Droit des sociétés & procédures collectives – Lettre n°9

L’essentiel

La lettre d’actualité poursuit la présentation des arrêts notables de la chambre commerciale de la Cour de cassation.

En droit des sociétés, trois importants arrêts ont en effet été rendus. Le premier précise que la demande de désignation d’un mandataire ad hoc chargé de réunir une assemblée générale en vue de la révocation du gérant de la SARL, doit être appréciée au regard du seul intérêt social (1). Le deuxième consacre la force du principe majoritaire exigé pour l’adoption d’une résolution de SAS (2). Le dernier ouvre une option de compétence en matière de plan de vigilance (3).

En procédures collectives, la Cour de cassation a rappelé des principes classiques en matière de résolution de plan de sauvegarde ou de redressement : hors les cas de cessation des paiements ou de défaut de règlement des dividendes du plan, pas de résolution, même dans l’hypothèse de cessation d’activité du débiteur (4). Ensuite, la Cour de cassation s’est prononcée quant aux conséquences, en termes d’établissement définitif d’une créance fiscale, du défaut d’avertissement, fait au comptable public, du dépôt imminent du rapport du mandataire (5). Par ailleurs, l’époux commun en biens codébiteur solidaire ne peut bénéficier de l’interdiction de reprise des poursuites individuelles après clôture de la liquidation pour insuffisance d’actif (6). Et l’appel formé par le ministère public du jugement d’ouverture étant suspensif, l’arrêt infirmatif constitue la décision d’ouverture, en sorte que la date de cessation des paiements ne peut remonter au-delà d’une période de 18 mois depuis l’arrêt (7). En outre, l’extension d’une procédure de redressement cesse logiquement avec la résolution du plan commun à tous les débiteurs (8). Enfin, l’interdiction de gérer est encourue par le dirigeant, quand même la date de cessation des paiements serait reportée à une date à laquelle il n’avait pas conscience de cet état (9).

DROIT DES SOCIETES

1 – SARL : conformité à l’intérêt social de la demande de désignation d’un mandataire ad hoc

Com. 15 décembre 2021, F‑B, n° 20‑12.307

Saisi par un associé détenant au moins la moitié des parts sociales d’une SARL, d’une demande de désignation d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale ayant pour ordre du jour la révocation du gérant, le juge doit apprécier cette demande au regard de l’intérêt social, sans pouvoir s’interroger sur la légitimité des motifs de la révocation envisagée. La réaffirmation de cette solution traditionnelle par la Cour de cassation est bienvenue, car un précédent arrêt (Com. 6 février 2019, inédit, n° 16‑27.560) avait semblé abandonner ce contrôle de la conformité à l’intérêt social.

2 – SAS : limitation de la liberté de rédaction des statuts à propos de l’adoption des résolutions

Com. 19 janvier 2022, FS-D, n° 19-12.696

Cet arrêt qui n’est pas publié, est pourtant de principe : les résolutions d’une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés, peu important les stipulations contraires des statuts. Ainsi, la liberté laissée par l’article L. 227‑9 al. 2 du code de commerce dans la rédaction des statuts trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires, ce qui implique l’application de la règle de la majorité ; une simple minorité qualifiée ne suffit pas.

Les praticiens devront veiller au respect de cette règle d’ordre public dans la rédaction des statuts d’une SAS et proscrire désormais les clauses permettant l’adoption de résolutions à la faveur d’une simple minorité qualifiée.

3 – Plan de vigilance et option de compétence

Com. 15 décembre 2021, FS‑B, n° 21-11.882

Cet arrêt consacre une nouvelle hypothèse d’option de compétence offerte au demandeur entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce. Le demandeur non‑commerçant qui exerce une action relative au plan de vigilance d’une SA peut saisir à son choix la juridiction commerciale ou la juridiction civile. Cette solution est devenue caduque quasi‑immédiatement, avec l’intervention de la loi n° 2021‑1729 pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021 qui a donné compétence, concernant les plans de vigilance, au tribunal judiciaire de Paris.

L’avenir dira cependant si la Cour de cassation a voulu donner une portée plus large à cet arrêt.

PROCEDURES COLLECTIVES

4 – Pas de résolution du plan de sauvegarde ou de redressement en dépit de la disparition du fonds de commerce

Com. 2 février 2022, FS‑B, n° 20‑20.199

Cet arrêt rappelle des principes désormais classiques en matière de résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement : celui-ci ne peut être résolu que si l’entreprise qui y est soumise n’a pas payé les dividendes du plan ou si elle a cessé ses paiements en cours d’exécution du plan. La disparition du fonds de commerce (en l’occurrence, une officine de pharmacie, expropriée des murs où le fonds était exploité, ce qui a entraîné la cessation d’activité) ne postule pas que l’une de ces hypothèses est remplie. En effet, une cessation temporaire d’activité n’empêche pas une reprise ultérieure de celle-ci.

5 – Etablissement définitif des créances fiscales déclarées à titre provisionnel et avertissement du comptable public par le mandataire

Com. 2 février 2022, FS‑B, n° 20‑16.985

Dans cet arrêt, la Cour de cassation combine plusieurs textes pour assoir le régime de la fixation définitive des créances fiscales. Ainsi, l’article L. 622‑24 du code de commerce prévoit que lorsqu’une procédure administrative d’établissement de l’impôt a été engagée, l’établissement définitif des créances déclarées à titre provisionnel doit être effectué avant le dépôt au greffe du compte-rendu de fin de mission par le mandataire judiciaire. Celui-ci doit cependant avertir le comptable public du dépôt de son compte-rendu de mission quinze jours au moins avant sa date (article R. 626‑39 du code de commerce). Si le mandataire n’a pas satisfait à cette obligation, le délai de forclusion de l’article L. 622‑24 n’est pas opposable au comptable public.


6 – Liquidation judiciaire : l’interdiction de reprise des poursuites individuelles ne profite pas à l’époux commun en biens et codébiteur solidaire

Com. 2 février 2022, F‑B, n° 20‑18.791

On le sait, après le prononcé d’une liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, aucune poursuite individuelle ne peut être reprise contre le débiteur, afin de lui permettre de se relever. Cette mesure de faveur ne profite cependant pas à son époux commun en biens, codébiteur solidaire d’un emprunteur objet d’une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif.

La solution est sévère pour le conjoint, mais parfaitement logique, celui-ci étant débiteur d’une obligation distincte de celle du débiteur en liquidation clôturée.


7 – Appel suspensif du ministère public en matière d’ouverture d’une procédure collective : effet quant à la fixation de la date de cessation de paiement

Com. 12 janvier 2022, F‑B, n° 20‑16.394

Lorsque le ministère public interjette appel d’un jugement d’ouverture d’une procédure collective, celui-ci est suspensif. Si cet appel aboutit à la réformation du jugement d’ouverture qui avait prononcé une liquidation simplifiée, et conduit à un arrêt ouvrant le redressement judiciaire, la cour d’appel ne peut fixer une date de cessation des paiements antérieure de plus de dix-huit mois à la date de son arrêt. Dans cette hypothèse, l’arrêt d’appel constitue la décision d’ouverture. Une solution parfaitement logique : le jugement d’ouverture de la procédure retenu pour remonter la date de cessation des paiements ne peut être le jugement de première instance, puisque son exécution provisoire a été suspendue.


8 – Extension d’un redressement judiciaire et résolution du plan

Com. 8 décembre 2021, FS‑B, n° 20‑17.766

L’arrêt procède à quelques rappels intéressants en matière d’extension d’un redressement judiciaire. Dans cette hypothèse, et si un plan unique été arrêté en faveur des débiteurs, l’extension de procédure cesse naturellement lorsque le plan est résolu. Il n’empêche cependant que la « jonction » des procédures de liquidation judiciaire ouvertes après la résolution du plan peut être prononcée, à condition toutefois que soit caractérisée l’existence d’une confusion des patrimoines : les juges ne peuvent alors se fonder que sur des faits nécessairement postérieurs au jugement arrêtant le plan et non au jugement de résolution de celui-ci. La solution s’impose : seuls des faits antérieurs au prononcé de la liquidation peuvent justifier l’extension de celle-ci.


9 – Responsabilité du dirigeant et conscience de l’état de cessation des paiements

Com. 12 janvier 2022, F‑B, n° 20‑21.427

Une décision rigoureuse pour les dirigeants : un dirigeant qui a retardé sa déclaration de cessation des paiements, alors même qu’il n’était plus en état de régler ses dettes fiscales, sociales et de salaire depuis plusieurs mois, peut être condamné à une interdiction de gérer, quand même la date de cessation des paiements serait reportée 18 mois avant le dépôt de bilan, date à laquelle le dirigeant n’avait pas conscience de l’état de cessation des paiements de son entreprise. Cette solution se veut pragmatique et tend à inciter les dirigeants sociaux à respecter le délai de 45 jours pour déposer le bilan.

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