Droit social – Lettre n°1

Un point sur la vidéo-surveillance

1 – Vidéo-surveillance et atteinte disproportionnée à la vie privée : l’inopposabilité au salarié d’enregistrements issus d’une vidéo-surveillance continue

L’employeur peut contrôler l’exécution du travail, surveiller et éventuellement sanctionner le salarié défaillant en ayant recours à différents procédés tels que la géolocalisation ou la vidéo-surveillance, à condition de respecter un cadre contraignant. Dans tous les cas, l’installation du mécanisme doit être conduite selon les principes de transparence, à l’égard des salariés comme des institutions représentatives du personnel, et de proportionnalité selon l’article L. 1121-1 du code du travail dès lors que sont en cause les droits de la personne du salarié.

La Cour de cassation rappelle que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. Elle a rejeté le pourvoi au motif que la cour d’appel a constaté que le salarié, qui exerçait seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui y était installée, et en a déduit à bon droit que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, n’étaient pas opposables au salarié (Cass. Soc. 23 juin 2021, n°19-13.856 FS-B).

Dans cette espèce, un salarié qui travaillait comme cuisinier dans une pizzeria avait été licencié pour faute grave à raison de faits que l’employeur entendait justifier à partir d’images tirées d’un dispositif de vidéo-surveillance, ce que le salarié avait contesté.
La cour d’appel lui a donné raison et a écarté la légitimité du licenciement.

La décision est conforme à la position de la CNIL, laquelle a, par exemple, admis que le placement sous surveillance continue des postes de travail des salariés n’est possible que s’il est justifié par une situation particulière ou un risque particulier auxquels sont exposées les personnes objets de la surveillance (délib. CNIL, 17 juillet 2017, n° 2014-307).
En matière de télétravail, la CNIL a indiqué que l’employeur ne peut placer les salariés sous surveillance permanente (voir Les questions-réponses de la CNIL sur le télétravail 8-09-2021).

2 – La vidéo-surveillance de sécurité : un mode de preuve licite

Cass. Soc. 22 septembre 2021, n° 20-10.843 F-D

Selon l’article L. 1222-4 du code du travail, aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’aurait pas été porté préalablement à sa connaissance.
La Cour de cassation rappelle au visa de ce texte que si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, il ne peut être autorisé à utiliser comme mode de preuve les enregistrements d’un système de vidéo-surveillance permettant le contrôle de leur activité dont les intéressés n’ont pas été préalablement informés de l’existence. Restreignant la portée de ce texte, elle décide que l’employeur peut utiliser comme moyen de preuve d’une faute du salarié les images issues d’un système de vidéo-surveillance qui n’était pas utilisé pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions, mais pour assurer la sécurité d’un magasin (Cass. Soc. 22 septembre 2021 n° 20-10.843 F-D).
L’employeur peut donc utiliser les images issues d’un système de vidéo-surveillance installé pour assurer la sécurité d’un magasin et non pour contrôler le salarié dans l’exercice de ses fonctions, sans que le salarié ne puissent invoquer les dispositions du code du travail relatives aux conditions de mise en œuvre, dans l’entreprise, des moyens et techniques de contrôle de l’activité des salariés.

L’inégalité salariale : de l’intérêt de bien déterminer le fondement de la demande

3 – La prescription des actions

Cass. Soc. 22 septembre 2021, no 20-13.572 F-D

Cass. Soc. 22 septembre 2021, n° 20-12.592 F-D


Dans le premier arrêt, la Cour de cassation rappelle qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 1134-5 du code du travail, l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ayant relevé que le salarié a été destinataire par erreur du bulletin de paie d’une collègue de travail portant le même patronyme que lui, et avait, à cette date, adressé à son employeur un courriel relatant l’inégalité de traitement invoquée de manière dépourvue de toute ambiguïté, la cour d’appel a pu en déduire qu’il avait alors connaissance des éléments lui permettant d’exercer son action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination, et que le délai de prescription de 5 ans avait commencé à courir à cette date (Cass. Soc. 22 septembre 2021, no 20-13.572, F-D).
Dans le second arrêt, la Cour de cassation décide que lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d’égalité de traitement, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande. La cour d’appel, qui a constaté que la demande de rappel de salaire était fondée non pas sur une discrimination mais sur une atteinte au principe d’égalité de traitement, a exactement décidé que cette demande relevait de la prescription triennale en application de l’article L. 3245-1 du code du travail (Cass. Soc. 29 septembre 2021,
n° 20-12.592, F-D).
Pour rappel, la jurisprudence distingue la discrimination de l’atteinte au principe d’égalité de traitement en ce que cette dernière suppose nécessairement une comparaison entre la situation du demandeur et celle des autres salariés. Tel n’est pas toujours le cas dans l’hypothèse d’une discrimination, laquelle implique, par définition, l’existence d’un motif discriminatoire et illicite en vertu de l’article L. 1132-1 du code du travail.
Tandis que la discrimination oblige la réparation intégrale du dommage subi pendant toute la durée de la discrimination, l’atteinte à l’égalité de traitement oblige à placer celui qui l’a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n’avait pas eu lieu.

4 – Discrimination : le référé probatoire n’est pas exclu par principe

Cass. Soc. 22 septembre 2021, n°19-26.144 F-B

L’existence d’un mécanisme probatoire spécifique en matière de discrimination prévue à l’article L. 1134-1 du code du travail ne fait pas obstacle à une demande en référé du salarié, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de la communication par l’employeur de tous les éléments permettant une comparaison des salariés embauchés durant la même période.
Une cour d’appel avait débouté un salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre son employeur, au motif que le mécanisme probatoire de l’article L. 1134-1 du code du travail prévoyant un aménagement de la charge de la preuve rendait inutile la production des éléments dès lors que dans l’hypothèse où les éléments présentés par le salarié seraient considérés comme laissant supposer l’existence d’une discrimination à l’égard du salarié, il appartiendra à l’employeur de démontrer que les décisions qu’elle a prises à son égard étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
La Cour de cassation admet le référé probatoire afin de permettre dès le début du procès pour discrimination, s’il a lieu, à toutes les parties d’avoir accès à l’ensemble des éléments permettant la comparaison.

À noter : la position de la Cour de cassation est en phase avec les précédentes solutions ayant déjà validé le recours à l’article 145 du code de procédure civile dans les litiges en matière de discrimination (Cass. Soc. 16 déc. 2020, n° 19-17.637 F-PB ; Cass. Soc. 19 déc. 2012, n° 10-20.526 FS-PB). La Cour de cassation a précisé que le juge peut limiter le cas échéant le périmètre de la communication, si la demande est trop générale et ne peut rejeter d’office une demande de communication de pièces reposant sur un motif légitime, mais dont le périmètre aurait été surévalué par le demandeur (Cass. Soc. 16 déc. 2020, n° 19-17.637 F-PB).

5 – Clause de non-concurrence : la contrepartie financière reste due pour le montant qui a été convenu contractuellement

Cass. Soc. 13 octobre 2021, n°20-12.059 FS-B

La contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui a la nature d’une indemnité compensatrice de salaire stipulée en conséquence de l’engagement du salarié de ne pas exercer, après la cessation du contrat de travail, d’activité concurrente à celle de son ancien employeur, et ne constitue pas une indemnité forfaitaire prévue en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, n’est pas une clause pénale.
Le juge n’a donc pas la faculté de la modérer ou de l’augmenter.

Cass. Soc. 13 octobre 2021, n°20-10.718 F-D


La cour d’appel, qui a constaté que l’employeur n’avait ni levé la clause de non-concurrence ni versé aucune somme au titre de la contrepartie financière avant la tenue de l’audience du bureau de conciliation du conseil de prud’hommes au cours de laquelle est intervenu une renonciation réciproque amiable, a pu, constatant le respect par le salarié de la clause, condamner l’employeur à payer la contrepartie financière de la clause de non-concurrence pour sa totalité et non seulement pour la période précédant cet accord.

Contentieux prud’homal

6 – La notification du jugement prud’homal doit mentionner la possibilité pour l’appelant de constituer le défenseur syndical qui l’a assisté en première instance nonobstant le périmètre limité de sa compétence territoriale

Cass. Soc. 29 septembre 2021, n°20-16.518 FS-B

Le Conseil constitutionnel interprétant l’article L. 1453-4 alinéa 3 du code du travail a validé la limite de la compétence territoriale du défenseur syndical au périmètre d’une région administrative ; il a toutefois précisé que le principe d’égalité devant la justice, ne saurait priver la partie ayant choisi de se faire assister par un défenseur syndical devant le conseil de prud’hommes de continuer à être représentée, dans tous les cas, par ce même défenseur devant la cour d’appel compétente (Cons. const. 12 mars 2020, n°2019-831 QPC). Il en résulte que si un salarié choisit d’être assisté ou représenté par un défenseur syndical dans le cadre d’une procédure prud’homale, il a la possibilité de continuer à être représenté par ce même défenseur devant la cour d’appel et n’est pas contraint de choisir un autre défenseur syndical compétent près de cette cour d’appel.

Au visa de l’article 680 du code de procédure civile et de l’article L. 1453-4 du code du travail, la Cour de cassation décide que l’acte de notification d’un jugement de conseil de prud’hommes rendu en premier ressort doit, pour faire courir le délai de recours, indiquer que le défenseur syndical que peut constituer l’appelant est soit celui qui l’a assisté en première instance soit un défenseur syndical territorialement compétent pour exercer ses fonctions devant la cour d’appel concernée. Ainsi, en l’espèce, la cour d’appel ne pouvait pas pour déclarer irrecevable comme tardif l’appel formé par le défenseur syndical, retenir que le jugement a été régulièrement notifié, peu important que le périmètre territorial d’intervention des défenseurs syndicaux ne soit pas précisé par l’acte de notification (Cass. Soc. 29 septembre 2021, n°20-16.518 FS-B).

Dans l’arrêt, la Cour de cassation vient préciser les conséquences qui en résultent quant au contenu de l’acte de notification du jugement prud’homal relativement à la compétence territoriale du défenseur syndical en cas d’appel de la décision.

7 – Les notifications entre un avocat et un défenseur syndical peuvent se faire au siège de la société d’exercice libéral au sein de laquelle exerce l’avocat associé

Cass. Soc. 20 octobre 2021, no 19-24.483 F-B

Dès lors que chaque avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral exerce les fonctions d’avocat au nom de la société et que, en application de l’article 690 du code de procédure civile, les notifications entre un avocat et un défenseur syndical sont régulièrement accomplies, à l’égard d’une société d’avocat, au siège de celle-ci, la cour d’appel a décidé à bon droit de confirmer l’ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté la demande de caducité de la déclaration d’appel après avoir relevé que le défenseur syndical avait notifié ses conclusions d’appel par un seul pli recommandé avec demande d’avis de réception à l’adresse de la société d’avocats représentant, par deux avocats distincts, associés au sein de cette structure, chacun des intimés.

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