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Droit Fiscal – Lettre n°25

L’essentiel

Le Conseil d’Etat, la Cour de cassation et la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ont récemment rendu en matière fiscale plusieurs arrêts qui méritent l’attention.

En matière de contrôle fiscal d’abord, le Conseil d’Etat vient de préciser les contours de l’abus de droit (I).

En matière d’imposition des résultats de l’entreprise, il rappelle le régime fiscal des « punitive damages » (II.1) tandis que la CEDH juge que le dispositif de majoration en cas de non-adhésion à un organisme de gestion agréé ne repose pas sur une « base raisonnable » (II.2).

En matière d’imposition des particuliers, Le Conseil d’Etat se prononce sur l’objet de la taxe sur les métaux précieux, bijoux et objets d’art (III.1) et condamne une partie de la doctrine administrative relative au plan d’épargne en actions (III.2).

En matière d’imposition du chiffre d’affaires de l’entreprise, il assouplit les conditions formelles d’application de la TVA sur marge (IV).

En matière d’imposition du capital, le Conseil d’Etat interprète les dispositions relatives au calcul de la valeur ajoutée servant de base à la CVAE (V.1) et la notion d’usage agricole en matière de TFPB (V.2). La Cour de cassation, quant à elle, précise les modalités de mise en œuvre de l’article 885 R du CGI applicable à l’ISF, (V.3) et celles de l’article 787 B du CGI applicable aux droits de mutations à titre gratuit (V.4).

Enfin, en matière de fiscalité internationale, le Conseil d’Etat précise le régime de l’article 238 A du CGI (VI.1) et celui de l’article 119 bis 2 du CGI (VI.2).

I – Contrôle fiscal

CE, 9e et 10e ch., 12 décembre 2023, n° 470038

En vertu de l’article L. 64 du LPF, « Afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».

Ainsi, pour caractériser l’abus de droit par fraude à la loi, convient-il de réunir deux conditions qui renvoient au but de l’acte, qui doit être exclusivement fiscal et qui doit conduire à rechercher le bénéfice d’une application littérale d’un texte à l’encontre des objectifs poursuivis par son auteur, et une autre condition qui a trait à son effet, l’administration fiscale ne pouvant invoquer l’existence d’un abus de droit que si l’acte litigieux a permis la réalisation d’une économie fiscale.

Cette dernière condition relative à l’effet de l’acte a été notamment rappelée par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Pharmacie des Chalonges (CE, 5 mars 2007, n° 284457). Elle ne doit cependant pas être confondue avec la question, distincte, de l’existence d’une voie non abusive permettant de parvenir au même résultat fiscal.

Le Conseil d’Etat profite ainsi de cette décision pour juger, de façon inédite, que la circonstance que le contribuable aurait pu, en opérant d’autres choix fiscaux que ceux qu’il a faits, parvenir au même résultat que celui obtenu par l’interposition jugée artificielle d’une société à l’étranger, « était sans incidence sur l’existence d’un montage artificiel et sur le droit de l’administration de l’écarter comme ne lui étant pas opposable ».

On peut donc désormais affirmer que dans la mesure où un contribuable est libre du choix à retenir, s’il choisit la voie abusive, il ne peut plus remettre en cause a posteriori ce choix de gestion qui lui est opposable.

II – Imposition des résultats des entreprises

1 – Sanctions et pénalités exclues des charges déductibles

CE, plén., 8 décembre 2023, n° 458968

En vertu de l’article 39, 2 du CGI, « Les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôt ». Sont visées les sanctions pécuniaires et pénalités mises à la charge des contrevenants à des obligations légales quelle que soit leur nature, qu’il s’agisse d’obligations légales en matière de législation fiscale, douanière, sociale, du travail, de la concurrence ou des prix (BOI-BIC-CHG-60-20-20, 12 sept. 2012, §30 et 40).

Etaient en l’espèce concernés, des « punitive damages », ou dommages et intérêts punitifs, prononcés par un tribunal fédéral américain. Le Conseil d’Etat, privilégiant l’objet des sommes en cause, constate que ces dommages et intérêts ne se contentent pas de compléter des dommages et intérêts purement compensatoires, de sorte qu’ils auraient la nature d’un complément d’indemnité accordé à la victime, mais présentent un caractère punitif ayant pour ambition de dissuader le contrevenant de réitérer les faits à l’origine du préjudice. Il en conclut que cet objet confère aux « punitive damages » le caractère d’une sanction pécuniaire non déductible, tout en réservant cependant l’hypothèse où « cette sanction a été prononcée en contrariété avec la conception française de l’ordre public international ».

On observera à ce titre que le juge judiciaire a déjà pu juger que le principe d’une condamnation à des « punitive damages » n’était pas, en soi, contraire à l’ordre public, à moins que le montant alloué soit disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur (Cass. Civ. 1re, 1er décembre 2010, n° 09-13.303).

2 – Conformité du dispositif de majoration en cas de non-adhésion à un organisme de gestion agréé, à l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales

CEDH, 7 décembre 2023, n° 26604/16, Waldner c/ France

En vertu de l’article 158, 7 du CGI, « Le montant des revenus et charges énumérés ci-après, retenu pour le calcul de l’impôt selon les modalités prévues à l’article 197, est multiplié par un coefficient de 1,25. Ces dispositions s’appliquent : 1° Aux titulaires de revenus passibles de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux ou des bénéfices agricoles, réalisés par des contribuables soumis à un régime réel d’imposition : a) Qui ne sont pas adhérents d’un centre de gestion, association ou organisme mixte de gestion agréés définis aux articles 1649 quater C à 1649 quater K ter […] ».

La Cour juge en l’espèce que « la méthode choisie par le législateur français pour atteindre le but qu’il s’était fixé, à savoir assurer le paiement de l’impôt au moyen d’une majoration de l’assiette de l’impôt dû par les non-adhérents à une association agréée – à laquelle l’adhésion n’est pourtant pas obligatoire […] ne repose pas suffisamment sur une “base raisonnable” car contraire à la philosophie générale du système basé sur les déclarations du contribuable présumées faites de bonne foi et correctes ».

Et d’ajouter, « le taux de majoration de 25% entraîne une surcharge financière disproportionnée à l’encontre du requérant » de sorte que « cette méthode, telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, a rompu le juste équilibre qui doit exister entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu » et viole ainsi les dispositions de l’article 1er du protocole additionnel n° 1.

Les contribuables professionnels n’ayant pas adhéré à un organisme de gestion agréé et qui se seraient vu appliquer la majoration de 25 % par l’administration fiscale, peuvent ainsi en réclamer le remboursement au titre des années 2020, 2021 et 2022. Une telle démarche est à entreprendre avant le 31 décembre 2023 concernant l’année d’imposition 2020.

III – Imposition des particuliers

1 – Plus-value des particuliers et objet de la taxe sur les métaux précieux, bijoux et objets d’art

CE, 9e et 10e ch., 12 décembre 2023, n° 470249, min. c/ Sté Paris Heure

Aux termes de l’article 150 VI du CGI « sont soumises à une taxe forfaitaire dans les conditions prévues aux articles 150 VJ à 150 VM les cessions à titre onéreux […] : / 1° De métaux précieux ; / 2° De bijoux, d’objets d’art, de collection ou d’antiquité ».

Aucune définition des « bijoux » n’a cependant jamais été consacrée, que ce soit par le législateur ou par la doctrine administrative. Le Conseil d’Etat veille, en l’espèce, à combler cette lacune en reprenant la définition consacrée par le dictionnaire de l’Académie française.

Ainsi, un bijou est désormais défini, pour l’application de la taxe sur les métaux précieux, comme tout « objet ouvragé, précieux par la matière ou par le travail, destiné à être porté à titre de parure ». Et comme il est précisé que le caractère précieux peut venir du travail, il est ajouté que le bijou n’est pas nécessairement composé de métaux précieux.

2 – Revenus de capitaux mobiliers et PEA, traitement des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise.

CE, 3e et 8e ch., 8 décembre 2023, n° 482922

La doctrine administrative relative aux modalités de fonctionnement et de gestion des PEA exclut certains titres du PEA, afin d’éviter tout cumul d’avantages fiscaux.

Sont notamment visés, en vertu de l’article L. 222-31 du code monétaire et financier, les « bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) ainsi que les titres souscrits en exercice de ces bons » (BOI‑RPPM‑RCM‑40‑50‑20‑20, 25 sept. 2017, §540) qui ne peuvent donc pas bénéficier du dispositif d’exonération aménagé sous l’article 157, 5° bis du CGI.

Sont également concernés certains titres, en fonction de leur nature. Ainsi, depuis le 1er janvier 2014, « les droits ou bons de souscription ou d’attribution ne peuvent plus être inscrits sur un PEA », cette disposition ayant pour effet « non seulement d’interdire l’inscription dans le plan de ces droits et bons, mais également des actions qu’ils permettent d’acquérir ou souscrire. En effet, ces droits ou bons ne peuvent être ni inscrits, ni exercés, ni cédés dans le plan » (BOI‑RPPM-RCM-40-50-20-20, 25 sept. 2017, §585).

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre le refus d’abroger ces dispositions, le Conseil d’Etat juge en l’espèce que ni les dispositions de l’article L. 222-31 du code monétaire et financier, « ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne font obstacle à ce que les sommes versées sur ce plan soient employées pour l’acquisition, en exercice de tels bons, de titres éligibles au plan », de sorte que « les commentaires attaqués ajoutent incompétemment aux dispositions législatives qu’ils ont pour objet d’expliciter ».

Il enjoint donc au ministre de procéder à l’abrogation des mots « ainsi que les titres souscrits en exercice de ces bons » au paragraphe n° 540 et le deuxième alinéa du paragraphe n° 585 des commentaires administratifs publiés le 25 septembre 2017.

IV – Imposition du chiffre d’affaires de l’entreprise

CE, 9eet 10ech., 12 décembre 2023, n° 466239, Sté Lefebvre Petrenko

Un revendeur de biens d’occasion, d’œuvres d’art ou d’objets de collection ou d’antiquité peut appliquer la TVA sur la marge bénéficiaire.

Pour bénéficier de ce régime, le droit de l’Union (Cons. UE, dir. 2006/112/CE du 28 nov. 2006, art. 226), comme le droit interne (CGI, art. 289, II et Ann. II, art. 242 nonies A), fixent les mentions obligatoires devant figurer sur les factures.

Le Conseil d’Etat juge cependant en l’espèce que même si la facture d’achat ne comporte pas toutes les mentions requises, le revendeur ne perd pas la possibilité de calculer la taxe sur la marge dès lors qu’il justifie que les conditions de fond autorisant une telle base d’imposition sont bien remplies. Il doit, ainsi, établir la nature des biens livrés et justifier les avoir achetés dans l’Union européenne à un autre assujetti-revendeur appliquant également la TVA sur marge (Cons. UE, dir. 2006/112/CE du 28 nov. 2006, art. 314) ou à un non-redevable de la TVA ou à une personne qui n’est pas autorisée à facturer la TVA sur cette livraison (CGI, art. 297 A).

Cette faculté de pallier aux carences formelles par le respect des conditions de fond a déjà été retenue par le Conseil d’Etat dans le cadre de l’exercice du droit à déduction (CE, 15 juin 2023, n° 460576, Sté Groupe TSF).

Elle est désormais étendue aux revendeurs de biens d’occasion, d’œuvres d’art ou d’objets de collection ou d’antiquité qui calculent la TVA dont ils sont redevables sur leur marge bénéficiaire.

V – Imposition du capital

1 – Impôts locaux – CVAE, loyers à exclure des charges déductibles

CE, 9e et 10e ch., 12 décembre 2023, n°470624, Min. c/ Sté Eqiom Bétons

Pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la valeur ajoutée est égale, selon l’article 1586 sexies, I, 4 du CGI « à la différence entre a) d’une part le chiffre d’affaires […] b) et d’autre part, […] les services extérieures […] à l’exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois […] », de sorte que sont exclus des charges à déduire du chiffre d’affaires imposable, les loyers afférents aux biens corporels pris en location pour plus de six mois.

Le Conseil d’Etat juge en l’espèce, contrairement à ce qu’avaient fait les juges du fond qui s’étaient livrés à une lecture stricte du dispositif limitée aux seuls loyers, que les prestations accessoires à la mise à disposition des biens doivent également, le cas échéant, être compris dans les loyers à exclure des charges déductibles pour le calcul de la base d’imposition à la CVAE.

Plus précisément, il distingue les prestations accessoires à la mise à disposition des biens, qui doivent être regardées comme des loyers, des prestations distinctes, fournies en complément de la mise à disposition de biens corporels et des prestations accessoires, qui ne doivent pas l’être.

Ainsi, « en jugeant que les dépenses de loyers, non déductibles de la valeur ajoutée servant au calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, s’entendaient strictement, à l’exclusion de l’ensemble des prestations et frais annexes à cette location mais compris dans le coût global facturé par le prestataire, et en en déduisant que pouvaient être déduits de la valeur ajoutée la part des coûts des contrats ne correspondant pas à “la stricte location des camions”, sans rechercher si les frais annexes à déduire correspondaient effectivement à des prestations distinctes fournies en complément de la mise à disposition des véhicules et non à des prestations accessoires à celle-ci, la cour a commis une erreur de droit ».

Et d’ajouter, « En cas de facturation globale, il appartient au preneur d’établir, par tous moyens, la fraction du prix qui correspond à ces prestations distinctes », de sorte que l’on peut considérer que la facturation globale de l’ensemble des prestations ne fait pas obstacle à l’extraction, le cas échéant, du prix de la prestation distincte.

Il appartient simplement à l’entreprise concernée d’apporter tous les éléments permettant de l’évaluer.

2 – Impôts locaux – TFPB des exploitations agricole et notion d’usage agricole

CE, 3e et 8e ch., 4 décembre 2023, n°461395, Sté Union des caves coopératives du secteur de Saint-Chinian

L’article 1382, 6° du CGI exonère de taxe foncière sur les propriétés bâties « les bâtiments qui servent aux exploitations rurales […] ». Ces derniers sont définis par la doctrine administrative comme les « bâtiments qui sont affectés de manière permanente et exclusive à un usage agricole » (BOI-IF-TFB-10-50-20-10, 8 juin 2022, §10), c’est-à-dire qui sont affectés à « la réalisation d’opérations qui s’insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale ou qui constituent le prolongement de telles opérations » (BOI-IF-TFB-10-50-20-10, §100. V. ég. CE, 30 mai 2018, n° 402919).

Dans ce dernier cas de figure, pour savoir si un bâtiment est affecté à un usage agricole, le critère déterminant est la provenance des produits transformés. En effet, « une activité de transformation des produits d’une exploitation agricole s’inscrit dans le prolongement de l’activité agricole dès lors qu’elle n’implique pas l’adjonction, dans des proportions substantielles, de produits qui ne sont pas issus de l’activité agricole » (BOI-IF-TFB-10-50-20-10, §180).

Ces principes ont déjà été appliqués en matière vinicole. Le Conseil d’Etat a ainsi pu juger qu’une activité d’achat de raisins à des viticulteurs, de vinification et d’élevage de vin et une activité d’achat de vin jeune en vrac élevé jusqu’à sa mise en bouteille ne constituent pas le prolongement ou l’accessoire d’une activité agricole pouvant être exonérée (CE, 20 nov. 2013, n° 360562). Il a, de même, considéré que si le pressurage et la vinification de raisins, qui ne s’inscrivent pas dans le cycle biologique de la production végétale, peuvent être regardés comme des opérations en constituant le prolongement lorsque le producteur transforme le raisin qu’il a produit, il n’en va pas de même lorsqu’il transforme, outre son propre raisin, du raisin acheté à des tiers viticulteurs dans une proportion importante (CE, 14 oct. 2015, n° 378329, Sté Champagne Pierre Gerbais).

C’est exactement l’hypothèse de la présente affaire où la cave coopérative ne se bornait pas à assembler, embouteiller, conditionner et commercialiser le vin de ses adhérents, mais assemblait également des vins achetés à des producteurs tiers avec ceux de ses adhérents, avant de les conditionner et de les commercialiser.

Il est relevé en outre que ces achats auprès de producteurs tiers étaient importants et représentaient plus de 30 % des achats de la coopérative.

C’est donc à bon droit que le juge du fond a pu considérer que « l’activité de cette société ne pouvait pas être regardée comme constituant le prolongement d’opérations qui s’insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale, au sens du a du 6° de l’article 1382 du code général des impôts, et qu’il en a déduit que les immeubles lui appartenant ne pouvaient être considérés comme affectés à un usage agricole au sens de ces mêmes dispositions et que, dès lors, ils ne pouvaient bénéficier de l’exonération prévue au b du 6° du même article ».

On notera enfin que le Conseil d’Etat a refusé de prendre en compte le fait que ces achats réalisés au près de producteurs tiers étaient « nécessaires pour améliorer la qualité des vins produits par ses adhérents ».

3 – ISF et location en meublé professionnelle (LMP)

Cass., Com., 20 décembre 2023, n° 22‑17.612

En vertu de l’article 885 R du CGI, désormais abrogé, « Sont considérés comme des biens professionnels au titre de l’impôt de solidarité sur la fortune, les locaux d’habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux, qui, inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels, réalisent plus de 23 000 € de recettes annuelles et retirent de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels le foyer fiscal auquel elles appartiennent est soumis à l’impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l’article 62 ».

La Cour de cassation précise en l’espèce qu’il convient de retenir, pour apprécier la condition relative aux fait que les recettes tirées de l’activité de loueur en meublé doivent excéder les revenus professionnels du foyer, non les recettes brutes mais le bénéfice industriel et commercial net annuel dégagé par cette activité, afin de permettre la comparaison avec l’ensemble des revenus professionnels du foyer fiscal, y compris le bénéfice tiré de la location.

On notera que cette précision avait déjà été apportée par l’administration fiscale dans une réponse ministérielle KERT (JOAN n°114639 du 6 mars 2007, p. 2426).

4 – Mutations à titre gratuit et engagement individuel de conservation des titres

Cass., Com., 29 novembre 2023, n° 21‑25.329

En vertu de l’article 787 B du CGI, sont exonérées de droit de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d’une société transmises par décès, entre vifs ou, en pleine propriété, à un fonds de pérennité lorsqu’un certain nombre de conditions sont remplies.

Ainsi notamment, les actionnaires doivent prendre collectivement l’engagement, pour eux et leurs ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée minimale de deux ans en cours au jour de la transmission. Il est prévu que les associés de l’engagement collectif de conservation peuvent effectuer entre eux des cessions ou donations des titres soumis à l’engagement.

Chacun des héritiers, donataires ou légataires doit ensuite prendre individuellement l’engagement, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée minimale de six ans (aujourd’hui quatre ans). L’article 787 B du CGI précise que cet engagement commence à être décompté dès que prend fin l’engagement collectif.

En l’espèce, les actionnaires avaient bien pris collectivement l’engagement, pour eux et leurs héritiers, de conserver les actions de la société pendant deux ans mais presque simultanément, deux des actionnaires avaient fait donation d’une partie de leurs actions à leurs enfants, lesquels avaient pris individuellement à leur tour l’engagement de garder les titres pendant six ans.

La Cour de cassation rappelle alors que si, comme l’autorise l’article 787 B du CGI, les associés de l’engagement collectif de conservation peuvent effectuer entre eux, pendant la période d’engagement collectif, des cessions ou donations des titres soumis à l’engagement, ils ne peuvent le faire, sauf à perdre le bénéfice de l’exonération des droits de mutation, à des héritiers, donataires ou légataires, s’agissant des titres pour lesquels ils ont souscrit un engagement individuel, quand bien même ils seraient par ailleurs ayants cause des parties à l’engagement collectif.

VI – Fiscalité internationale

1 – Déduction des rémunérations versées dans un paradis fiscal

CE, 9e et 10e, 12 décembre 2023, n° 464740, Sté Pro’Confort

Aux termes du premier alinéa de l’article 238 A du CGI, « Les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, dépôts et cautionnements, les redevances de cession ou concession de licences d’exploitation, de brevets d’invention, de marques de fabrique, procédés ou formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l’établissement de l’impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu’elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré ».

Aux termes du deuxième alinéa du même article, dans sa rédaction applicable aux exercices en litige, « Pour l’application du premier alinéa, les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l’Etat ou le territoire considéré si elles n’y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies ».

Ainsi, si la loi autorise l’administration fiscale à refuser la déduction de certains revenus versés à un bénéficiaire installé dans un pays au régime fiscal privilégié, elle exige préalablement de cette dernière qu’elle justifie du caractère privilégié de ce régime.

Elle doit, dans cette perspective, exposer les taux d’imposition pratiqués dans le pays en cause, ainsi que les modalités d’imposition des revenus tirés de l’activité exercée par le bénéficiaire (CE, 24 avril 2019, n° 413129, Sté Control Union Inspections France), sans omettre les autres impositions directes sur les bénéfices et revenus prévues par la législation du pays de résidence (CE, 29 juin 2020, n° 433937, SARL Bernys).

Le Conseil d’Etat précise dans cet arrêt la démarche qui doit être entreprise par l’administration fiscale. Plus précisément, « Il lui appartient d’apporter tous éléments circonstanciés sur le traitement fiscal effectif auquel est soumis ce bénéficiaire dans le pays où il est domicilié ou établi » ou, à défaut, « sur les modalités selon lesquelles y sont imposées des activités du type de celles qu’il exerce », en prenant en compte, dans un cas comme dans l’autre, « l’ensemble des impositions directes sur les bénéfices ou les revenus ».

Autrement dit, le Conseil d’Etat rappelle que l’administration fiscale doit rechercher la situation réelle du bénéficiaire ou, à défaut, le régime fiscal dont il relève dans le pays de résidence.

2 – Revenus de capitaux mobiliers et retenue à la source sur dividendes reversés à des non-résidents

CE, plén., 8 décembre 2023, n°472587, Fédération française bancaire

L’article 119 bis 2 du CGI prévoit que les produits des actions et des parts sociales donnent lieu à l’application d’une retenue à la source dont le taux est fixé par l’article 187 « lorsqu’ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France ».

Or, l’administration fiscale a publié le 15 février 2023 au bulletin officiel des finances publiques‑Impôts, sous la référence BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10, des commentaires administratifs relatifs à ce dispositif énonçant que la retenue à la source sur les produits d’actions et de parts sociales et les revenus assimilés instituée par cet article « s’applique aux revenus considérés dans la mesure où ils bénéficient à des personnes qui n’ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France » et précisant « A cet égard, la retenue à la source s’applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c’est-à-dire la personne qui a le droit d’en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France ».

Le Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir par la Fédération française bancaire, considère que les dispositions de l’article 119 bis 2 du CGI « ne sauraient être interprétées comme prévoyant que sont soumises à retenue à la source des distributions dont le titulaire est une personne ayant son domicile fiscal ou son siège en France, lorsque les sommes en cause sont reversées, en tout ou en partie, à une personne ne satisfaisant pas à cette condition et regardée par l’administration comme en étant le bénéficiaire effectif ».

Et d’affirmer, « l’administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarter comme ne lui étant pas opposable l’interposition, entre l’établissement payeur et la personne non résidente qu’elle regarde comme le bénéficiaire effectif des revenus en cause, d’une personne résidente titulaire du droit de percevoir des distributions ».

Les commentaires attaqués ajoutent donc incompétemment aux dispositions législatives qu’ils ont pour objet d’éclairer et devront être annulés.

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