Droit Social – Lettre n°13

L’essentiel

La lettre d’actualité met à la Une, les deux arrêts du 11 mai 2022 par lesquels de la Haute cour se prononcent sur la compatibilité du barème Macron à des normes internationales (1, 2). Autre clarification attendue : ce barème s’applique aux résiliations judiciaires prononcées à partir du 24 septembre 2017 (3). Des arrêts donnent des exemples de recherche d’équilibre en matière de droits fondamentaux : la liberté d’expression cède face à la violence sexiste (4, 5) et le recours à la notion de droit européen de « l’exigence professionnelle essentielle et déterminante » justifie l’effacement de la liberté religieuse du salarié (6).

Rupture : l’immédiateté du licenciement pour faute grave n’est pas exigée en cas d’absence du salarié (7), et désormais le refus de reclassement du salarié inapte est un motif de licenciement sous condition de loyauté de l’employeur dans la recherche de reclassement (8).

Intérim : les périodes d’inactivité entre les contrats de mission sont sans effet sur le point de départ de la prescription de l’action en requalification en CDI (9). La prescription est quinquennale pour l’action en qualification d’une relation en contrat de travail (10). Nul doute maintenant : le préjudice nécessaire survit encore (11).

A LA UNE : LE BAREME MACRON

1 – Le barème Macron est compatible avec la Convention n° 158 de l’OIT

Soc. 11 mai 2022, FP-B+R, n° 21-14.490

La Cour de cassation vient de décider que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), et que le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application de ce barème au regard de cette convention, excluant ainsi tout contrôle de conventionnalité in concreto.

Pour rappel, l’ordonnance du 22 septembre 2017 a établi, à l’article L. 1235-3 du code du travail, un barème qui détermine strictement l’indemnité que doit verser l’employeur au salarié lorsqu’il le licencie sans cause réelle et sérieuse, en fonction du salaire et de l’ancienneté. Pour contrer l’effet automatique de ce barème, que le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution, les praticiens avaient obtenu de certains juges du fond que le barème soit écarté au cas par cas, au profit de dispositions directement issues de conventions internationales et susceptibles de permettre une meilleure indemnisation, et notamment de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT, d’effet direct en droit interne. Cet article prévoit qu’en cas de licenciement injustifié, le juge doit pouvoir ordonner le versement d’une indemnité adéquate au salarié.

L’arrêt condamne donc cette première pratique en retenant que le barème – qui est écarté en cas de licenciement nul – permet raisonnablement une indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

En effet, le barème n’est pas applicable en cas de licenciements nuls soit en vertu d’une disposition législative (harcèlement, discrimination, égalité, dénonciation…), soit en cas de violation d’une liberté fondamentale. Relève de cette dernière qualification la liberté syndicale, le droit de grève, le droit à la protection de la santé et le principe d’égalité des droits entre l’homme et la femme, tous protégés par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ainsi que le droit à un recours juridictionnel en vertu de l’article 16 de la Déclaration de 1789, et la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la CEDH.

Le contentieux prud’homal va sans doute évoluer. Les salariés auront intérêt à plaider que leur licenciement relève d’une cause de nullité pour échapper au barème, tandis que les employeurs devront en amont veiller à respecter les droits fondamentaux pour en bénéficier.

2 – Le barème Macron ne peut pas être apprécié à l’aune de la Charte sociale européenne

Soc. 11 mai 2022, FP-B+R, n° 21-15.247

A l’instar de l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT, l’article 24 de la Charte sociale européenne prévoit que les États signataires s’engagent à reconnaître aux salariés qui ont été licenciés sans motif valable, le droit à une indemnité adéquate.

La Cour de cassation retient cette fois que l’article 24 n’a pas d’effet direct en France en sorte que le salarié ne peut s’en prévaloir devant le juge prud’homal.

A savoir : le contrôle du respect de cette Charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux (CEDS), mais les décisions que prendra le CEDS sur les réclamations en cours contre le barème français ne produiront aucun effet contraignant ; toutefois, les recommandations qui y seront formulées seront adressées au gouvernement français.

3 – Le barème Macron s’applique aux résiliations judiciaires prononcées à partir du 24 septembre 2017

Soc. 16 février 2022, FS-B, n° 20-16.184

Lorsque le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié aux torts de l’employeur, la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Pour la première fois, la Cour de cassation décide que les dispositions de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relatives au montant de l’indemnisation selon le barème Macron sont applicables dès lors que la résiliation judiciaire prend effet à une date postérieure à celle de la publication de l’ordonnance. Le barème s’applique donc à des demandes de résiliation qui avaient été introduites avant l’entrée en vigueur de celui-ci.

DROITS FONDAMENTAUX

4 – La liberté d’expression de l’animateur télé s’efface devant la violence sexiste

Soc. 20 avril 2022, FS-B, n° 20-10.852

L’affaire est connue : il s’agit de licenciement de l’humouriste qui après une blague sexiste sur la chaîne C8, s’était vanté du buzz ainsi provoqué auprès d’un collègue, et avait adopté une attitude déplacée vis-à-vis d’une candidate lors de l’animation du jeu télévisé dénommé « les Z’amours » diffusé en direct sur France 2, et ce malgré les mises en garde de son employeur.

La Cour de cassation rappelle que si la rupture du contrat de travail, motivée par les propos tenus par le salarié, constitue manifestement une ingérence de l’employeur dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10, § 1, de la CEDH, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d’apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif. En l’espèce, elle approuve l’arrêt de la cour d’appel qui a retenu que le licenciement n’est pas disproportionné et ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d’expression du salarié, compte tenu de l’impact potentiel des propos du salarié reflétant une banalisation des violences à l’égard des femmes, après avoir constaté que le licenciement était fondé sur la violation par le salarié des clauses de son contrat de travail d’animateur, et poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques, et celui de la protection de la réputation de l’employeur.

5 – Le licenciement prononcé pour un motif lié à l’exercice non abusif de la liberté d’expression est nul

Soc. 16 février 2022, FS-B, n° 19-17.871

A noter cet arrêt dans lequel pour la première fois que la Cour de cassation énonce clairement que le licenciement sanctionnant l’exercice légitime par le salarié de sa liberté d’expression est nul, et non seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

6 La liberté religieuse cède devant une « exigence professionnelle essentielle et déterminante »

Soc. 19 janvier 2022, FS-B, n° 20-14.014

Un salarié chef d’équipe dans une entreprise de nettoyage, avait refusé une mutation sur le site d’un cimetière en invoquant ses convictions religieuses hindouistes lui interdisant de travailler dans un tel lieu. Il a été licencié à la suite de son refus de la mutation disciplinaire sur un autre site prononcé contre lui. Saisie d’une demande en nullité de la mutation disciplinaire et partant du licenciement consécutif, la cour d’appel a retenu le caractère discriminatoire de la mutation estimant que l’employeur aurait pu lui proposer une affectation compatible avec ses convictions religieuses puisqu’était disponible le poste proposé à titre de sanction.

La Cour de cassation n’approuve pas ce raisonnement et retient que la mutation disciplinaire était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l’article 4, § 1, de la directive 2000/78 du Conseil du 27 novembre 2000 au regard, d’une part de la nature et des conditions d’exercice de l’activité du salarié, chef d’équipe dans le secteur de la propreté, affecté sur un site pour exécuter ses tâches contractuelles en vertu d’une clause de mobilité légitimement mise en œuvre par l’employeur, d’autre part du caractère proportionné au but recherché de la mesure, laquelle permettait le maintien de la relation de travail par l’affectation du salarié sur un autre site de nettoyage.

Il est donc attendu de l’employeur qu’il recherche un certain équilibre entre les attentes du salarié à satisfaire en vertu de la liberté religieuse garantie et les contraintes inhérentes à l’entreprise.

RUPTURE DU CONTRAT

7 – Faute grave : le licenciement immédiat n’est pas exigé si le salarié est absent de l’entreprise

Soc. 9 mars 2022, F-B, n° 20-20.872

L’on sait que l’employeur qui entend licencier un salarié pour faute grave doit engager la procédure de licenciement – c’est-à-dire convoquer le salarié à l’entretien préalable au licenciement ou le mettre à pied à titre conservatoire – dans un délai restreint après avoir eu connaissance des faits fautifs, dès lors qu’aucune vérification n’est nécessaire.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation estime que l’employeur a pu laisser s’écouler un délai de 4 semaines entre la révélation des faits et l’engagement de la procédure de licenciement dès lors que le salarié, dont le contrat de travail était suspendu, était absent de l’entreprise.

8 – Important revirement de jurisprudence : le refus de reclassement du salarié inapte est un motif de licenciement sous condition de loyauté

Soc. 26 janvier 2022, FS-B, n° 20-20-369

Dans cette affaire, un salarié déclaré inapte à son poste d’ouvrier avait refusé trois propositions de postes approuvés par les représentants du personnel, en suite de quoi il avait été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. La question en litige était de savoir si l’employeur avait respecté son obligation de reclassement et s’il pouvait s’appuyer sur le refus du salarié pour justifier le licenciement.

L’on sait qu’avant le 1er janvier 2017, date d’entrée en vigueur de la loi du 8 août 2016, le refus par un salarié déclaré inapte d’une proposition de reclassement, conforme aux préconisations du médecin du travail, n’impliquait pas, à lui seul, le respect par l’employeur de son obligation de reclassement. Dans ce cas, l’employeur était tenu de rechercher et de proposer d’autres postes de reclassement ou d’établir qu’il ne disposait d’aucun autre poste compatible avec l’inaptitude.

Depuis le 1er janvier 2017, l’obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l’employeur a proposé un emploi, en prenant en compte l’avis et les indications du médecin du travail (C. trav., art. L. 1226-2-1 et L. 1226‑12). Certains en ont déduit que si le salarié a refusé un poste conforme aux préconisations du médecin de travail, il n’est plus nécessaire à l’employeur de proposer un autre poste pour pouvoir licencier pour inaptitude puisque ce dernier est présumé avoir respecté l’obligation de reclassement.

La Cour de cassation vient d’admettre implicitement que le refus d’un seul poste de reclassement conforme suffit à justifier que l’employeur a respecté son obligation de reclassement et que ce refus est un motif de licenciement pour inaptitude. Toutefois, elle prend le soin de veiller à ce que cette présomption ne soit pas détournée en exigeant une démarche loyale de l’employeur. Au cas d’espèce, la Cour de cassation estime que l’employeur n’avait pas loyalement respecté son obligation de reclassement au motif qu’il aurait dû proposer le poste de conducteur d’engins que le médecin du travail proposait d’évaluer et que la proposition des trois postes était insuffisante faute d’avoir été préconisés par le médecin de travail, lequel avait préconisé des postes administratifs non recherchés.

PRESCRIPTION

9 – Intérim : les périodes d’inactivité entre les contrats de mission sont sans effet sur le point de départ de la prescription

Soc. 11 mai 2022, FS-B, n° 20-12.271

L’arrêt rappelle que le délai de prescription d’une action en requalification d’une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l’égard de l’entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.

Elle précise que la requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d’inactivité, ces dernières n’ont pas d’effet sur le point de départ du délai de prescription.

10 – Prescription quinquennale pour l’action en qualification d’une relation en contrat de travail

Soc. 11 mai 2022, FS-B, n° 20-18.084

L’action par laquelle une partie demande de requalifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, en contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle, qui relève de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil. Et la qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée, a cessé. C’est en effet à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit.

CONTENTIEUX PRUD’HOMAL

11 – Régime de la preuve : le préjudice nécessaire survit encore !

Soc. 26 janvier 2022, FS-B, n° 20-21.636

Soc. 19 janvier 2022, n° 20-12.420

Avec l’arrêt de 13 avril 2016 (n° 14-28.293), l’on avait cru qu’il n’y aurait plus de manquement à la législation sociale qui causerait nécessairement un préjudice au salarié. En réalité, cette affirmation souffre de plus en plus d’exceptions. Dans le premier arrêt, la Cour de cassation retient que le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail de 48 heures ouvre droit à la réparation, sans que le salarié victime d’une telle violation n’ait à prouver de préjudice.

Avec d’autres arrêts qui se prononcent dans le même sens, il faut en déduire que la Cour de cassation qui dans son rapport annuel de 2016 n’invoquait pas la suppression de la notion du préjudice nécessaire, entend façonner les contours de cette notion en droit du travail et délivre ainsi au cas par cas, les cas de préjudice automatique.

Dans le second arrêt, la Cour de cassation retient que la seule constatation de l’atteinte à l’image du salarié ouvre droit à réparation dans un cas où les salariés avaient été photographiés avec l’ensemble de l’équipe pour apparaître sur le site internet de l’employeur, qui n’avait pas tenu compte de leur volonté de voir la photographie litigieuse supprimée.

Les praticiens pourront donc continuer de plaider la notion de préjudice nécessaire en veillant à actualiser leur recherche de jurisprudence, puisque celle-ci délivre au fur et à mesure les cas admis d’automaticité.

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