Nicolas Boullez avocat aux conseils à Paris

Droit immobilier- Lettre n°4

L’essentiel

Dans ses récents arrêts, la troisième Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé sa jurisprudence en matière d’assurance dommage-ouvrage (Civ. 3e, 8 décembre 2021, n° 20-18.540) d’assurance constructeur (Civ. 3e, 17 novembre 2021, n° 20-16.771) et de notion d’ouvrage (Civ. 3e, 10 novembre 2021, FS-B, n° 20-20.294). Elle a réaffirmé le caractère contradictoire de la réception (Civ. 3e, 20 octobre 2021, n° 20-20.428). Il doit cependant être noté un important revirement de jurisprudence en ce que l’assureur dommages-ouvrage doit répondre à toute déclaration de sinistre dans le délai de soixante jours imparti, à défaut il ne peut invoquer la prescription biennale (Civ. 3e, 30 septembre 2021, n° 20-18.883). Le sous-traitant est tenu d’exécuter le marché faute d’avoir usé des sanctions légales (Civ. 3e, 10 novembre 2021, n° 20-19.372). Le commandement n’est pas exigé pour la résiliation du bail commercial en cas de liquidation judiciaire du preneur (Civ. 3e, 24 novembre 2021, D, n° 20-20.973).

Responsabilité et assurance des constructeurs

1 – Assurance dommages-ouvrage : rappel des principes

Civ. 3e, 8 décembre 2021, F-B, n° 20-18.540
L’arrêt rappelle qu’en vertu de l’article L. 242-1, alinéas 3 et 5, du code des assurances (dans sa version issue de la loi n° 2008-735 du 28 juillet 2008) l’assureur qui ne notifie pas à l’assuré, dans un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat, ne peut plus contester le principe de sa garantie et doit indemniser l’assuré des dépenses nécessaires à la réparation des dommages résultant du sinistre déclaré.
Toutefois, l’arrêt enseigne utilement que les juges du fond, pour faire supporter des frais de reprise à l’assureur dommages-ouvrage, doivent caractériser que les travaux effectués étaient nécessaires à la réparation du sinistre déclaré.

2 – Revirement de jurisprudence : toute déclaration de sinistre doit faire l’objet d’une réponse dans le délai de soixante jours imparti à l’assureur dommages-ouvrage

Civ. 3e, 30 septembre 2021, FS-B, n° 20-18.883
Dans cet arrêt destiné à une large diffusion, la Cour de cassation précise que désormais l’assureur dommages-ouvrage est tenu de répondre dans le délai de soixante jours à toute déclaration de sinistre, même lorsqu’il estime que les désordres sont identiques à ceux précédemment dénoncés et que, à défaut, il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date de la seconde déclaration.
L’arrêt censure la cour d’appel pour avoir déclaré irrecevables les demandes des maîtres d’ouvrage, après avoir constaté que les désordres faisant l’objet de la seconde déclaration de sinistre étaient exactement identiques à ceux dénoncés par la première et pour lesquels les maîtres d’ouvrage étaient prescrits. Or, cela ne dispensait pas l’assureur de son obligation de répondre dans le délai de soixante jours à la seconde déclaration de sinistre.
L’arrêt incite donc l’assureur à donner une réponse à toute déclaration de sinistre, y compris lorsque celle-ci lui semble identique à la déclaration précédente.

3 – Assurance de responsabilité du constructeur : conditions d’opposabilité de l’exclusion d’une activité accomplie par le constructeur

Civ. 3e, 17 novembre 2021, FS-B, n° 20-16.771
La Cour de cassation décide, au visa de l’ancien article 1134, alinéa 3, du code civil et de l’article L. 112-3 du code des assurances, que si la garantie de l’assureur ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur, lorsque l’assureur dénie sa garantie en invoquant une clause des conditions particulières du contrat d’assurance qui exclut de la garantie souscrite l’activité accomplie par le constructeur, il lui incombe de rapporter la preuve que cette clause a été portée à la connaissance de l’assuré et qu’il l’a acceptée.
Si la jurisprudence se montre encline à faire prévaloir la liberté contractuelle des parties dans la délimitation de l’objet de la police, qu’elle apprécie strictement, elle exige que l’assureur rapporte la preuve que l’assuré a bien eu connaissance de ce périmètre contractuel, notamment par la production d’une police, avenant compris, signée (Cass. civ. 3, 21 janvier 2021, n° 19-20.699, FS-P+I).

4 – Notion d’ouvrage : rappel à propos de travaux de terrassement

Civ. 3e, 10 novembre 2021, FS-B, n° 20-20.294
Une entreprise avait entrepris des travaux de terrassement en vue de la construction d’un ouvrage. Un glissement de terrain s’en était suivi affectant le fonds voisin. Condamné à indemniser son propriétaire, le maître de l’ouvrage avait recherché la garantie de l’entreprise sur le fondement de la garantie décennale. Il a été débouté au motif que les travaux réalisés ne constituent pas un ouvrage au sens de l’article 1792 du code civil.
La Cour de de cassation décide que la cour d’appel qui constate que l’entreprise a réalisé des travaux de terrassement et d’aménagement du terrain, qui n’incorporaient pas de matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction, que la viabilisation avait été effectuée par une autre entreprise et que le glissement s’était produit avant la réalisation de tout ouvrage, retient à bon droit que les travaux réalisés n’entraient pas dans les prévisions de l’article 1792 du code civil.
L’arrêt rapporté s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation. De manière générale, sont des ouvrages, les travaux de construction immobilière qui ” font appel aux techniques du bâtiment ” (Civ. 1re, 26 févr. 1991, n° 89-11.563).

5 – La réception des travaux : respect du contradictoire

Civ. 3e, 20 octobre 2021, FS-B, n° 20-20.428
Au cas particulier, un maître d’ouvrage a confié des travaux de rénovation d’un chalet à une entreprise, sous la maîtrise d’œuvre complète d’un architecte. La réception a eu lieu en présence du maître de l’ouvrage et de l’architecte, sans que l’entreprise ne soit convoquée. Condamné à indemniser le maître de l’ouvrage en raison de malfaçons, le maître d’œuvre et son assureur ont recherché la garantie de l’assureur de l’entreprise, cette dernière étant en liquidation judiciaire. À cette fin, ils ont demandé aux juges du fond de reconnaître qu’une réception tacite opposable à l’entreprise est intervenue concomitamment à la réception expresse. Subsidiairement, ils ont demandé que soit prononcée la réception judiciaire. Selon leur pourvoi, la réception expresse n’interdit pas la possibilité d’une réception tacite, laquelle était présumée par la prise de possession des lieux et le fait qu’aucune somme ne soit réclamée par l’entrepreneur, cette présomption étant renforcée par l’existence d’une réception expresse même non opposable. Le rejet est prononcé.
La Cour de cassation constate que la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage a été concrétisée par la signature d’un procès-verbal de réception avec l’architecte caractérisant la réception expresse. Elle approuve la cour d’appel d’en avoir déduit que la demande visant à prononcer la réception tacite à l’égard de l’entreprise qui n’a pas été convoquée à la réception expresse, doit être rejetée en ce qu’elle vise à contourner l’exigence du respect du contradictoire. Enfin, elle estime que la cour d’appel n’est pas tenue de répondre à des conclusions inopérantes sur le prononcé d’une réception judiciaire, qui doit être contradictoire, dès lors que le liquidateur du constructeur n’a pas été appelé à l’instance.
L’arrêt enseigne que la réception tacite à l’égard d’un constructeur n’a pas lieu d’être si la volonté du maître de l’ouvrage s’est exprimée à l’égard d’un autre constructeur. Ainsi, l’ouvrage est réceptionné à l’égard d’un constructeur, mais non à l’égard d’un autre. L’arrêt admet le morcellement de la réception peu respectueux de l’unicité de la réception énoncée à l’article 1792-6 du code civil.

Marché privé de travaux

6 – La preuve de la commande de travaux

Civ. 3e, 17 novembre 2021, FS-B, n° 20-20.409
La somme réclamée au titre des travaux supplémentaires dépassant le montant de 1500 euros, la preuve de la commande doit être rapportée par écrit en l’absence d’un commencement de preuve par écrit émanant du maître de l’ouvrage.
L’arrêt illustre la nécessité pour l’entrepreneur de se ménager la preuve de la commande par le maître de l’ouvrage des travaux qu’il exécute.

7 – Le sous-traitant doit exécuter le marché à défaut d’avoir usé des sanctions légales

Civ. 3e, 10 novembre 2021, FS-B, n° 20-19.372
La Cour de cassation au visa des articles 3 et 14 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance rappelle qu’en application du premier de ces textes, la méconnaissance par l’entreprise principale de son obligation de faire accepter le sous-traitant et agréer ses conditions de paiement par le maître de l’ouvrage ouvre au sous-traitant une faculté de résiliation unilatérale pendant toute la durée du contrat, lequel doit recevoir application lorsque la sanction légale n’a pas été mise en œuvre. Selon le second, à peine de nullité du sous-traité, sauf délégation du maître de l’ouvrage au sous-traitant, l’entrepreneur principal doit garantir le paiement de toutes les sommes dues au sous-traitant par une caution personnelle et solidaire, le cautionnement devant être préalable ou concomitant à la conclusion du contrat de sous-traitance.
Il résulte de la combinaison de ces textes que, si le sous-traitant n’use pas de la faculté de résiliation unilatérale qui lui est ouverte par l’article 3 de la loi précitée et n’invoque pas la nullité de celui-ci sur le fondement de l’article 14 de la même loi, le contrat doit recevoir application.
Au cas particulier, l’entrepreneur principal n’avait pas respecté les obligations afférentes à la sous-traitance et le sous-traitant avait suspendu ses prestations. En riposte, l’entreprise principale a résilié le marché. La Cour de cassation a désapprouvé la cour d’appel qui pour juger abusive la résiliation par l’entreprise principale du contrat de sous-traitance, a retenu que la suspension de ses travaux par le sous-traitant, faute pour celui-ci de disposer d’un cautionnement valable garantissant l’exécution de la fin du chantier, fondée sur le bénéfice de la protection légale résultant des articles 3 et 14 de la loi précitée, ne constitue pas un abandon de chantier.
Ainsi, le sous-traitant ne peut se contenter de suspendre ses travaux ; il doit soit user de la faculté de résiliation unilatérale, soit invoquer la nullité du contrat ; à défaut de mettre en œuvre ces sanctions légales, le contrat de sous-traitance doit recevoir application sous peine de résiliation à ses torts du contrat de sous-traitance.

8 – Construction de maison individuelle : protection renforcée du maître de l’ouvrage

Civ. 3e, 10 novembre 2021, FS-B, n° 20-19.323
La Cour de cassation rappelle que la mention, dans la notice descriptive annexée au contrat de construction de maison individuelle, du coût des travaux dont le maître de l’ouvrage se réserve l’exécution, a pour but d’informer celui-ci du coût global de la construction et de lui éviter de s’engager dans une opération qu’il ne pourra mener à son terme. Il en résulte que le constructeur doit supporter le dépassement du prix des travaux qu’il n’a pas chiffrés de manière réaliste. Ainsi la cour d’appel, qui a retenu que des travaux réservés par le maître d’ouvrage étaient insuffisamment chiffrés dans la notice descriptive, en a exactement déduit que le constructeur devait prendre en charge leur coût, déduction faite de celui mentionné dans la notice.

Bail commercial

9 – Absence d’indemnité d’occupation en cas de local inexploitable

Civ. 3e, 3 novembre 2021, FS-B, n° 20-16.334
L’arrêt énonce qu’il résulte de l’article 1304 ancien du code civil, qu’en cas d’annulation d’un bail pour un motif étranger au comportement du preneur, l’indemnité d’occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux, et que dès lors, si le locataire n’a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n’est pas redevable d’une indemnité d’occupation.
Au cas présent, la bailleresse avait consenti un bail pour un local impropre à sa destination contractuelle, de sorte qu’en suite de l’annulation du contrat de bail pour erreur sur la substance en raison de ce fait, le locataire ne pouvait être condamné au paiement d’une indemnité d’occupation, et il importe peu que la bailleresse ait été privée de la jouissance de son bien jusqu’à la remise des clés.

10 – Le locataire doit informer le bailleur de l’apparition de vices en cours de bail

Civ. 3e, 13 octobre 2021, FS-B, n° 20-19.278
Sans préjudice de l’obligation continue d’entretien de la chose louée, les vices apparus en cours de bail et que le preneur était, par suite des circonstances, seul à même de constater, ne sauraient engager la responsabilité du bailleur que si, informé de leur survenance, celui-ci n’a pris aucune disposition pour y remédier.

11 – Résiliation du bail en cas de liquidation judiciaire du preneur : le commandement n’est pas exigé

Civ. 3e, 24 novembre 2021, D, n° 20-20.973
En application de l’article L. 641-12, 3° du code de commerce, le bailleur peut demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail des immeubles utilisés pour l’activité de l’entreprise pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l’article L. 622-14 du même code.
Par ailleurs, selon l’article R. 641-21, alinéa 2 du code du commerce le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus à l’article L. 641-12, ainsi que la date de cette résiliation.
En l’espèce, la question posée était de savoir si le commandement de payer prévu à l’article L. 145-41 du code de commerce, inséré dans le livre II de ce code consacré aux sociétés commerciales, s’appliquait aussi à la constatation de la résiliation du bail telle que prévue aux articles L. 641-12 et L. 622-14 insérés dans le livre VI traitant des difficultés des entreprises.
La Cour de cassation décide que lorsque le juge-commissaire est saisi sur le fondement de l’article L. 641-12, 3° du code de commerce, d’une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l’article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l’acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail.
Le bailleur n’est donc pas dans l’obligation de délivrer au liquidateur, un commandement de payer visant la clause résolutoire.

Bail d’habitation

12- À défaut de congé délivré par le bailleur, le bail verbal est tacitement reconduit

Civ. 3e, 17 novembre 2021, FS-B, n° 20-19.450
Il résulte de l’article 10, alinéas 1 à 3, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 que le bail verbal portant sur un logement à usage d’habitation principale conclu par des bailleurs personnes physiques, en SCI familiale ou en indivision, l’est pour une durée au moins égale à trois ans, et en absence de congé valablement donné par les bailleurs, ce contrat parvenu à son terme est reconduit tacitement par périodes triennales.

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