de la déclaration de créance.

La solution, bienvenue, découle de l’ajout fait à l’alinéa 2 de l’article L. 622-24 du code de commerce par l’ordonnance du 12 mars 2014 : ” Le créancier peut ratifier la déclaration faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur l’admission de la créance. ” En application de ce texte, n’importe quel préposé sans pouvoir de la personne morale créancière peut procéder à une déclaration de sa créance, dès lors que cette dernière la ratifie ultérieurement. Il est ainsi mis fin au lourd contentieux des déclarations de créance faites par des préposés sans pouvoir ou par des tiers.

7 – Jugement d’extension et droits du créancier du nouveau débiteur en procédure collective

Com. 20 octobre 2020, F-B, n° 20-17.765

Le créancier d’un débiteur ayant fait l’objet d’une décision d’extension de la liquidation judiciaire d’un tiers peut former tierce opposition au jugement d’extension en faisant valoir, outre une fraude à ses droits, le moyen qui lui est propre, tiré de ce que la créance de l’AGS allait absorber l’intégralité du prix de vente de l’immeuble du débiteur, hypothéqué à son profit.

Dans une telle hypothèse, la qualité de tiers du créancier ne se discute pas, puisque le jugement d’extension constitue, sans effet rétroactif, le jugement d’ouverture du nouveau débiteur. Quant au moyen propre, il a été retenu par la Cour de cassation, car il était étranger aux intérêts de la collectivité des créanciers, ce d’autant que le créancier du débiteur auquel la procédure a été étendue se retrouve en concours avec les créanciers de la procédure initiale.

8 – Revendication de marchandises chez le sous-acquéreur selon le droit commun de la possession

Com. 17 novembre 2021, F-B, n° 29-14.420

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a posé que, saisie, en raison de la revente des marchandises par le débiteur à un tiers, d’une demande de revendication en nature fondée sur les dispositions de droit commun de l’article 2276 du code civil et non sur celles de l’article L. 624-16 du code de commerce, la cour d’appel devait rechercher, non pas si les marchandises se retrouvaient en nature dans le patrimoine du sous-acquéreur, lors de l’ouverture de sa procédure collective, mais si cette société était entrée en leur possession de mauvaise foi.
Par cette intéressante décision, la Cour de cassation rappelle que la revendication en nature de marchandises faite dans le cadre d’une procédure collective chez le sous-acquéreur, lui-même en procédure collective, ne peut être fondée que sur le droit commun de la possession, soit sur l’article 2276 du code civil. La solution n’est pas nouvelle (Com. 15 décembre 2015, n° 13-25.566).

9 – Déclaration d’insaisissabilité et opposabilité aux créanciers du débiteur qui a cessé son activité

Com. 17 novembre 2020, P-B, n° 20-20.821

Dans cet arrêt promis à de larges commentaires, la Cour de cassation a statué sur une question nouvelle et posé en principe que, selon l’article L. 526-1 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 6 août 2015 applicable en la cause, la déclaration notariée d’insaisissabilité que peut faire publier la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante (et qui a pour effet de soustraire un bien au gage commun de ses créanciers) n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant. Il en résulte que les effets de cette déclaration subsistent aussi longtemps que les droits des créanciers auxquels elle est opposable ne sont pas éteints, sauf renonciation du déclarant lui-même, en sorte que la cessation de son activité professionnelle ne met pas fin, par elle-même, aux effets de la déclaration.

En définitive, la déclaration d’insaisissabilité notariée ne se périme pas avec la cessation d’activité du débiteur en liquidation judiciaire. Les professionnels seront donc tout particulièrement attentifs aux effets de cette déclaration qui se prolongent dans le temps et ont pour effet de diminuer le gage des créanciers.

10 – Location financière, absence de poursuite d’un des contrats interdépendants par le liquidateur et caducité des autres contrats

Com. 20 octobre 2021, F-B, n° 19-24.796

La Cour de cassation continue sa construction jurisprudentielle relative à la location financière et aux contrats interdépendants. Elle pose en principe que si le liquidateur, sommé d’opter par un cocontractant du débiteur, refuse la poursuite du contrat dans le délai légal d’un mois, la résiliation du contrat prend effet à la date de réception de la décision par le cocontractant. Par ailleurs, cette décision est opposable aux autres contractants à l’ensemble contractuel interdépendant, à la date de la résiliation du premier contrat, laquelle entraîne la caducité des autres contrats, peu important que le liquidateur n’ait pas notifié sa décision aux autres partenaires de l’ensemble contractuel.

Les professionnels seront donc particulièrement attentifs à la caducité qui frappe les contrats interdépendants, sans même que le liquidateur ait à le leur notifier. Cette décision est logique, dès lors que la caducité n’est pas une sanction, mais l’anéantissement automatique d’un contrat par suite de la disparition d’un des contrats du groupe. On notera que, dans cet arrêt, la Cour de cassation a retenu l’interdépendance objective des contrats, peu important l’insertion, dans le contrat de location financière, d’une clause de divisibilité qui était ainsi inopérante.

11 – Sanctions personnelles prononcées contre les dirigeants d’une société en procédure collective

Com. 29 septembre 2021, FS-B, n° 19-25.112

Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte une précision logique, mais qu’elle a jugé utile de rappeler : une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer ne peut frapper le dirigeant d’une société en procédure collective qui a omis de tenir une comptabilité que si cette obligation s’imposait à lui, ce qui n’est pas le cas, concernant un groupement forestier, société civile qui n’est pas astreinte à tenir une comptabilité et à présenter des comptes annuels.

Les professionnels n’oublieront pas, lorsque leur client est le gérant d’une société civile, de rappeler qu’il n’a pas la qualité de commerçant qui subordonne des obligations comptables et conditionne le prononcé d’éventuelles sanctions personnelles

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