Procédure civile – Lettre n°2

L’essentiel

L’actualité de jurisprudence en procédure civile se concentre une nouvelle fois sur la procédure d’appel en matière de représentation obligatoire. La Cour de cassation a apporté des précisions sur le contenu du dispositif des conclusions au regard de la demande d’infirmation ou d’annulation du jugement (Civ. 2e, 4 novembre 2021, n° 20‐15.757) et de l’énonciation des prétentions (Civ. 2e, 9 septembre 2021, n° 20‐17.263). La procédure orale échappe toutefois à la sévérité, toujours de rigueur, en matière de déclaration d’appel (Civ. 2e, 9 septembre 2021, n° 20‐13.662). Les exigences de l’oralité sont assouplies en permettant, lorsque l’affaire est instruite à l’audience, de se contenter de déposer des écritures à l’audience (Civ. 2e, 1er juillet 2021, n° 20‐12.303). De même, la sanction de la nullité pour vice de forme s’impose sur la sanction de la caducité de la déclaration d’appel, plus radicale (Civ. 2e, 4 novembre 2021, n° 20‐13.568).

La rédaction du dispositif des conclusions en appel

1 ‐ La formalisation de la demande d’infirmation ou d’annulation du jugement

Par l’important arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 septembre 2020, n° 18‐23.626), la Cour de cassation a décidé que, pour les déclarations d’appel postérieures au 17 septembre 2020, à défaut de demande dans le dispositif des conclusions de l’infirmation ou de l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement. Par le présent arrêt, la Cour de cassation ouvre une option à la partie intimée en cas de non-respect des exigences rédactionnelles ; outre la confirmation du jugement, elle peut demander au conseiller de la mise en état, dans le cadre d’un incident, la caducité de l’appel.

La Cour de cassation rappelle également la faculté qui est reconnue à l’article 914 du code de procédure civile, au conseiller de la mise en état, et le cas échéant à la cour d’appel statuant sur déféré, de se saisir d’office de cette caducité.
Ainsi l’appelant aura bien du mal à échapper à une sanction en cas conclusions non conformes aux exigences rédactionnelles.
Toutefois, la faculté de soulever d’office la caducité de l’appel peut être préjudiciable à l’intimé qui peut avoir intérêt à poursuivre également l’infirmation du jugement. La caducité qui éteint l’instance d’appel atteindra l’appel incident, même s’il a été formé dans le délai pour former appel principal.
Voici donc une nouvelle raison de ne pas se contenter de former un appel incident.
Rappel : l’intimé appelant incident doit également préciser dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile qu’il demande l’infirmation des tels chefs du jugement ou l’annulation de celui‐ci (Civ. 2e, 1er juillet 2021, n° 20‐10.694).

2 ‐ La précision des prétentions

Dans cet arrêt, la Cour de cassation accentue la sévérité des sanctions à l’égard des
conclusions d’appel déficientes. En l’espèce, les conclusions d’appelant, prises dans le délai prévu à l’article 908, comportaient un dispositif se bornant à demander de confirmer pour partie le jugement et, pour le surplus, de faire droit à l’ensemble des demandes. Le dispositif ne récapitulait pas donc pas les prétentions. Or, selon l’article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.
Bien que l’article 913 prévoit que le conseiller de la mise en état peut enjoindre aux avocats de mettre leurs conclusions en conformité avec les dispositions de l’article 954, ce qui conforte la possibilité d’une régularisation par des conclusions ultérieures, la Cour de cassation ferme la voie de la régularisation en cours d’instance du dispositif défaillant.

Selon une interprétation combinée
des articles 908 et 954 du code de
procédure civile, la Cour de cassation
impose de déposer des conclusions
conformes à l’article 954 dans le délai
de trois mois prescrit par l’article 908.
À défaut, la caducité de la déclaration
d’appel est encourue.

Cette exigence s’applique à tous les appels et ne bénéficie d’aucun différé d’application. Les conclusions ne pourront plus être régularisées après le délai de l’article 908 du code de procédure civile.

En cas de difficulté, c’est l’occasion de soutenir
que la Cour européenne des droits de l’homme a
récemment qualifié de formalisme excessif,
constitutif d’une entrave au droit de l’accès au
juge, la circonstance qu’une interprétation trop
formaliste des règles applicables faite par une
juridiction empêche de fait l’examen au fond du
recours exercé par l’intéressé (CEDH, 30 mars
2021, Oorzhak c/ Russie, § 19).

La procédure orale

3 ‐ L’effet dévolutif de la déclaration d’appel : l’allègement du formalisme

Civ. 2e, 9 septembre 2021, FS‐B + R, n° 20‐13.662

L’on sait que lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans
mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas en sorte que la cour d’appel n’est saisie d’aucune demande (Civ. 2e, 30 janvier 2020, FS‐P+B+I, n° 18‐22.528). Cette règle a été toutefois cantonnée à la procédure avec représentation obligatoire.
Dans l’arrêt, la Cour de cassation estimant que dans la procédure sans représentation obligatoire, un tel degré d’exigence dans les formalités à accomplir par l’appelant constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que celui‐ci n’est pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit, décide que la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement.

4 ‐ Revirement : en matière de procédure orale, les parties peuvent déposer des écritures à l’audience

Civ. 2e, 1er juillet 2021, F‐B, n° 20‐12.303

Selon l’article 446‐1, alinéa 1er, du code de procédure civile régissant la procédure orale, les parties présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien et peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit. En l’absence de formalisme particulier pour se référer à des écritures, satisfait aux prévisions de ce texte, la partie qui, hors le cas d’un refus opposé par le tribunal, dépose un dossier comportant ses écritures au cours d’une audience des débats à laquelle elle est présente ou représentée.
Il était jugé habituellement que les parties devaient réitérer oralement leurs écritures pour saisir valablement le juge des prétentions et moyens y étant contenus. Ainsi, la Cour de cassation opère une volte‐face en jugeant que les écritures déposées par une partie à l’audience saisissent valablement le juge. La seule limite est le refus du tribunal.

Nullité pour vice de forme plutôt que caducité

5 ‐ Signification des conclusions à une adresse erronée

Civ. 2e, 4 novembre 2021, F‐B, n° 20‐13.568

Il résulte des articles 114 et 911 du code de procédure civile que la caducité de la déclaration d’appel, faute de notification par l’appelant de ses conclusions à l’intimé dans le délai imparti par l’article 911, ne peut être encourue, en raison d’une irrégularité de forme affectant cette notification, qu’en cas d’annulation de cet acte, sur la démonstration, par celui qui l’invoque, du grief que lui a causé l’irrégularité. Ainsi, les actes de la procédure, signifiés à une adresse erronée, étant affectés d’un vice de forme susceptible d’entraîner leur nullité sur la démonstration du grief causé, la cour d’appel ne peut prononcer la caducité de la déclaration d’appel sans que les actes de signification aient été annulés dans les conditions prévues par l’article 114 du code de procédure civile.

Par cet arrêt de principe à portée générale, la Cour de cassation met fin à l’indécision des cours d’appel. Il faudra désormais examiner l’acte accompli dans le délai requis sous l’angle des seules nullités avant d’envisager les conséquences du prononcé d’une éventuelle nullité.

6 ‐ Appel à jour fixe : remise de la copie incomplète de l’assignation

Civ. 2e, 4 novembre 2021, F‐B, n° 20‐11.875

Selon l’article 922 du code de procédure civile, dans la procédure d’appel à jour fixe, la cour d’appel est saisie par la remise d’une copie de l’assignation au greffe, cette remise devant être faite avant la date fixée pour l’audience, faute de quoi la déclaration d’appel est caduque. La cour d’appel qui relève que l’assignation remise au greffe est incomplète ne peut prononcer la caducité de la déclaration d’appel sans constater, le cas échéant, au préalable, la nullité de l’assignation remise au greffe qui était affectée d’un vice de forme susceptible d’entraîner sa nullité sur la démonstration d’un grief par l’intimée.

Mesure d’instruction in futurum

7 ‐ Le demandeur n’a pas à prouver le bien‐fondé de son action future

Civ. 2e, 4 novembre 2021, F‐B, n° 21‐14.023

Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. L’article 145 du code de procédure civile n’exige pas que le demandeur ait à établir le bien‐fondé de l’action en vue de laquelle la mesure d’instruction est sollicitée.

8 ‐ La caractérisation de la dérogation au contradictoire

Civ. 2e, 10 juin 2021, F‐P, n° 20‐13.803

Justifie suffisamment le recours à la procédure sur requête non contradictoire, le
demandeur qui expose de façon détaillée un contexte laissant craindre une intention frauduleuse de la part des débiteurs afin d’organiser leur insolvabilité en fraude aux droits de leurs créanciers et partant, qui fait ressortir le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise.
L’apport de l’arrêt est de rappeler que la caractérisation de la dérogation au contradictoire doit s’effectuer in concreto ; un soin particulier doit donc être apporté à la contextualisation de la dérogation lors du dépôt de la requête.

Un mot sur la procédure de cassation

9 ‐ Le grief de dénaturation concerne aussi le bordereau de communication des pièces

Ce cas d’ouverture à cassation permet à la Cour de cassation de contrôler le sens donné par le juge à un acte clair et précis. Tout document écrit sur lequel le juge a fondé sa décision fait l’objet d’un contrôle de dénaturation.
La Cour de cassation admet la dénaturation du bordereau de communication des pièces annexé aux conclusions lorsque le juge affirme qu’une partie ne justifie pas de tel fait alors que le bordereau indique une pièce propre à l’établir.

Il existe donc un intérêt particulier, non seulement à annexer le bordereau aux conclusions signifiées, mais également à désigner chaque pièce produite de façon exhaustive afin de pouvoir les individualiser et en cibler le contenu (nature, date, etc.).

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