L’essentiel
Neuf arrêts intéressants prononcés par la chambre sociale de la Cour de cassation ces dernières semaines. D’abord, la chambre sociale a rappelé les critères qui distinguent la relation de travail d’un mandat social en droit européen (I.1). Ensuite, elle a souligné qu’en raison de l’autonomie normative reconnue à la Nouvelle-Calédonie, c’est le code du travail du Territoire qui s’applique aux salariés et employeurs de celui-ci, et non le code métropolitain (I.2). La chambre sociale a également rappelé que la fourniture d’un logement au salarié constitue un avantage en nature qui doit être mentionné sur les bulletins de salaire, faute de quoi le travail dissimulé est caractérisé (II.1). Par ailleurs, saisi d’un avis d’inaptitude, l’employeur doit faire diligence pour tenter de reclasser le salarié, faute de quoi il manque à la bonne foi contractuelle (II.2). Et il n’y pas méconnaissance du principe d’égalité du traitement si des télétravailleurs en période d’urgence sanitaire ne perçoivent pas, à la différence des salariés présents sur site, de prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (II.3). Enfin, la chambre sociale a procédé à un rappel des principes gouvernant le jeu de la clause de cession, propre aux journalistes (III et IV).
I – Normes spéciales et contrat de travail
1 – Droit européen (distinction du contrat de travail et du mandat social)
Soc. 27 novembre 2024, pourvoi n° 23-10.389 FR-B
Cet arrêt rappelle les critères qui permettent de distinguer le contrat de travail d’un mandat social, lorsqu’un élément d’extranéité affecte la relation à qualifier.
En l’espèce, un salarié français avait été nommé « executive director » au conseil d’administration de la société Randstad NV, société mère du groupe, sise aux Pays Bas. Le mandat de membre exécutif de l’intéressé n’a pas été renouvelé et il a été privé de tous ses mandats sociaux. Il a saisi la juridiction prud’homale pour voir juger qu’il avait été uni à la société Randstad NV par une relation de travail.
S’est posée la question de la compétence du conseil de prud’hommes, au regard de l’application des articles 21 à 23 du règlement de Bruxelles I bis, visant la relation individuelle de travail. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment les arrêts Holterman Ferho Exploitatie (CJUE, 10 septembre 2015, aff. C-47/14) et Bosworth et Hurley (CJUE, 11 avril 2019, aff. C-603/17).
La chambre sociale rappelle les critères qui permettent de distinguer un contrat de travail d’un mandat social dans le cadre de l’application du règlement Bruxelles I bis : il y a mandat social, et non contrat de travail, si l’intéressé est en mesure de décider des termes de son contrat et s’il dispose d’un pouvoir de contrôle autonome sur la gestion de la société. Les magistrats du Quai de l’Horloge approuvent donc la cour d’appel qui avait exclu la qualification de contrat de travail, en relevant que l’intéressé avait été en mesure de discuter des termes de son propre contrat, qu’il disposait d’un pouvoir de contrôle autonome sur la gestion quotidienne de la société, ainsi que sur l’exercice de ses propres fonctions, et d’une capacité d’influence sur le conseil d’administration, quand même celui-ci avait pu le révoquer.
Influence et pouvoir de contrôle, tels sont donc les deux critères déterminants du mandat social.
Un arrêt intéressant qui répercute, au niveau européen, les difficultés que la jurisprudence rencontre aussi en droit interne pour distinguer l’exercice d’un mandat social d’une relation de travail supposant un lien de subordination.
2 – Code du travail de Nouvelle-Calédonie et code du travail métropolitain plus favorable : le premier l’emporte !
Soc. 4 décembre 2024, pourvoi n° 22-19.584 FS-B
Cet arrêt répond à la question suivante : le code du travail de Nouvelle-Calédonie est-il impérativement applicable à tout contrat de travail exécuté en Nouvelle-Calédonie ou les parties peuvent-elles y déroger par convention particulière renvoyant au code du travail métropolitain plus favorable ?
La chambre sociale apporte à cette question une réponse toute en nuances : si l’article L. 111-1 du code du travail de Nouvelle-Calédonie (prescrivant l’application du code du travail de Nouvelle-Calédonie aux salariés et employeurs du Territoire) ne fait pas obstacle à l’exécution de stipulations contractuelles plus favorables, l’application de ce code ne saurait être écartée, au seul visa dans le contrat de travail de dispositions du code du travail métropolitain.
Cet arrêt est respectueux du transfert de compétence et de l’autonomie normative reconnus à la Nouvelle-Calédonie, tout en n’interdisant pas aux parties d’adopter des dispositions plus favorables du code du travail métropolitain (en l’occurrence, le statut spécial des journalistes), à condition qu’une telle volonté particulière soit exprimée en véritables clauses et non par un simple visa d’articles du code métropolitain qui n’a, par principe, pas vocation à s’appliquer en Nouvelle‑Calédonie.
3 – Droit local d’Alsace-Moselle : rémunération et absence pour maladie d’un enfant
Soc. 4 décembre 2024, pourvoi n° 23-11.485 FS-B
L’on sait que le code du travail et la réglementation de droit commun du travail s’appliquent par principe en Alsace et Moselle, sauf certaines spécificités du droit local qui ont perduré, tel le maintien de la rémunération du salarié en cas d’absence non fautive de celui-ci.
Au cas d’espèce, le pourvoi posait la question de savoir si la recodification du code du travail en 2008 avait remis en cause cette disposition plus favorable pour les salariés d’Alsace-Moselle.
Non, répond la Cour de cassation : la recodification a été faite à droit constant ; l’article L. 1225-61 du code du travail prévoit des jours de congés non rémunérés pour cause de maladie d’un enfant à charge. Pour la chambre sociale, « L’application de ce texte ne fait pas obstacle à celles des dispositions plus favorables de l’article L. 1226-23 du code du travail, applicables aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, selon lesquelles le salarié dont le contrat est suspendu pour une cause indépendante de sa volonté et pour une durée relativement sans importance a doit au maintien de sa rémunération ».
Conclusion : le salarié alsacien absent pour cause de maladie de son enfant a droit, en vertu du droit local plus favorable, au maintien de sa rémunération.
II – Exécution du contrat de travail
1 – Logement de fonction et travail dissimulé
Soc. 4 décembre 2024, pourvoi n° 23-14.259 FS-B
L’arrêt rappelle un principe qui n’est pas nouveau, mais dont la réaffirmation n’est pas inutile : la fourniture, par l’employeur, d’un logement gratuit au salarié constitue un avantage en nature qui doit être inclus dans la rémunération du salarié et être indiqué sur le bulletin de paie qui lui est remis, faute de quoi, l’employeur se rend coupable de travail dissimulé.
La solution est sévère pour l’employeur car la volonté de dissimulation se déduit du simple fait que l’avantage en nature en cause ne figure pas sur les bulletins de salaire. L’employeur devra donc bien mentionner l’avantage découlant de la fourniture d’un logement de fonction sur le bulletin de salaire remis au salarié, afin de ne pas encourir les foudres du travail dissimulé dont l’élément intentionnel est ainsi présumé.
3 – Egalité de traitement et prime exceptionnelle pouvoir d’achat en période d’urgence sanitaire
Soc. 4 décembre 2024, pourvoi n° 23-13.829 FS-B
Le Covid-19 fait encore parler de lui !
La question qui était posée aux Hauts magistrats était celle de savoir si, en refusant aux salariés en télétravail, le versement d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat octroyée par décision unilatérale aux salariés ayant travaillé sur site, l’employeur avait méconnu le principe d’égalité de traitement, précision étant faite qu’aux salariés présents sur site, étaient assimilés ceux se trouvant en congés payés, en arrêt pour cause de maladie ou de garde d’enfant ou en situation de vulnérabilité au virus.
La Cour de cassation répond par la négative : si les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits que les salariés travaillant sur site, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat issue de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019, modifiée par l’ordonnance n° 2020-380 du 1er avril 2020, pouvait être modulée en fonction des conditions de travail pendant l’épidémie de Covid-19, afin de récompenser les salariés qui étaient plus particulièrement exposés à la maladie ou ceux qui, même absents, leur étaient assimilés, leurs congés étant décomptés en temps de travail effectif.
Télétravailleurs et salariés présents sur site ou assimilés n’étaient ainsi pas placés dans les mêmes conditions de travail, ce qui justifiait une différence de traitement en termes de prime exceptionnelle.
4 – Statut des journalistes : clause de cession
Soc. 4 décembre 2023, pourvoi n° 23-13.279 FS-B
Un arrêt important relatif à la clause de cession spécifique aux journalistes.
L’article L. 7112-5, 1°, du code du travail pose que si la rupture du contrat de travail survient à l’initiative du journaliste professionnel, le salarié a droit au paiement d’une indemnité de licenciement à la charge de l’employeur lorsque cette rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique.
La chambre sociale précise, dans l’arrêt, que l’application de ce texte n’impose pas de délai au journaliste pour manifester sa volonté de rompre le contrat de travail, non plus qu’il n’a à démontrer sa volonté de poursuivre sa carrière de journaliste postérieurement à la rupture. Il faut, mais il suffit, pour qu’il bénéficie de la clause de cession, que le journaliste démontre que la résiliation du contrat de travail est motivée par l’une des circonstances énumérées par le texte, en l’occurrence la cession du journal.
Un rappel bienvenu des principes découlant de la liberté de la presse et la liberté de conscience des journalistes.
III – Contrat de travail : question de prescription
Soc. 4 décembre 2024, pourvoi n° 23-12.436 FS-B
La multiplication des courtes prescriptions en matière de contrat de travail ne va pas sans semer la confusion dans l’esprit des juges.
La question en l’espèce était celle de savoir quelle était la prescription applicable à la demande en rappel de salaires formée par un salarié contestant la qualité de cadre dirigeant qui lui avait été octroyée. La cour d’appel de Dijon avait jugé l’action prescrite, par application de la prescription biennale de l’article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail, après avoir considéré qu’il s’agissait d’une demande de requalification.
L’arrêt est logiquement cassé. La chambre sociale recadre le litige en rappelant que la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance en litige ; s’agissant en l’espèce d’une demande en rappel de salaire, la prescription était celle (triennale) de l’article L. 3245-1 du code du travail, peu important qu’elle soit fondée sur une contestation de la qualité de cadre dirigeant conférée au salarié par contrat de travail.
IV – Rupture du contrat de travail : licenciement du salarié protégé
Soc. 27 novembre 2024, pourvoi n° 22-21.693 FS-B
Cet arrêt procède à un rappel de principes connus en matière de licenciement d’un salarié protégé : pour pouvoir se prévaloir de la protection attachée à son mandat de conseiller du salarié, celui-ci doit, au plus tard lors de l’entretien préalable au licenciement ou, s’il s’agit d’une rupture ne nécessitant pas d’entretien préalable, avoir informé l’employeur de l’existence de ce mandat ou rapporter la preuve que ce dernier en avait connaissance (voir, par exemple, Soc. 30 juin 2016, pourvoi n° 15-12.982).
Il en résulte qu’un employeur, avisé, au jour du dernier entretien préalable au licenciement imposé par la convention collective, du mandat du salarié, doit requérir l’autorisation de l’inspecteur du travail, faute de quoi le licenciement est nul ou, comme en l’espèce, constitue un trouble manifestement illicite.
L’apport essentiel de cet arrêt est de reporter la date ultime d’information de l’employeur au jour de la dernière audition du salarié, lorsque les dispositions conventionnelles applicables en prévoient plusieurs.