Droit des baux – Lettre n°24

L’essentiel

La troisième chambre civile a, aux mois d’octobre et de novembre 2023, rendu plusieurs arrêts qui méritent l’attention, en matière de baux.

Concernant le bail d’habitation tout d’abord, la Cour de cassation a donné d’utiles précisions sur le formalisme du congé pour reprendre (I.1), ainsi que sur l’opposabilité de l’état des lieux de sortie et le partage du coût de celui-ci entre bailleur et locataire (I.3).

En matière de bail commercial, une décision remarquable : la substitution du non-écrit à la sanction de nullité de certaines clauses du bail commercial (comme la clause mettant échec au droit au renouvellement du bail) est applicable aux baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi Pinel, peu important que l’ancienne action en nullité soit atteinte par la prescription : le preneur peut faire constater le non-écrit à tout moment (II.1). Ensuite, la clause résolutoire est acquise nonobstant la mauvaise foi du bailleur, si sa suspension avait été ordonnée dans une décision passée en force de chose jugée et que le preneur à bail commercial n’a pas respecté l’échéancier d’apurement qui lui avait été donné (II.5).

Enfin, concernant les baux ruraux, la troisième chambre civile a donné d’utiles précisions en matière de prescription (III.1) et a consacré des principes favorables à la stabilité des exploitations : notamment, un preneur qui se trouve à moins de neuf ans de l’âge de la retraite peut conclure un bail rural à long terme (III.2).

I – Baux d’habitation

1 – Congé pour reprendre : intention sérieuse du bailleur de reprendre les lieux

Civ. 3e, 12 octobre 2023, pourvoi n° 22-18.580, FS-B

Cet arrêt apporte deux éléments en matière de validité du congé pour reprendre délivré en matière de bail d’habitation.

D’une part, sur la forme du congé : l’article 15-I de la loi du 6 juillet 1989 prescrit, sous peine de nullité, les mentions, outre « du motif allégué », des noms et adresse du bénéficiaire de la reprise et du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire, afin de vérifier que ce dernier fait bien partie de la liste des proches visés par la loi. Le bailleur doit également justifier du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise : sur ce point, l’arrêt précise clairement que cette mention, à titre de condition de forme, n’est pas édictée à peine de nullité.

D’autre part, alors que le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues par celui-ci, il peut se fonder sur des éléments extérieurs au congé pour forger sa conviction du sérieux, au jour du congé, de l’intention du bailleur de reprendre les lieux pour en faire sa résidence principale.

2 – Covid 19 et suspension des clauses résolutoires : une fenêtre de tir très étroite !

Civ. 3e, 12 octobre 2023, pourvoi n° 22-19.117, FS-B

Cet arrêt limite strictement le champ du report des clauses résolutoires décidé en période d’urgence sanitaire : le report de leurs effets prévu par l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’est applicable que lorsque le délai de deux mois laissé au locataire, destinataire d’un commandement de payer pour apurer sa dette, expirait au cours de la période juridiquement protégée instaurée entre le 12 mars et le 23 juin 2020.

La décision est bienvenue qui se prononce pour la première fois sur la question, même si les magistrats du quai de l’Horloge se sont bornés à appliquer le texte dérogatoire à la lettre.

3 – Etat des lieux de sortie : formalisme et coût

Civ. 3e, 16 novembre 2023, pourvoi n° 22-19.422, FS-B

Civ. 3e, 26 octobre 2023, pourvoi n° 22-10.183, FS-B

Le premier arrêt précise la forme que doit prendre l’état des lieux de sortie pour être opposable aux parties. Selon l’article 3-2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, si l’état des lieux ne peut être dressé contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles, il est établi par un commissaire de justice, sur l’initiative de la partie la plus diligente, mais à frais partagés entre bailleur et locataire.

Deux possibilités donc pour les parties : un état des lieux amiable contradictoire ou, à défaut, un état des lieux établi unilatéralement par commissaire de justice, à la demande de la partie la plus diligente.

En conséquence, un tel acte qui serait forgé par le bailleur seul, ne fait pas la preuve des dégradations qu’il constate dans les lieux. Au bailleur donc de rechercher un état des lieux contradictoire, faute de quoi il doit impérativement recourir à un commissaire de justice.

Le second arrêt apporte, pour sa part, une précision utile : la partie qui prend l’initiative de faire établir l’état des lieux de sortie par commissaire de justice doit faire prévenir l’autre par LRAR délivrée au moins sept jours à l’avance, faute de quoi elle devra conserver tous les frais de l’acte à sa charge, sans pouvoir demander le remboursement de la moitié à l’autre partie.

Rien que de normal pour la partie qui n’a pas été convoquée dans le délai prévu par l’article 3-2 ; il n’empêche cependant que c’est l’autre qui supporte les conséquences financières de l’irrégularité, alors que la convocation incombe, selon le texte, au commissaire de justice.

II – Baux commerciaux

1 – Substitution de la sanction du non-écrit à la nullité : application aux baux en cours

Civ. 3e, 16 novembre 2023, pourvoi n° 22‑14.091, FS-B

L’on connaît la différence de sanction entre nullité et non-écrit ; dans le premier cas, la clause visée est anéantie par le juge, dans le second, celui-ci ne peut que constater qu’elle n’a jamais existé. En outre, la nullité est prescriptible quand le non-écrit ne l’est pas.

Cet arrêt sanctionne une clause insérée pour mettre en échec le droit au renouvellement du bail : la sanction du non-écrit lui est applicable, alors même que le bail était en cours lorsque la loi Pinel du 18 juin 2014 a substitué le non-écrit à la nullité.

Il en résulte que le preneur peut faire constater le caractère non-écrit d’une telle clause, quand même l’action en nullité de celle-ci aurait été prescrite au jour d’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Une solution rigoureuse donc pour le bailleur mais qui se trouve dans la logique de la sanction du non-écrit : le preneur à qui la prescription biennale aurait été opposable, peut désormais à tout moment faire constater le caractère non-écrit d’une clause du bail commercial.

2 – Droit de préemption du preneur : pas pour les ventes sur autorité de justice

Civ. 3e, 30 novembre 2023, pourvoi n° 22‑17.505, FS-B

On le sait, les dispositions de l’article L. 145‑46-1 du code de commerce relatives au droit de préférence du locataire à bail commercial sont d’ordre public. Elles ne trouvent cependant application que lorsque le propriétaire d’un local commercial ou artisanal envisage de le vendre.

Tel n’est pas le cas dans l’hypothèse de vente sous autorité de justice : le droit de préemption du preneur à bail commercial n’a pas lieu de jouer. C’est le sens de l’arrêt qui avait été précédé d’une décision QPC (Civ. 3e, 15 décembre 2022, pourvoi n° 22-17.505), par laquelle la Cour régulatrice avait jugé qu’il existe une différence entre la situation du propriétaire d’un local qui envisage de le vendre et celle de la vente par adjudication, justifiant un traitement différencié.

Aucune atteinte non plus à la liberté entreprendre, dès lors que celle-ci n’entraîne aucun droit d’acquérir le bien loué dans lequel est exercée une activité commerciale ou artisanale, le locataire pouvant d’ailleurs se porter enchérisseur.

3 – Bail commercial et Covid 19 : une bonne nouvelle pour les restaurateurs

Civ. 3e, 30 novembre 2023, pourvoi n° 22‑14.594, FS-B

Un arrêt de nature à apporter un peu de baume au cœur des restaurateurs durement éprouvés par la crise sanitaire.

La troisième chambre civile a jugé que les conditions restrictives de réouverture en salle des restaurants et débits de boissons à compter du 22 juin 2020 (obligation d’accueillir les personnes à une place assise, de ne recevoir que des personnes venant ensemble ou ayant réservé ensemble, dans la limite de dix personnes, et de respecter une distance minimale d’un mètre entre les tables, sauf installation d’une paroi fixe ou amovible assurant une séparation physique) constituaient des mesures de police affectant l’activité du locataire.

En conséquence, si le preneur remplit les critères d’éligibilité posés l’article 14 de la loi n° 2020-1379, du 14 novembre 2020, il ne peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois suivant la fin de ces mesures, subir aucune action (acquisition de la clause résolutoire par exemple), sanction ou voie d’exécution forcée pour retard ou non‑paiement des loyers ou charges locatives dus.

4 – Exploitation d’une résidence tourisme : le bail renouvelé peut être résilié par le preneur à l’issue de la période triennale

Civ. 3e, 7 septembre 2023, pourvoi n° 21-14.279, FS-B

L’on sait que l’article L. 145-4, alinéa 1er, du code de commerce impose une durée minimale de 9 années pour les baux commerciaux. Cependant, l’alinéa 2 permet au preneur de donner congé à l’expiration d’une période triennale, toute stipulation contraire étant désormais exclue par la loi Pinel.

L’article L. 145-7-1 du code de commerce, dont la Cour de cassation a jugé qu’il était d’ordre public et applicable aux baux en cours (Civ. 3e, 9 février 2017, pourvoi n° 16-10.350), prévoit, par ailleurs, que les baux commerciaux signés entre propriétaires et exploitants de résidences de tourisme sont d’une durée de 9 ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale, ceci afin de protéger les propriétaires d’appartements en résidence de tourisme qui doivent les donner en location pendant une durée minimale de 9 ans pour bénéficier d’un avantage fiscal.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation précise, en s’appuyant sur les travaux parlementaires, que cette interdiction ne vaut que pour le bail initial et non les baux renouvelés qui peuvent ainsi être résiliés par le preneur à l’issue de la période triennale.

Une solution de compromis judicieuse qui a pour effet de ne pas bloquer les exploitants de résidence tourisme, tout en préservant l’avantage fiscal des propriétaires.

5 – Suspension de la clause résolutoire ordonnée en référé et défaut de respect de l’échéancier de règlement des arriérés de loyers : acquisition de la clause sans considération de la mauvaise foi du bailleur

Civ. 3e, 26 octobre 2023, pourvoi n° 22-16.216, FS-B

Un arrêt intéressant qui apporte un éclairage un peu inattendu sur l’incidence de la mauvaise foi du bailleur qui poursuit l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial. En principe, cette mauvaise foi paralyse le jeu de la clause.

Tel n’est pas le cas, décide la Cour régulatrice, quand la suspension de la clause résolutoire avait été prononcée par une ordonnance de référé, passée en force de chose jugée, ayant accordé un échéancier de règlement des arriérés de loyers au preneur.

Si le locataire ne le respecte pas, la clause est définitivement acquise, peu important la mauvaise foi du bailleur qui en demande le constat, alors même que l’arriéré de loyers encore dû est minime. La force de chose jugée de la décision rend ainsi indifférente la mauvaise foi du bailleur.

III – Baux ruraux

1 – Questions de prescription

Civ. 3e, 26 octobre 2022, pourvoi n° 21-24.231, FS-B

Civ. 3e, 16 novembre 2023, pourvoi n° 21-18.360, FS-B

Deux arrêts qui viennent donner d’utiles précisions sur la prescription des actions, d’une part, en nullité du bail rural pour contravention au contrôle des structures et, d’autre part, en requalification d’une convention de pâturage pluriannuelle en bail rural.

Le premier arrêt concerne l’action en nullité qu’encourt le preneur à bail rural qui n’a pas obtenu ou demandé l’autorisation administrative d’exploitation, laquelle conditionne la validité de son bail. La troisième chambre civile rappelle qu’en application des articles L. 331-6 et L. 331-7 du code rural et de la pêche maritime, l’exercice de l’action en nullité du bail rural, ouverte par l’article L. 331-6 du code rural et de la pêche maritime, suppose, dans tous les cas, que le locataire contrevenant au contrôle des structures ait été mis en demeure par l’administration de régulariser sa situation et que le délai qui lui était imparti soit expiré. Le point de départ de la prescription quinquennale de droit commun de l’action en nullité pour contravention au contrôle des structures, part du jour où le titulaire de l’action (préfet, bailleur, voire la SAFER) a connu ou aurait dû connaître qu’était expiré le délai imparti au locataire, dans la mise en demeure, pour régulariser sa situation.

Au bailleur donc d’agir dans les cinq ans suivant la mise en demeure – à condition bien sûr qu’il ait eu vent de sa délivrance, le préfet n’étant fâcheusement pas tenu de l’en aviser.

Le second arrêt concerne l’action en requalification d’une convention en bail rural. Il pose que si l’action en requalification en bail rural de la convention pluriannuelle de pâturage initiale se prescrit à compter de sa conclusion, l’action en requalification de chaque convention née ensuite par tacite reconduction se prescrit à compter de leurs prises d’effet.

Un arrêt donc favorable au preneur à bail rural qui dispose d’autant d’actions en requalification que de renouvellements de la convention initiale.

La solution s’appuie juridiquement sur le fait que la reconduction tacite fait naître un nouveau bail, principe désormais consacré aux articles 1214 et 1215 du code civil.

2 – Conclusion d’un bail rural et preneur âgé : circonstance indifférente

Civ. 3e, 26 octobre 2023, pourvoi n° 21-25.745, FS-B

Un fermier qui se trouve à moins de neuf ans de l’âge de la retraite peut conclure un bail rural, dont la durée ne peut être inférieure à dix-huit ans, sans possibilité au surplus d’y mettre fin avant le terme en usant de la faculté de résiliation annuelle prévue, lorsque le preneur a atteint l’âge de la retraite, par l’article L. 416-1 du code rural et de la pêche maritime.

Une solution opportune qui permet, comme souligné par la Haute juridiction, de renforcer la stabilité des exploitations, en considération de ce qu’un fermier n’est pas tenu de cesser son activité lorsqu’il atteint l’âge légal de la retraite et qu’il peut céder son bail au profit d’un membre de sa famille.

3 – Résiliation du bail rural, copreneurs et cessation d’exploitation par l’un d’eux

Civ. 3e, 30 novembre 2023, pourvoi n° 21‑22.539, FS-B

Cet arrêt procède à un revirement de jurisprudence, encore favorable à la stabilité des exploitations : la Cour de cassation, décide, contre sa jurisprudence antérieure (Civ. 3e, 4 mars 2021, pourvoi n° 20-14.141) que si l’article L. 411-35, alinéa 3, du code rural et de la pêche maritime prévoit que lorsqu’un des copreneurs du bail cesse de participer à l’exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par LRAR que le bail se poursuive à son seul nom.

Cette formalité ne constitue, pour le copreneur resté en activité, qu’une simple faculté, dont le non-usage ne constitue pas une infraction de nature à permettre la résiliation du bail.

Désormais, le défaut d’accomplissement de la formalité de l’envoi de la LRAR par le copreneur resté en place, ne constitue plus une contravention aux obligations du bail, de nature à justifier sa résiliation.

4 – Preneur ou copreneurs mettant le bien loué à la disposition d’une société sans plus l’exploiter : résiliation du bail, sans nécessité de prouver un préjudice

Civ. 3e, 12 octobre 2023, pourvoi n° 21-20.212, FS-B

Civ. 3e, 12 octobre 2023, pourvoi n° 21-22.101, FS-B

Par ces deux arrêts du même jour, la troisième chambre civile procède à une unification jurisprudentielle utile de principes classiques : le preneur et les copreneurs d’un bail rural peuvent apporter le bien loué à une société, mais à condition de continuer à l’exploiter, faute de quoi il s’agit d’une cession prohibée, sanctionnée par la résiliation du bail rural, peu important que le bailleur ait ou non subi un préjudice.

Le régime de sanction est désormais unifié en cas de mise à disposition consentie par des copreneurs (tous) ou bien par un preneur isolé.

Rien ne justifiait d’ailleurs que le preneur isolé soit mieux traité que des copreneurs dont l’un continuait à exploiter le bien loué.

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