L’essentiel
Quelques rappels en matière de prescription : l’action en responsabilité contre l’intermédiaire d’assurance pour manquement à son obligation de conseil se prescrit à compter de la connaissance du refus de garantie opposé par l’assureur (1). L’action subrogatoire de l’assureur est soumise au même délai de prescription, avec un point de départ identique, que celle de la victime subrogeante (2). D’autres principes généraux sont posés : la subrogation légale dont bénéficie l’assureur est subordonnée au paiement d’une indemnité qui peut intervenir sur ordre et pour son compte (3) et la transaction conclue par l’assuré en dehors de l’assureur, est inopposable à ce dernier (4). L’assureur de responsabilité ne peut réduire la durée de sa garantie à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré (5). Ensuite, la Cour de cassation donne la définition de la faute dolosive qui supplée à la carence de la faute intentionnelle (6). Enfin en assurances-construction, l’assureur DO ne peut plus contester son offre d’indemnisation après le délai de 90 jours (7) et en matière de garantie décennale, lorsque le constructeur réalise une activité non déclarée, il s’agit d’un cas de non-assurance (8).
PRINCIPES GENERAUX
1 – Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contre l’assureur et l’intermédiaire
Civ. 2e, 10 mars 2022, FS‑B, n° 20‑16.237
Dans cette affaire, la responsabilité d’un pépiniériste a été recherchée pour avoir vendu des plants défectueux. Assigné par l’acheteur, il a appelé en garantie son assureur de responsabilité civile. En mai 2012, la cour d’appel le condamne à réparer le préjudice subi, mais met hors de cause son assureur. En décembre 2014 et janvier 2015, il assigne en indemnisation son agent général et l’assureur, pour manquement à leur devoir de conseil pour lui avoir vendu un contrat inadapté à ses besoins.
La cour d’appel déclare cette demande prescrite, tant au regard de l’article 2224 du code civil que de l’article L. 110-4 du code de commerce au motif que l’assuré avait su, dès 2008, que l’assureur ne couvrait pas le sinistre qu’il avait déclaré, de sorte que le délai de prescription quinquennale prévu par ces textes avait couru à compter de cette date, et non à compter de sa condamnation en mai 2012.
La Cour de cassation rejette son pourvoi au motif que le dommage né d’un manquement aux obligations d’information et de conseil dues à l’assuré sur l’adéquation de la garantie souscrite à ses besoins, se réalise au moment du refus de garantie opposé par l’assureur : le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité engagée par l’assuré contre le débiteur de ces obligations se situe au jour où il a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du refus de garantie.
L’assuré devra donc à agir en responsabilité l’intermédiaire et/ou l’assureur, dès qu’il aura connaissance du refus de garantie de l’assureur, sans attendre qu’une décision juridictionnelle tire les conséquences de ce refus de garantie.
2 – Le point de départ de l’action subrogatoire de l’assureur contre le tiers responsable : pas de distinction
Civ. 1re, 2 février 2022, FS‑B, n° 20‑10.855
L’arrêt pose le principe que l’action de l’assureur, comme celle de la victime subrogeante, est soumise au même délai de prescription, avec un point de départ identique.
Un assureur avait indemnisé la victime d’un incendie ayant détruit son navire acquis en janvier 2011. En avril 2013, l’assureur invoquant un défaut de conformité, assigne le vendeur en résolution de la vente, qui lui oppose la prescription de son action. Pour faire droit à sa demande, la cour d’appel fait application de l’article L. 211-12 du code de la consommation, selon lequel l’action résultant du défaut de conformité se prescrit par 2 ans à compter de la délivrance du bien. De ce fait, l’action de l’assureur, engagée plus de 2 ans après la livraison, était prescrite.
Dans son pourvoi, l’assureur soutenait que seul le paiement subrogatoire, intervenu ultérieurement, était de nature à faire courir le délai de prescription à son égard. Son pourvoi est rejeté au motif que l’action de la personne subrogée dans les droits de la victime d’un dommage contre le responsable est soumise à la prescription applicable à l’action de la victime. Selon la Cour de cassation, le point de départ de la prescription de l’action du subrogé est identique à celui de l’action du subrogeant. La solution est justifiée dès lors que celui qui est subrogé dans les droits de la victime d’un dommage ne dispose que des actions bénéficiant à celle-ci.
3 – La subrogation légale dont bénéficie l’assureur est subordonnée au paiement d’une indemnité
Civ. 2e, 31 mars 2022, F‑B, n° 20‑17.147
Si l’article L. 121-12 du code des assurances pose le principe que l’assureur qui a payé l’indemnité d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l’assuré contre les tiers, il n’exige pas que le paiement ait été fait entre les mains de l’assuré lui‑même, l’indemnisation pouvant intervenir sur ordre et pour son compte.
Dans cette affaire, un particulier avait acquis auprès d’un chantier naval un navire de plaisance, financé auprès d’un crédit-bailleur et qu’il avait assuré. A la suite d’un sinistre, son assureur prit en charge les dommages. Toutefois, le crédit-bailleur ayant fait opposition sur le paiement de l’indemnité, l’assuré demanda qu’une partie de la somme soit versée à ce dernier, lui-même ne percevant que le solde. L’assureur exerçant ensuite son recours subrogatoire contre l’assureur du chantier naval se vit opposer par la cour d’appel, qu’il n’était pas démontré que le paiement au crédit-bailleur serait intervenu en exécution d’un contrat d’assurance et que ce dernier ait eu la qualité d’assuré. La cassation de l’arrêt est prononcée. Selon la Cour de cassation, la cour d’appel aurait dû rechercher si le paiement de cette somme n’avait pas été opéré, au titre de l’indemnisation d’assurance, sur ordre et pour le compte de l’assuré.
4 – L’inopposabilité de la transaction conclue par l’assuré en dehors de l’assureur
Civ. 1re, 16 mars 2022, FS‑B, n° 20‑13.552
La clause selon laquelle l’assureur stipule qu’aucune transaction intervenue en dehors de lui ne lui est opposable, produit son plein effet en vertu de la loi des parties.
En l’espèce, pour déclarer toutefois la transaction opposable à l’assureur, la cour d’appel avait retenu que ce dernier avait été clairement informée des modalités de la transaction et que, s’il a, par son attitude, exprimé la volonté de ne pas y participer, il a néanmoins été associé au déroulement des négociations. L’arrêt est cassé faute d’avoir constaté que l’assureur avait participé à la conclusion de la transaction.
5 – L’assurance de responsabilité : la durée de la garantie du contrat d’assurance
Civ. 3e, 16 mars 2022, FS‑B, n° 20‑16.829
L’arrêt rappelle que le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat d’assurance de responsabilité et son expiration, a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période et que toute clause qui tend à réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause, comme telle illicite et réputée non écrite.
Dans cette espèce, le contrat d’assurance avait prévu qu’en cas de résiliation du contrat, les garanties en cours étaient maintenues pour les faits générateurs ou des dommages déclarés par l’assuré à l’assureur avant la date de résiliation, et donnant lieu à réclamation présentée à l’assureur dans un délai maximum de deux ans suivant la date d’effet de la résiliation. La cour d’appel avait refusé la mise en jeu de la garantie au motif que le contrat avait été résilié le 31 mars 2003 et que la réclamation, formée en octobre 2008, était postérieure à ce délai de deux ans. La Cour de cassation censure donc : la cour d’appel ne pouvait pas statuer ainsi puisqu’elle avait constaté qu’à la date de l’ouverture du chantier, l’entreprise était assurée auprès de l’assureur, de sorte que le fait dommageable, constitué par l’exécution des travaux défectueux, s’était bien produit pendant la période de validité du contrat d’assurance.
6 – La faute dolosive supplée la carence de la faute intentionnelle
Civ. 2e, 10 mars 2022, n° 20‑19.052
En l’absence de faute intentionnelle, une faute dolosive peut être invoquée : tel est le cas si l’assuré a eu conscience de ce qu’une explosion provoquée dans son appartement entraînerait inéluctablement des dommages dans l’ensemble de l’immeuble.
En tentant de se suicider, une personne avait provoqué une explosion suivie d’un incendie, qui a endommagé gravement un immeuble en copropriété et entraîné le décès d’une résidente. L’assureur de la copropriété et plusieurs résidents de l’immeuble et leurs assureurs ont assigné en remboursement des indemnités versées à l’assureur du responsable. Celui-ci a invoqué l’article L. 113-1, alinéa 2 du code des assurances, aux termes duquel « L’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». La cour d’appel a rejeté les demandes, en l’absence de faute intentionnelle caractérisée, celle-ci impliquant la volonté de créer le dommage tel qu’il est survenu, peu important que l’auteur ait été condamné au pénal pour une infraction intentionnelle.
L’arrêt est cassé pour avoir omis de rechercher si l’auteur « n’avait pas eu conscience de ce qu’une explosion provoquée dans son appartement entraînerait inéluctablement des conséquences dommageables dans l’ensemble de l’immeuble et n’avait pas, dès lors, commis une faute dolosive ». La Haute Cour rappelle ainsi que la faute dolosive est « un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » (Civ. 2e, 20 janv. 2022, n° 20‑13.245)
ASSURANCES-CONSTRUCTION
7 – L’assurance dommage‑ouvrage : l’assureur ne peut plus contester son offre d’indemnisation après le délai de 90 jours
Civ. 3e, 16 février 2022, FS‑B, n° 20‑22.618
Selon l’article L. 242‑1, alinéa 4, du code des assurances, lorsqu’il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l’assureur DO présente, dans un délai maximal de 90 jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d’indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. En cas d’acceptation, par l’assuré, de l’offre qui lui a été faite, le règlement de l’indemnité par l’assureur intervient dans un délai de quinze jours.
Selon la Cour de cassation, il en résulte que passé délai de 90 jours imposé pour formuler une offre d’indemnisation, l’assureur DO ne peut plus contester la définition des travaux propres à remédier aux dommages déclarés et dont il a offert l’indemnisation, ni réclamer la restitution d’indemnités affectées par l’assuré à l’exécution des travaux que cette indemnité était destinée à financer.
Ainsi, passé le délai de 90 jours, l’assureur DO ne peut revenir sur son versement indemnitaire que si l’assuré n’a pas employé l’indemnité versée à la réparation des désordres. Et en cas de litige, c’est à l’assuré de prouver qu’il a bien réalisé les travaux de reprise et d’en établir le coût (Civ. 3e, 4 mai 2022, n° 14-19.804)
8 – La garantie décennale : c’est un cas de non-assurance lorsque le constructeur réalise une activité non déclarée
Civ. 3e, 2 mars 2022, n° 21‑12.096
Nouveau rappel : la garantie de l’assureur de responsabilité décennale ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur. Les travaux qui ne procèdent pas d’une activité déclarée restent en dehors de l’objet de l’assurance. Il s’agit, non d’une exclusion de garantie ou de la sanction d’une déclaration inexacte de risque, mais d’un cas de non‑assurance.
Dans cette affaire, une clause en caractères gras des conditions générales, reprises dans les conditions particulières du contrat d’assurance, stipulait que celui-ci ne garantissait pas l’assuré intervenant en qualité de constructeur de maison individuelle. C’est ainsi qu’un constructeur de maison après des travaux de terrassement, condamné à indemniser le maître de l’ouvrage, des dommages résultant de problèmes d’isolation, a vu son recours contre son assureur rejeté. Au pourvoi de celui-ci, la Cour de cassation répond que la garantie de l’assureur ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur et qu’en l’espèce, la cour d’appel a exactement retenu que l’assureur, qui déniait sa garantie au titre de l’activité déclarée, invoquait non une clause d’exclusion de garantie, mais un cas de non-assurance (voir également Civ. 3e, 2 février 2022, n° 21-11.843 concernant l’activité de construction de maisons en bois en kit distincte de celle de pose de charpente).