Droit et déontologie de l’avocat – Lettre n°10

L’essentiel

La lettre d’actualité propose un panorama des décisions de la Cour de cassation en matière de droit et déontologie de l’avocat, qui pour la plupart, sont des rappels de solutions classiques. La Cour de cassation valide l’interdiction du port du voile avec la robe (1). En matière d’honoraires, elle affirme pour la première fois le non-cumul d’un même honoraire de résultat en première instance et en appel (2). Tombe sous le coup de la prohibition du pacte de quota litis, l’honoraire de diligence manifestement dérisoire par comparaison à l’honoraire de résultat (3). La Haute Cour rappelle que la preuve de la convention d’honoraires est libre (4) et accorde toute efficacité à la clause qui stipule la rémunération de l’avocat en cas de dessaisissement (5). Elle retient toujours une compétence limitée du juge de l’honoraire (6). Elle reconnaît le droit à l’avocat sous dépendance économique de son client, de faire annuler la convention d’honoraires pour abus (7) et les conséquences de la révocation du mandat par le client ne sont indemnisées qu’en cas d’abus de droit (8). Enfin, elle impose à l’avocat rédacteur d’acte, une obligation lourde de mise en garde (9).

COSTUME D’AUDIENCE

1 – Le port de signes distinctifs par les avocats : l’affaire du voile

Civ. 1re, 2 mars 2022, FP-B+R, n° 20-20.185

Dans cet arrêt destiné à être commenté dans son rapport annuel, la Cour de cassation vient de valider l’interdiction édictée dans le règlement intérieur du barreau de Lille du port, avec la robe, de tout signe manifestant une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique. Elle juge que l’interdiction est, d’une part, nécessaire pour parvenir au but légitime poursuivi, à savoir la protection de l’indépendance de l’avocat et le droit à un procès équitable, et d’autre part, adéquate et proportionnée à l’objectif recherché, et ce hors toute discrimination.

Dans les faits, le conseil de l’ordre des avocats au barreau de Lille avait modifié son règlement intérieur, en y ajoutant cette interdiction pour répondre au problème qu’avait révélé une élève avocate de confession musulmane, qui avait revendiqué le droit de porter un foulard à sa prestation de serment, au nom de sa liberté religieuse.

L’arrêt reconnaît aux conseils de l’ordre, en l’absence de disposition réglementaire édictée par le CNB, la possibilité de réglementer le costume professionnel ; la double exigence de la nécessité et de la proportionnalité dessine la restriction de la liberté de porter des signes distinctifs qui peut être imposée aux avocats, parce qu’ils sont des auxiliaires de justice concourant au service public de la justice.

La CEDH pourrait être saisie de cette affaire, à suivre donc. Rappelons que depuis le 1er février 2022, le délai pour saisir la CEDH est fixé à 4 mois, suivant la date de la décision interne définitive rendue dans une affaire, contre 6 mois auparavant.

A noter que la Cour de cassation a jugé que lorsqu’un avocat porte sur sa robe les insignes des distinctions républicaines, telles celles de l’ordre du mérite et de la légion d’honneur, aucune rupture d’égalité entre les avocats n’est constituée, ni aucune violation des principes essentiels de la profession (Civ. 1re 24 octobre 2018, n° 17-26.166).

HONORAIRES

2 – La règle « une instance, un honoraire de résultat »

Civ. 2e, 8 juillet 2021, F-B, n° 20-10.850

La Cour de cassation refuse la possibilité à un avocat qui a obtenu un honoraire de résultat en première instance, de prévoir en appel un nouvel honoraire de résultat calculer sur une base de calcul identique. Elle pose le principe que « l’honoraire de résultat prévu par convention préalable n’est dû par le client à son avocat que lorsqu’il a été mis fin à l’instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable ».

C’est la première fois que la Cour de cassation précise que l’honoraire de résultat n’est pas dû de manière cumulative lorsque le résultat obtenu en appel est identique à celui obtenu en première instance.

3 – La prudence est de mise dans la fixation de l’honoraire de diligence

Civ. 2e, 10 novembre 2021, F-B, n° 19-26.183

Pour défendre les intérêts d’une journaliste devant la commission arbitrale des journalistes dans un litige prud’homal, une convention fixait l’honoraire de l’avocat à 120 € TTC et un honoraire de résultat.

Après avoir fait gagner à la cliente 67.000 €, l’avocat a reçu 10 % de cette somme. A la demande de la cliente, le premier président a jugé la convention d’honoraires illicite et a fixé à la somme de 1.200 € TTC le montant des honoraires dus en fonction des diligences accomplies.

L’arrêt commenté rejette le pourvoi de l’avocat en rappelant deux solutions classiques. Tout d’abord, la convention d’honoraires est nulle dès lors que l’honoraire de diligence revêt un caractère manifestement dérisoire par comparaison à l’honoraire de résultat, tombant sous le coup de la prohibition du pacte de quota litis.

Ensuite, l’arrêt rappelle que « la règle selon laquelle, le client qui a librement payé les honoraires d’avocat après service rendu ne peut plus les contester, ne s’applique que lorsque le paiement est effectué en toute connaissance de cause ». Or tel n’est pas le cas, dit la Haute Cour, lorsque la convention d’honoraires a été annulée, de sorte que le juge taxateur peut fixer le montant de la rémunération en fonction des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 que sont la situation de fortune du client, la difficulté de l’affaire, les frais, la notoriété et les diligences de l’avocat.

La solution certes fondée en droit, fait la part belle au client qui ayant accepté un honoraire de résultat tout à fait raisonnable, le remet en cause en arguant d’un honoraire fixe faible qu’il a également accepté.

4 – La preuve de l’honoraire de résultat en l’absence de convention écrite

Civ. 2e, 16 décembre 2021, F-B, n° 20-15.875

L’arrêt rappelle que le défaut de signature d’une convention d’honoraires ne prive pas l’avocat du droit de percevoir un honoraire de résultat convenu en son principe, après service rendu.

Face à des clients ayant obtenu gain de cause et refusant de payer une somme importante, L’avocat saisit le bâtonnier avec pour seule preuve de l’accord intervenu, l’attestation d’un confrère qui avait assisté à un rendez-vous avec les clients. Ces derniers déposent plainte pour fausse attestation et le premier président considère que l’accord s’il peut n’être que tacite, doit toutefois être certain et que la plainte empêche de retenir l’attestation comme preuve. Sans surprise, la cassation est prononcée au motif que le premier président ne pouvait dénier toute valeur probante à une attestation, au seul motif qu’elle faisait l’objet d’une plainte pénale. La  solution est logique : la plainte ne préjuge pas de la valeur probante de l’attestation tant que le juge pénal ne s’est pas prononcé.

5 – L’honoraire en cas de dessaisissement de l’avocat : la stipulation contractuelle s’applique

Civ. 2e, 27 mai 2021, F-B, n° 19-23.733

L’on sait que le dessaisissement de l’avocat avant la fin de sa mission emporte caducité de la convention d’honoraires dans toute son étendue. Si l’avocat veut éviter le retour à l’application des critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971, il doit donc veiller à fixer les règles de sa rémunération en cas de dessaisissement dans la convention.

Dans cette affaire, le premier président avait refusé d’appliquer une telle stipulation au motif que l’avocat avait été dessaisi avant qu’il soit mis fin à l’instance par un acte ou une décision irrévocable. La Cour de cassation désapprouve et retient que le dessaisissement de l’avocat avant la fin à l’instance, ne fait pas obstacle à l’application de la convention d’honoraires portant sur le montant de l’honoraire de diligence, lorsqu’elle a prévu les modalités de cette rémunération en cas de dessaisissement.

La Cour de cassation avait déjà retenu une telle solution en ce qui concerne l’honoraire de résultat (Civ. 2e, 4 février 2016, n° 14-23.960).

Pour rappel, la Cour de cassation a retenu que l’avocat doit informer son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l’évolution prévisible de leur montant. L’avocat doit donc avertir son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et l’inexécution de cette obligation l’expose à verser des dommages-intérêts (Civ. 1re, 23 septembre 2020, n° 19-13.214). Dans cette affaire, le client qui avait dessaisi son avocat, se plaignait de ce qu’il n’avait pas été informé qu’en cas de dessaisissement la convention d’honoraires serait caduque et que l’avocat pourrait donc lui réclamer un honoraire fixé selon les critères de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971.


6 – La compétence limitée du juge de l’honoraire

Civ. 2e, 10 novembre 2021, F-B, n° 20-14.433

L’arrêt rappelle que la procédure de contestation des honoraires d’avocats concerne les seules contestations relatives au montant et au recouvrement de leurs honoraires, à l’exclusion, notamment, de celles afférentes à la désignation du débiteur de l’honoraire. Ainsi, le premier président, saisi d’une contestation relative à l’identité du débiteur des honoraires, doit surseoir à statuer dans l’attente de la décision de la juridiction compétente pour en connaître.
 
Dans cette affaire, une avocate avait été sollicitée par un confrère pour défendre son frère qui était en garde à vue. Après avoir accompli toutes les diligences, elle a envoyé sa facture à ce confrère qui a refusé de la régler au motif que le seul client était son frère.
 
Le premier président a condamné ce confrère sans surseoir à statuer. La Cour de cassation censure donc, mais la solution constante a pour inconvénient de multiplier les procédures et de décourager les avocats.


7 – La convention d’honoraires peut être annulée pour abus par le client, de la dépendance économique de l’avocat

Civ. 2e, 9 décembre 2021, F-PB, n° 20-10.096

L’affaire est insolite en ce que l’annulation de la convention d’honoraires a été demandée par l’avocat, mais non coupée d’une réalité inquiétante.

L’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (l’AGS) avait confié à un avocat, la défense de ses intérêts dans une série de plusieurs centaines de dossiers concernant un même employeur. En appel, l’AGS propose de lui confier ces dossiers, mais écarte la tarification par dossier appliquée en première instance et propose un honoraire forfaitaire de 90.000 € pour la procédure d’appel, que l’avocat en difficultés financières du fait de la gestion de ce contentieux hors norme, accepte. Le bâtonnier annule la convention et fixe le montant des honoraires à 350.000 €. Le premier président confirme en retenant que l’avocat était en difficulté financière et donc dépendant de son client. L’AGS se pourvoit en cassation et oppose que la profession d’avocat est une profession libérale et indépendante en sorte que l’avocat ne saurait se placer en situation de dépendance économique vis-à-vis de l’un de ses clients.

Au rejet, la Cour de cassation énonce que s’il résulte des textes que l’avocat doit en toutes circonstances être guidé dans l’exercice de sa profession par le respect de ces principes de son serment et veiller à préserver son indépendance, ces textes ne sauraient priver l’avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son client, du droit, dont dispose tout contractant, d’invoquer un consentement vicié par la violence, pour invoquer la nullité de l’accord d’honoraires.

Cette affaire est une illustration de ce que sera dorénavant l’application du nouvel article 1143 du code civil qui prévoit qu’« Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

MANDAT

8 – La révocation du mandat par le client : une indemnisation seulement en cas d’abus de droit

Civ. 2e, 10 novembre 2021, F-B, n° 20-15.361

La jurisprudence refuse, de façon constante, d’accorder aux avocats la protection conférée par les dispositions de l’article L. 442-1, II du code de commerce en matière de rupture brutale d’une relation commerciale établie, au nom du principe d’incompatibilité de la profession avec toute activité commerciale. Toutefois, il est possible de rechercher la réparation du préjudice causé par la rupture sur le fondement civil de la révocation abusive du mandat. L’arrêt illustre toutefois la difficulté à obtenir une indemnisation sur ce terrain. Il ressort des faits que la perte du client institutionnel, ici une banque ayant confié un contentieux sériel, avait entraîné des conséquences rigoureuses. Mais l’arrêt écarte tout abus de droit de la part du client dont la liberté de rompre reste de principe.

Il est conseillé, si cela est possible, en raison de la difficulté à établir l’abus de droit, de rédiger de façon précise la lettre de mission et de contractualiser les conditions de la rupture.

RESPONSABILITE PROFESSIONNELLE

9 – La responsabilité lourde de l’avocat rédacteur d’acte : le devoir de mise en garde

Civ. 2e, 10 novembre 2021, FS-B, n° 20-12.235

Des clients informés par la préfecture qu’ils occupaient le domaine public sans droit ni titre, ont assigné en responsabilité leur avocat chargé de la cession du fonds de commerce, lui reprochant d’avoir manqué à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde, en ne les alertant pas sur le caractère précaire des concessions situées sur le domaine public. La cour d’appel a écarté tout manquement de l’avocat : selon elle, la dénomination des actes de concession, annexés à l’acte de vente, était claire.
 
La Cour de cassation censure : l’avocat rédacteur d’acte est tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d’une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues et l’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s’y attachent.

L’avocat à l’instar du notaire, doit donc faire de nombreuses vérifications au-delà de la seule efficacité de l’acte rédigé et se prémunir en consignant toutes les informations dans l’acte.

Restez informé

Renseignez votre e-mail pour recevoir nos prochaines lettres d'actualité.