Le 23 novembre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a rendu un arrêt attendu en droit du travail en matière de discrimination et destiné à une large publication.

Il s’agissait d’un litige opposant un steward afro-caribéen et une compagnie aérienne lui ayant interdit sa coiffure de tresses africaines nouées en chignon et lui ayant imposé le port d’une perruque. La compagnie se fondait sur son manuel de port de l’uniforme du personnel navigant imposant aux hommes une coupe courte et nette, et autorisant aux femmes les tresses africaines à condition d’être retenues en chignon.

La Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel qui avait refusé de retenir la discrimination au motif que l’image de marque de la compagnie permettait des différences de traitement. La Cour de cassation estime que le fait pour l’employeur de restreindre la liberté de ses salariés de sexe masculin dans leur façon de se coiffer constitue une discrimination fondée sur le sexe.

L’on voit dans cet arrêt une avancée en faveur des libertés des salariés ; même si la solution se limite à une profession particulière devant porter un uniforme pour être identifiée par la clientèle, l’arrêt souligne bien que le manière de se coiffer n’est ni une partie de l’uniforme, ni son prolongement. Nul doute que cet arrêt fera évoluer les comportements.

Arrêt de la Cour de cassation – Chambre sociale – Publication : au Bulletin et au Rapport annuel de la Cour de cassation

Pourvoi n° S 21-14.060

Arrêt n° 1329 FP-B+R

Sur le rapport de M. Barincou et Mme Sommé, conseillers, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. X, de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société Y, de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de l’association Z, les plaidoiries de Me Grévy pourM. Traore et celles de Me Le Prado pour la société Y, et l’avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l’audience publique du 20 octobre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller corapporteur, Mme Sommé, conseiller corapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Capitaine, Monge, Mariette, MM. Rinuy, Pion, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, MM. Sornay, Rouchayrole, conseillers, Mmes Ala, Chamley-Coulet, Valéry, Prieur, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421‑4‑1 et R. 431‑5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Intervention

  1. Il est donné acte à l’association Z de son intervention.

Faits et procédure

  1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2019) et les productions, M. X a été engagé le 7 mai 1998 par la société Y, en qualité de steward.
  2. A compter de 2005, le salarié s’est présenté coiffé de tresses africaines nouées en chignon à l’embarquement, lequel lui a été refusé par l’employeur au motif qu’une telle coiffure n’était pas autorisée par le manuel des règles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin. Par la suite et jusqu’en 2007, le salarié a porté une perruque pour exercer ses fonctions.
  3. Soutenant être victime de discrimination, il a saisi, le 20 janvier 2012, la juridiction prud’homale de diverses demandes.
  4. Le 13 avril 2012, l’employeur a notifié au salarié une mise à pied sans solde de cinq jours pour présentation non conforme aux règles de port de l’uniforme.
  5. Le 17 février 2016, le salarié a été déclaré définitivement inapte à exercer la fonction de personnel navigant commercial, en raison d’un syndrome dépressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie.
  6. Après avoir bénéficié d’un congé de reconversion professionnelle et confirmé qu’il ne souhaitait pas de reclassement au sol, il a été licencié le 5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.
  7. En cause d’appel, le salarié a demandé la condamnation de l’employeur au paiement d’une somme à titre de dommages-intérêts pour discrimination, harcèlement moral et déloyauté, d’un rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2012 au 28 février 2014 et les congés payés afférents, la nullité de son licenciement et en conséquence la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intérêts à ce titre, d’un solde de préavis avec les congés payés afférents et d’une indemnité de licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses huitième et neuvième branches

Enoncé du moyen

  1. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de sa demande de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 février 2014, ainsi que de ses demandes tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de sommes subséquentes à titre de dommages-intérêts, de solde sur préavis, de congés payés afférents et d’indemnité de licenciement, alors :

« 8°/ que s’il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’employeur, s’il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ; qu’en écartant la discrimination sans préciser en quoi les tresses africaines nuiraient à l’image de la compagnie Y, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 1132‑1 du code du travail ;

9°/ que s’il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à l’employeur, s’il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d’établir que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination ; qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que le salarié n’avait pu exercer ses fonctions et avait dû porter une perruque pour pouvoir embarquer sur les vols qu’il devait assurer, ce à raison de sa coiffure faite de tresses africaines pourtant autorisée pour les femmes, et que les éléments de fait apportés par M. X laissent supposer un harcèlement fondé sur une discrimination ; que pour écarter la discrimination à raison du sexe, la cour d’appel s’est bornée à faire état d’une différence d’apparence admise à une période donnée entre hommes et femmes en terme d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage et à affirmer que ce type de différence qui reprend les codes en usage ne peut être qualifiée de discrimination ; qu’en justifiant ainsi la différence de traitement constatée par une discrimination communément admise, la cour d’appel a violé les articles L. 1132‑1 et L. 1134‑1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1121‑1, L. 1132‑1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2012‑954 du 6 août 2012, et L. 1133‑1 du code du travail, mettant en œuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail :

  1. Il résulte de ces textes que les différences de traitement en raison du sexe doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle véritable et déterminante et être proportionnées au but recherché.
  2. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C‑188/15), que par analogie avec la notion d”exigence professionnelle essentielle et déterminante prévue à l’article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, la notion d’exigence professionnelle véritable et déterminante, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause. Il résulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives précitées que les dispositions en cause sont rédigées de façon identique : such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement.
  3. Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de ses demandes de rappels de salaire et tendant à la nullité du licenciement et au paiement de sommes subséquentes, l’arrêt, après avoir constaté que le manuel de port de l’uniforme des personnels navigants commerciaux masculins mentionne que les cheveux doivent être coiffés de façon extrêmement nette. Limitées en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogène. La longueur est limitée dans la nuque au niveau du bord supérieur du col de la chemise. Décoloration et ou coloration apparente non autorisée. La longueur des pattes ne dépassant pas la partie médiane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisés, retient que ce manuel n’instaure aucune différence entre cheveux lisses, bouclés ou crépus et donc aucune différence entre l’origine des salariés et qu’il est reproché au salarié sa coiffure, ce qui est sans rapport avec la nature de ses cheveux.
  4. Il ajoute que si le port de tresses africaines nouées en chignon est autorisé pour le personnel navigant féminin, l’existence de cette différence d’apparence, admise à une période donnée entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut être qualifiée de discrimination.
  5. L’arrêt énonce encore que la présentation du personnel navigant commercial fait partie intégrante de l’image de marque de la compagnie, que le salarié est en contact avec la clientèle d’une grande compagnie de transport aérien qui comme toutes les autres compagnies aériennes impose le port de l’uniforme et une certaine image de marque immédiatement reconnaissable, qu’en sa qualité de steward, il joue un rôle commercial dans son contact avec la clientèle et représente la compagnie et que la volonté de la compagnie de sauvegarder son image est une cause valable de limitation de la libre apparence des salariés.
  6. L’arrêt en déduit que les agissements de la société Y ne sont pas motivés par une discrimination directe ou indirecte et sont justifiés par des raisons totalement étrangères à tout harcèlement.
  7. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la société Y avait interdit au salarié de se présenter à l’embarquement avec des cheveux longs coiffés en tresses africaines nouées en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l’intéressé avait dû porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n’était pas conforme au référentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il résultait que l’interdiction faite à l’intéressé de porter une coiffure, pourtant autorisée par le même référentiel pour le personnel féminin, caractérisait une discrimination directement fondée sur l’apparence physique en lien avec le sexe, la cour d’appel, qui, d’une part, s’est prononcée par des motifs, relatifs au port de l’uniforme, inopérants pour justifier que les restrictions imposées au personnel masculin relatives à la coiffure étaient nécessaires pour permettre l’identification du personnel de la société Y et préserver l’image de celle-ci, et qui, d’autre part, s’est fondée sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et féminin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle véritable et déterminante justifiant une différence de traitement relative à la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déboute M. X de ses demandes de dommages-intérêts au titre de la discrimination, du harcèlement moral et de la déloyauté, de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 février 2014, ainsi que de sa demande tendant à la nullité de son licenciement et au paiement de dommages-intérêts à ce titre, de solde sur préavis et congés payés afférents et d’indemnité de licenciement, et en ce qu’il condamne M. X à payer à la société Y la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel, l’arrêt rendu le 6 novembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

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