Droit Immobilier – Lettre n°11

L’essentiel

La nouvelle lettre d’actualité présente trois mois de jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation. En matière de troubles de voisinage, tout d’abord, la Haute Cour rappelle que la responsabilité sans faute pèse de plein droit sur l’acquéreur de l’immeuble générateur des troubles, même si ceux-ci sont antérieurs à la vente, dès lors qu’ils ont persisté (1).

Concernant le bail d’habitation, la Cour de cassation se prononce en matière de congé pour reprise : les nouvelles conditions du droit de reprise du bailleur s’appliquent immédiatement aux baux en cours (2) et ce droit appartient au seul usufruitier à l’exclusion du nu-propriétaire qui n’a pas la qualité de bailleur (3). S’agissant du bail commercial, si le bailleur est tenu d’entretenir les lieux et d’en assurer la jouissance paisible au locataire commercial, il n’a pas à en garantir la commercialité, à défaut de stipulation particulière (4). Et, l’élément d’une clause d’indexation prévoyant une variation du loyer seulement à la hausse, est réputé non-écrit en raison du déséquilibre significatif créé (5).

En matière de vente d’immeuble, l’acquéreur peut se rétracter par un simple courriel envoyé au notaire, dès lors que ce dernier en atteste la réception (6). Pour la première fois, il est affirmé que l’option ouverte à l’acquéreur au profit duquel la rescision a été admise, doit être exercée par lui seul, dans le délai imparti par le juge ou, à défaut, dans un délai raisonnable (7). Enfin, il est rappelé que le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés est un délai de forclusion insusceptible de suspension, mais qui peut être interrompu par une demande en justice (8).

Dans le contentieux de la construction, la clause du contrat de maitrise d’œuvre qui prescrit une médiation obligatoire préalablement à toute saisine du juge, est abusive à l’égard d’un maître d’ouvrage profane, sauf au professionnel à démontrer le contraire (9). Et la clause d’exclusion de solidarité, pourtant admise jusqu’à présent, est écartée lorsque le manquement de l’architecte a contribué à la survenance de l’entier dommage subi par le maître d’ouvrage (10). La Haute Juridiction précise ce qu’il faut entendre par réception partielle de l’ouvrage (11). C’est au maître d’ouvrage sollicitant la garantie décennale qu’il incombe d’établir le caractère caché du vice ou de la non-conformité au jour de la réception (12). Enfin, la Cour de cassation apporte une nouveauté en matière de recours récursoire en garantie des vices cachés du constructeur contre son vendeur de matériaux ou d’éléments d’équipement viciés : le délai biennal part du jour où le constructeur est recherché, mais le délai quinquennal « butoir » est désormais également suspendu jusqu’à cette date, au bénéfice du droit d’accès au juge (13).

RESPONSABILITE DU TROUBLE ANORMAL DE VOISINAGE

1 – Le nouveau propriétaire assume les troubles antérieurs à la vente

Civ. 3e, 16 mars 2022, FS-B, n° 18-23.954

Cet arrêt rappelle des principes bien connus en matière de trouble anormal de voisinage et en fait une application à l’hypothèse de la vente de l’immeuble se trouvant à l’origine du trouble. L’action ouverte au voisin est de nature délictuelle et pèse de plein droit, sans faute, sur le propriétaire de l’immeuble engendrant le trouble. L’acquéreur de l’immeuble est tenu pour responsable de l’entier dommage, dès lors que le trouble a persisté après la vente, peu important que l’origine et l’apparition de celui-ci soient antérieures à la vente. Et, l’assureur « dégâts des eaux » de l’acquéreur est tenu à garantie, dès lors que la cause génératrice du dommage s’est poursuivie après la date de prise d’effet de l’assurance.

BAIL D’HABITATION

2 – Le congé pour reprise : l’application immédiate de la loi Alur au bail en cours au moment de son entrée en vigueur

Civ. 3e, 9 février 2022, FS-B, n° 21-10.388

Depuis la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite loi Alur, le bailleur peut reprendre le bien loué pour certains bénéficiaires sans attendre le terme du bail. Il doit justifier d’un motif réel et sérieux et en cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes.

L’arrêt apporte un éclaircissement nécessaire : l’article 15-I de la loi du 6 juillet 1989, dans sa version issue de la loi Alur s’applique immédiatement au congé délivré après son entrée en vigueur même si le bail a été conclu antérieurement. La solution n’était pas évidente ; la cour d’appel avait opté pour le principe de survie de la loi ancienne, par dérogation au principe de l’application immédiate de la loi nouvelle, aux effets futurs et non achevés des contrats en cours.

Mais en définitive, la Cour de cassation a choisi la règle selon laquelle « la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ». Il s’agit d’une exception à la règle de la survie de la loi ancienne pour rendre à nouveau immédiatement applicable la loi nouvelle aux effets futurs et non encore produits d’un contrat conclu antérieurement : ce sera le cas chaque fois que le juge estimera que le contenu du contrat est fixé de façon tellement impérative par la loi que le contrat échappe aux parties pour le rapprocher d’une situation légale. Ainsi, en l’espèce, la faculté offerte au juge, par la loi Alur, de vérifier la réalité du motif du congé et de l’invalider constitue un « effet légal » du bail et s’applique immédiatement au congé pour reprise donné, après l’entrée en vigueur de la loi, aux baux en cours.

3 – Le congé pour reprise : le nu-propriétaire ne peut pas donner congé au locataire

Civ. 3e, 26 janvier 2022, FS-B, n° 20-20.223

La Haute juridiction rappelle que seul l’usufruitier ayant la qualité de bailleur, peut délivrer un congé pour reprise au locataire et les conditions de la validité de ce congé ne peuvent être appréciées qu’au regard du lien existant entre le bénéficiaire de la reprise et l’usufruitier. Et si le nu-propriétaire s’est à tort chargé de cette formalité, la fin de non-recevoir qui en résulte ne peut être régularisée que par l’intervention de l’usufruitier à titre principal et non accessoire, pour se substituer au nu propriétaire et élever des prétentions pour son propre compte, et ainsi permettre d’écarter la fin de non-recevoir opposée par le locataire.

BAIL COMMERCIAL

4 – Le bailleur propriétaire du centre commercial n’est pas tenu d’assurer la commercialité des lieux loués

Civ. 3e, 15 décembre 2021, FS-B, n° 20-14.423

Cet arrêt vise un bail commercial de lieux exploités dans un centre commercial. La solution dégagée est conforme à la jurisprudence classique : le bailleur d’un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire, n’est pas tenu d’assurer la bonne commercialité du centre, à défaut de clause particulière. A cet égard, ne pèse sur le bailleur qu’une obligation de moyens et non de résultat. Le preneur n’a donc aucun recours contre le bailleur, dans l’hypothèse d’échec de son commerce, sauf s’il peut se prévaloir d’un manquement du bailleur à son obligation d’entretien des lieux ou à son devoir d’assurer une jouissance paisible de la chose louée.

5 – La clause d’indexation à la hausse : seule la variation à la hausse est réputée non écrite

Civ. 3e, 12 janvier 2022, FS-B, n° 21-11.169

Cet important arrêt pose en principe qu’est réputée non écrite, en raison du déséquilibre significatif créé entre les parties, toute clause d’indexation du loyer ne jouant qu’en cas de variation à la hausse de l’indice de référence. Et cette sanction n’atteint que la partie de la clause d’indexation qui emporte le déséquilibre significatif, à défaut d’indivisibilité entre les diverses stipulations de la clause d’indexation, et ce peu important que cette clause constituait une condition essentielle et déterminante du consentement du bailleur, ce fait ne suffisant pas à caractériser l’indivisibilité de toutes les stipulations.

VENTE D’IMMEUBLE

6 – L’exercice du droit de rétractation de l’acquéreur est possible par courriel

Civ. 3e, 2 février 2022, FS-D + B, n° 20-23.468

L’arrêt est important car il semble introduire un assouplissement des conditions d’exercice de son droit de rétractation par l’acquéreur d’un bien immobilier. L’article L. 271-1, alinéa 2 du code de la construction et de l’habitation prévoit que la faculté de rétractation doit être exercée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La cour d’appel avait retenu que l’envoi d’un courriel n’avait pas permis aux acquéreurs d’exercer régulièrement leur droit de rétractation. La Haute Cour censure : la cour d’appel aurait dû rechercher si l’envoi par courriel adressé au notaire chargé de la rédaction de l’acte de vente et mandaté par le vendeur pour recevoir l’éventuelle notification de la rétractation, offrait des garanties équivalentes à la lettre AR dès lors que ce notaire avait attesté l’avoir reçu. En effet, il n’y a pas de raison d’écarter a priori l’usage de l’écrit électronique, qui a la même force probante que l’écrit support papier si son auteur peut être identifié et s’il peut être établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité (article 1366 du code civil). Toutefois, on ne conseillera pas à l’acquéreur de se rétracter par courriel, même envoyé au notaire, car cela le mettrait à la merci de l’officier ministériel, libre d’attester ou non de la bonne réception du courriel.

7 – L’action en rescision pour lésion : l’exercice de l’option par l’acquéreur doit se faire dans un délai raisonnable

Civ. 3e, 5 janvier 2022, FS-B, n° 20-18.918

L’on sait qu’aux termes de l’article 1681 du code civil, « dans le cas où l’action en rescision est admise, l’acquéreur a le choix ou de rendre la chose en retirant le prix qu’il en a payé, ou de garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total ». Pour la première fois, l’arrêt pose que l’exercice de cette option appartient au seul acquéreur qui en a seul l’initiative et doit l’exercer dans le délai ouvert par la décision ayant admis la lésion ou, à défaut, dans un délai raisonnable. En pratique, il est conseillé au vendeur de demander au juge appelé à prononcer la rescision, de fixer lui-même ce délai raisonnable dans le jugement. À défaut, le vendeur pourrait officiellement demander à l’acquéreur de prendre parti, en lui impartissant un délai raisonnable à cette fin.

8 – L’action en garantie des vices cachés : délai de forclusion et interruption

Civ. 3e, 5 janvier 2022, FS-B, n° 20-22.670

Cet arrêt rappelle que le délai de deux ans prévu à l’article 1648 du code civil est un délai de forclusion qui, comme tel, est insusceptible de suspension. Néanmoins, en application de l’article 2242 du code civil, il peut être interrompu par une assignation en référé, cette interruption produisant son effet jusqu’à l’extinction de l’instance, soit jusqu’au prononcé de l’ordonnance de référé. A cette date, un nouveau délai de deux ans court, qui peut à nouveau être interrompu.

RESPONSABILITE DES CONSTRUCTEURS

9 – La clause de médiation obligatoire conclue entre le maître d’ouvrage profane et le professionnel de la construction est présumée abusive

Civ. 3e, 19 janvier 2022, FS-B, n° 21-11.095

L’arrêt est d’importance ; il rappelle en l’appliquant à l’architecte, que la clause convenue entre un professionnel et un consommateur, qui oblige celui-ci à recourir à une médiation avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à démontrer le contraire. Selon l’article R 632 1 du code de la consommation, le juge a l’obligation de rechercher d’office le caractère abusif de cette clause, lequel est établi si le professionnel n’a pas – ou n’est pas parvenu – à démontrer le contraire. La solution est conforme au droit de la consommation et correspond bien à l’esprit du recours à un mode alternatif de règlement des litiges qui, s’il n’est pas prescrit par la loi, doit être volontaire. En matière de construction, le maître d’ouvrage n’a certainement pas intérêt à retarder la saisine du juge, notamment lorsqu’une expertise s’impose.

10 – Revirement de jurisprudence : la clause d’exclusion de solidarité prévue au contrat de maîtrise d’œuvre peut être réputée non écrite

Civ. 3e, 19 janvier 2022, FS-B, n° 20-15.376

Encore un arrêt important qui, cette fois, prive d’effet la clause d’exclusion de solidarité stipulée dans un contrat d’architecte. Alors que la Cour de cassation avait admis la validité de cette clause qui excluait toute solidarité de l’architecte et partant sa condamnation in solidum (Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.995), l’arrêt commenté revient clairement sur cette jurisprudence : le maître d’ouvrage ne pourra voir son préjudice limité par une telle clause à l’égard de l’architecte et de son assureur, étant réputée non écrite lorsque le manquement de l’architecte aura contribué à la survenance de l’entier dommage.

11 – Réception de l’ouvrage : les conditions de la réception partielle des travaux

Civ. 3e, 16 mars 2022, FS-B, n° 20-16.829

La Cour de cassation pose en principe que la réception de travaux qui ne constituent pas des tranches indépendantes ou ne forment pas un ensemble cohérent ne vaut pas réception au sens de l’article 1792-6 du code civil. Dans cette espèce, la rénovation d’un hôtel comprenant rez de chaussée et deux étages, était restée inachevée. La Haute Cour refuse de considérer que la réception du rez-de-chaussée et du premier étage constituait une véritable réception susceptible de déclencher les garanties légales, dès lors qu’il ne s’agissait pas de lots et que l’ensemble était resté inachevé. Les professionnels veilleront ainsi à préciser dans le procès-verbal de réception, lorsque l’ouvrage n’est pas achevé, que celle-ci concerne un lot ou une tranche de travaux indépendante, la Cour de cassation ayant notamment appuyé sa décision sur le fait que rien de tel n’était mentionné dans le procès-verbal.

12 – La garantie décennale : la charge de la preuve du caractère non apparent du désordre incombe au maître de l’ouvrage

Civ. 3e, 2 mars 2022, FS-B, n° 21-10.753

Un rappel bienvenu de la charge de la preuve : si la responsabilité décennale est due de plein droit, sans autre preuve que celle du vice affectant la partie d’ouvrage sur laquelle le constructeur recherché est intervenu, il incombe néanmoins au maître d’ouvrage (ou à l’acquéreur de l’ouvrage) d’établir la réunion des conditions d’application de l’article 1792 du code civil et notamment que le vice ou la non-conformité n’était pas apparent au jour de la réception. La Cour de cassation sanctionne ici une cour d’appel qui avait jugé qu’il incombait au constructeur d’établir que la non conformité était, pour un maître d’ouvrage profane, apparente à la réception.

13 – L’action récursoire du constructeur : point de départ de la prescription de l’action en garantie des vices cachés

Civ. 3e, 16 février 2022, FS-B, n° 20-19.047

On le sait, la question du double délai dans lequel est enserrée l’action en garantie des vices cachés a donné lieu, ces deux dernières années, à une jurisprudence abondante et parfois un peu confuse. La Cour de cassation donne ici une précision importante : le constructeur condamné à raison des vices affectant les matériaux ou les éléments d’équipement qu’il a mis en œuvre, doit pouvoir exercer, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés, sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant avant qu’il ait été lui-même assigné par le maître d’ouvrage. Enseignement de l’arrêt : le délai de forclusion biennal de l’action en garantie des vices cachés court contre le constructeur qui veut se retourner contre le vendeur des matériaux viciés, à compter du jour où il est recherché par le maître d’ouvrage, ce qui n’est pas nouveau, mais le délai quinquennal qui, classiquement, court depuis la vente, est suspendu jusqu’à ce que la responsabilité du constructeur soit recherchée. Le second délai quinquennal est ainsi paralysé, sous la double considération que le constructeur est tenu de plein droit et qu’il convient de conserver son recours récursoire. Cette solution sera-t-elle circonscrite au droit de la construction ou sera-t-elle étendue aux chaînes de vente, ce qui aurait pour effet de bouleverser l’état du droit positif ? L’avenir le dira.

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