Droit pénal et procédure pénale – Lettre n°6

L’essentiel

Les praticiens du droit pénal seront intéressés par les décisions du Conseil constitutionnel qui étendent le champ d’application du droit au silence (30 sept. 2021, n° 2021-934, QPC et n° 2021-935, QPC), ce qui fait écho à sa consécration par le législateur (Loi n° 2021-1729 du 22 déc. 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire). La Chambre criminelle, quant à elle, a limité l’interdiction du cumul de qualifications pour les mêmes faits dans le cadre de poursuites concomitantes (Crim. 15 déc. 2021, n° 21-81.864), a précisé l’exigence d’un contrôle de l’OPJ d’une perquisition effectuée en enquête préliminaire par un APJ (Crim. 7 déc. 2021, n° 20-82.733) et a réaffirmé que la présence d’un tiers lors d’une interpellation et la publication d’actes de procédure ne suffisent pas à caractériser une violation du secret de l’instruction (Crim. 19 oct. 2021, n° 21-81.569). L’exigence posée par le Conseil constitutionnel d’une protection effective pour les tiers de bonne foi en cas de peine complémentaire de confiscation, a été légalement consacrée (Loi n° 2021-1729 du 22 déc. 2021). La Chambre criminelle a précisé à nouveau les conditions d’admission du fait justificatif de l’usage d’une arme par un fonctionnaire de police (Crim. 6 oct. 2021, n° 21-84.295). Enfin, il a été jugé qu’une fonction religieuse, même bénévole, est une fonction professionnelle et sociale pouvant être interdite dans le cadre d’une mesure de contrôle judiciaire ou d’une peine complémentaire (Crim. 4 nov. 2021, n° 21-80.413 et n° 21-85.144). Bonne lecture !

1 – L’apport du Conseil constitutionnel : l’extension du champ d’application du droit au silence

Cons. const. 30 septembre 2021, n° 2021-934, QPC et n° 2021-935, QPC

Par ces deux décisions, le Conseil constitutionnel juge que la personne traduite devant le juge des libertés et de la détention, appelé à statuer sur une mesure de détention provisoire dans le cadre d’une procédure d’instruction (art. 145 CPP) ou d’une convocation par procès-verbal devant le tribunal correctionnel (art. 340 CPP), doit être informée de son droit de se taire.

Ces deux solutions renforcent l’extension, amorcée par la Chambre criminelle et le Conseil constitutionnel, de la notification du droit de se taire à tous les stades de la procédure pénale (V. not. Cons. const. 4 mars 2021, n° 2020-886, QPC ; Crim. 24 févr. 2021, n° 20-86.537 ; 10 févr. 2021, n° 20-86.310 et n° 20-86.32 ; 9 févr. 2021, n° 20-86.53). Elles doivent être approuvées, dès lors qu’il ne peut être admis qu’une mesure puisse conduire une personne à reconnaître les faits qui lui sont reprochés et à s’incriminer en violation du principe de la présomption d’innocence.

2 – Précision sur le champ d’application du droit au silence

Crim. 17 novembre 2021, n° 21-80.567

Opérant un revirement de jurisprudence, la Chambre criminelle a jugé que le droit de se taire doit être notifié à la personne comparaissant devant la chambre de l’instruction dès lors qu’elle peut faire des déclarations permettant à des juridictions de prononcer son renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité (Crim. 24 févr. 2021, n° 20-86.537).

Dans l’arrêt cité, elle contribue à l’essor du droit de se taire en précisant les hypothèses dans lesquelles, lors de certaines auditions de la personne mise en cause dans une affaire pénale, la notification du droit de se taire s’impose ou non.

En l’espèce, elle retient que les dispositions de l’article 406 du code de procédure pénale relatives au droit de se taire devant les juridictions pénales ne sont pas applicables devant la juridiction correctionnelle lorsque celle-ci est appelée à se prononcer uniquement sur les peines. Cette solution mérite approbation : dès lors que seule la peine est en cause, l’intéressé n’a pas à se défendre sur les charges et ne peut plus s’auto-incriminer.

3 – Consécration législative de la généralisation du droit au silence

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a consacré la généralisation du droit au silence non seulement par des modifications des dispositions spécifiques (art. 145, 148-2, 199, 394, 396 CPP), mais encore en complétant le III de l’article préliminaire du code de procédure pénale.
La notification du droit au silence imposée par la loi apparait utile. En effet, en jugeant que le droit de se taire doit être notifié à la personne qui comparaît devant la chambre de l’instruction saisie du contentieux d’une mesure de sûreté, la Chambre criminelle a néanmoins retenu que le défaut de notification du droit de se taire n’entache pas la mesure d’irrégularité, mais empêche les éléments ainsi recueillis de fonder une décision de renvoi ou de culpabilité (Crim. 24 févr. 2021, préc.).
Ainsi, puisque la loi impose désormais la notification générale du droit au silence, il est permis de souhaiter que cette obligation constitue une formalité substantielle dont l’inobservation entraine la nullité de la décision en cause, à l’instar de l’absence de l’avocat en garde à vue.

4 – La limitation de l’interdiction du cumul de qualifications pour les mêmes faits dans le cadre de poursuites concomitantes.

Crim. 15 décembre 2021, n° 21-81.864 et n° 20-85.924

Si la Chambre criminelle a considéré, au visa du principe ne bis in idem, que ” des faits, qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable, ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ” (Crim., 26 oct.2016, n° 15-84.552, Bull. n° 276), elle a ensuite admis qu’un même fait de déversement dans une rivière de substances nuisibles pour l’environnement pouvait constituer à la fois une pollution de cours d’eau et une pollution des eaux souterraines, seul le cumul de ces deux chefs de poursuite permettant d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions (Crim. 16 avril 2019, n° 18-84.073, Bull. n° 77).

Forte de la jurisprudence européenne qui admet, sous conditions, que des faits identiques puissent faire l’objet de poursuites successives (v. CEDH, 8 oct. 2020, Bajcic c. Croatie, Req. n° 67334/13 ; 31 août 2021, Galovic c. Croatie, Req. n° 45512/11), la Chambre criminelle a infléchi sa jurisprudence aux fins d’appréhender l’action délictueuse dans toutes ses dimensions, et admis plus largement le cumul de poursuites (Crim.31 mars 2020, n° 19-83.938).

Dans le premier arrêt cité, la Chambre criminelle décide que :

” L’interdiction de cumuler les qualifications lors de la déclaration de culpabilité doit être réservée, outre à la situation dans laquelle la caractérisation des éléments constitutifs de l’une des infractions exclut nécessairement la caractérisation des éléments constitutifs de l’autre, aux cas où un fait ou des faits identiques sont en cause et où l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses suivantes.
Dans la première, l’une des qualifications, telles qu’elles résultent des textes d’incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l’autre, qui seule doit alors être retenue.
Dans la seconde, l’une des qualifications retenues, dite spéciale, incrimine une modalité particulière de l’action répréhensible sanctionnée par l’autre infraction, dite générale “.

Le cumul de qualifications reste donc possible en dehors de ces situations, même en présence de faits identiques.

La solution a été complétée par le second arrêt qui a précisé que le principe, appliqué en cas de poursuites concomitantes, tend à protéger les intérêts du prévenu et n’est ainsi pas d’ordre public et ne peut être soulevé pour la première fois devant la Chambre criminelle.

Celle-ci a précisé que cette solution ne concerne pas l’hypothèse où le principe ne bis in idem est invoqué à l’occasion de poursuites successives, car, dans ce cas, ce principe concourt également à préserver l’autorité des décisions de justice et la sécurité juridique et l’exception prise de sa violation est dès lors un moyen d’ordre public.

5 – Précisions sur l’absence de contrôle de l’officier de police judiciaire d’une perquisition effectuée en enquête préliminaire par un agent de police judiciaire

Crim. 7 décembre 2021, n° 20-82.733

Dans cet arrêt, la Cour de cassation décide qu’en enquête préliminaire, et au contraire de l’enquête de flagrance, les agents de police judiciaire peuvent procéder à une perquisition dès lors qu’ils agissent sous le contrôle de l’officier de police judiciaire, l’existence de ce contrôle étant établie par une mention expresse au procès-verbal de perquisition ou peut résulter, à défaut, d’une mention spécifique dans les pièces de procédure (Art. 75 et 76 CPP).

La Cour de cassation a également jugé que l’absence de contrôle par l’OPJ relève des dispositions de l’article 802 du code de procédure pénale. Ainsi, pour obtenir la nullité de la mesure, le requérant doit établir qu’elle lui a causé un préjudice. Précisément, en l’espèce, alors même qu’elle relève l’absence de preuve du contrôle de la perquisition par un OPJ, la Cour de cassation considère que l’arrêt attaqué n’encourt pas la censure dès lors que le prévenu ne se prévaut d’aucun autre grief que les poursuites dont elle a été l’objet.

Une critique s’impose : la relation de cause à effet entre la méconnaissance des règles légales et la décision au fond est ainsi occultée, et il est permis de s’interroger sur la réalité de l’absence de grief dû à des poursuites engagées sur une mesure irrégulière.

6 – La présence d’un tiers lors d’une interpellation et la publication d’actes de procédure ne suffisent pas à caractériser une violation du secret de l’instruction

Crim. 19 octobre 2021, n° 21-81.569

Dans cet arrêt, la Chambre criminelle juge que la seule présence de tiers, en l’espèce un paparazzi, lors d’une interpellation sur la voie publique ne suffit pas à caractériser la violation du secret de l’instruction par les fonctionnaires de police. Elle ajoute que la publication d’actes de procédure, postérieurement, et non concomitamment, à leur réalisation, ne permet pas d’établir que ces actes ont été effectués en violation du secret de l’instruction.

Si la coïncidence permet de douter de l’absence d’implication des forces de l’ordre dans la violation du secret de l’enquête, la décision retenue s’inscrit, a priori, dans la lignée de la jurisprudence rendue depuis quatre années (Crim. 9 mars 2021, n° 20-83.304 ; 9 janv. 2019, n° 17-84.026 ; 10 janv. 2017, n° 16-84.740 ; adde, en matière d’enregistrement de la garde à vue, 21 avril 2020, n° 19-81.507) : ” constitue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne, la présence au cours de l’exécution de cet acte, d’un tiers étranger à la procédure, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, fût-ce pour en relater le déroulement dans le but d’une information du public “.

C’est donc l’absence de preuve de la violation, par les enquêteurs, du secret au moment même où la mesure en cause est réalisée, qui conduit la Chambre criminelle à rejeter le pourvoi.

7 – Protection légale effective pour les tiers de bonne foi en cas de peine complémentaire de confiscation

Le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions du code pénal relatives à la peine de confiscation en ce que ni ces dispositions ni aucune disposition ne prévoyaient que le propriétaire d’un bien susceptible de confiscation soit mis en mesure de faire valoir des éléments auprès de la juridiction de jugement, lui permettant notamment d’établir son droit sur le bien en cause ou sa bonne foi et ce, avant que la mesure de confiscation ne soit prononcée (Cons. const. 23 avril 2021, n° 2021-899 QPC ; 23 septembre 2021, n° 2021-932 QPC.

La loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a donc procédé à la modification des dispositions des articles 131-21, 225-25, 313-7 et 324-7 du code pénal.

Un tiers autre que le condamné, y compris s’il s’agit de son époux et que le bien fait partie de la communauté (Cons. const. 24 nov. 2021, n° 2021-949/50 QPC), doit pouvoir présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’il revendique et sa bonne foi (Sur les conséquences procédurales des modifications, v. décret n° 2021-1794 du 23 décembre 2021).

Il reste à attendre les décisions de la Chambre criminelle pour savoir si l’irrespect des dispositions légales entraine la nullité de la confiscation ou si le tiers intéressé devra se contenter de solliciter la restitution du bien sur le fondement de l’article 710 du code de procédure pénale et sous l’angle de l’article 131-21 du code pénal, ainsi que l’a autorisé la Chambre criminelle (Crim., 20 mai 2015, n° 14-81.741té ; 20 mai 2015, n° 14-81.147), en conformité avec l’article 1 du Protocole n°1 additionnel à la CEDH qui impose d’ ” offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition ” (CEDH 5 mars 2019, Uzan et autres c/ Turquie, Req. n°19620/05, 41487/05, 17613/08 et 19316/08).

8 – Fait justificatif de l’usage d’une arme par un fonctionnaire de police

Crim. 6 octobre 2021, n° 21-84.295

A la suite d’un match de football, des supporters ont été interpellés et placés en garde à vue. L’un d’entre eux a perdu l’usage de son œil gauche et a invoqué avoir subi des violences policières. Un fonctionnaire de police a alors été mis en examen du chef de violence avec arme ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente et mis en accusation. Condamné, il a formé un pourvoi en cassation, soutenant que l’autorisation de la loi, à savoir l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, ou le commandement de l’autorité légitime, en l’espèce l’ordre du supérieur hiérarchique ” d’interpeller les personnes troublant l’ordre public “, justifiaient l’usage de la force sur une personne en fuite non armée.
La Cour de cassation juge que le commandement de l’autorité légitime prévu par l’article 122-4 du code pénal ne peut être retenu, rien ne permettant d’établir que la victime, en train de fuir, faisait partie des supporters les plus virulents et les plus actifs, ni même qu’il aurait participé aux insultes et exactions dénoncées.
Quant à l’autorisation de la loi, donné par l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, la Cour de cassation relève que, bien qu’il ne le précise pas expressément, cet article exige que l’usage de l’arme soit réalisé ” dans le même temps que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l’intégrité physique des agents ou d’autrui “, cette exigence de concomitance résultant de la forme grammaticale adoptée, le présent de l’indicatif, et des travaux parlementaires. Par ailleurs, la Cour de cassation retient que l’action entreprise par le fonctionnaire de police n’entrait pas dans le cadre d’application de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, les faits ayant été commis, alors que la personne visée prenait la fuite, en méconnaissance des principes de proportionnalité et d’absolue nécessité.
C’est donc à juste titre que la Chambre criminelle a rejeté le pourvoi : quel que soit le fait justificatif invoqué, la riposte doit répondre aux exigences de nécessité et de proportionnalité, telles qu’énoncées par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 17 avr. 2014, Guerdner et a. c/ France, Req. n° 68780/10).

9 – Une fonction religieuse, même bénévole, est une fonction professionnelle et sociale pouvant être interdite dans le cadre d’une mesure de contrôle judiciaire ou d’une peine complémentaire

Crim. 4 novembre 2021, n° 21-85.144 et n° 21-80.413

Une femme a porté plainte contre son beau-père qui exerce les fonctions d’imam, en raison de faits d’agression sexuelle et de viol commis depuis qu’elle était mineure, Ce dernier a été placé sous contrôle judiciaire par ordonnance du juge d’instruction, partiellement réformée par la chambre de l’instruction qui a ajouté l’interdiction d’exercer les fonctions d’imam et toute activité le mettant en rapport habituel avec des mineurs.
L’imam a formé un pourvoi en cassation, soutenant que la fonction d’imam ne constitue pas une activité professionnelle ou sociale au sens de l’article 138, 12° du code de procédure pénale, que les faits ont été commis dans le cadre privé, sans rapport avec les fonctions d’imam, et que l’interdiction d’exercer une fonction religieuse porte atteinte à la liberté de religion garantie par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Dans le premier arrêt, la Chambre criminelle rejette le pourvoi : elle considère qu’une fonction religieuse, fût-elle bénévole, relève de l’article précité, et peut ainsi être interdite sans violer la liberté de religion, dès lors que l’interdiction est temporaire, prononcée à titre de mesure de sûreté et qu’en dehors de ses seules fonctions d’imam, elle ne porte aucune atteinte à la pratique religieuse personnelle de l’intéressé.

Cette solution qui mérite d’être approuvée, a été reprise dans le second arrêt du même jour, concernant la peine complémentaire. Un prêtre a fait l’objet d’une interdiction d’exercer sa fonction religieuse durant cinq ans à la suite de sa condamnation pour abus de faiblesse commis dans l’exercice de sa fonction sacerdotale qui lui permettait de fréquenter les victimes. Cette peine complémentaire est justifiée, dès lors qu’aucune disposition n’exclut le ministère sacerdotal de l’activité professionnelle ou sociale visée par l’article 223-15-3 du code pénal.

Restez informé

Renseignez votre e-mail pour recevoir nos prochaines lettres d'actualité.