Procédure Civile – Lettre n°22

L’essentiel

En matière de déontologie et honoraires de l’avocat, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en matière de prescription de l’action en responsabilité contre l’avocat (1). Le juge n’a pas la faculté de réduire le montant des honoraires si les factures ont été signées et approuvées, nonobstant leur non-paiement (2). L’honoraire de résultat est interdit à l’avocat mandataire en transactions immobilières (3). Enfin, l’action en rapport envers un paiement des honoraires par chèque CARPA est recevable (4).

En ce qui concerne la procédure, par quatre arrêts, la Chambre Mixte a donné des précisions sur le délai d’action en garantie de vices cachés (5), mais la présomption irréfragable de connaissance des vices cachés respecte le droit à un procès équitable du vendeur professionnel (6). Le contrôle de proportionnalité est mis en œuvre pour les mesures d’instruction in futurum (7). Une seule déclaration d’appel peut contenir un appel‑nullité principal et un appel‑réformation subsidiaire (8), mais gare à l’acte d’appel dirigé vers une juridiction erronée (9).

Enfin, trois arrêts apportent encore des précisions en matière de procédure d’appel (10).

DEONTOLOGIE ET HONORAIRES DE l’AVOCAT

1 – Revirement de jurisprudence en matière de prescription de l’action en responsabilité contre l’avocat

Civ. 1re, 14 juin 2023, n° 22-17.520, FS-B

Dans cet important arrêt, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence par un moyen relevé d’office : il résulte de la combinaison des articles 2225 du code civil, 412 du code de procédure civile et 13 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat que le délai de prescription de l’action en responsabilité du client contre son avocat (cinq ans), au titre des fautes commises dans l’exécution de sa mission, court à compter de l’expiration du délai de recours contre la décision ayant terminé l’instance pour laquelle il avait reçu mandat de représenter et d’assister son client, à moins que les relations entre le client et son avocat aient cessé avant cette date.

En l’espèce, le point de départ de la prescription n’était pas constitué par l’ordonnance du conseiller de la mise en état constatant la caducité de l’appel, mais par l’expiration du délai de déféré.

La solution antérieure (voir Civ. 1re, 14 janvier 2016, pourvoi n° 14-23.200) avait l’avantage de proposer un point de départ fixe et identifiable.

Désormais, si le point de départ se situe dans l’expiration du délai de recours, l’absence de signification pourrait conduire à ce que le délai de l’action en responsabilité contre l’avocat ne puisse jamais commencer à courir, sous réserve du délai de péremption de deux ans.

En tous les cas, se ménager la preuve de la fin de la mission pourra s’avérer utile.

2 – L’office du juge en matière de fixation des honoraires de l’avocat

Civ. 2e, 6 juillet 2023, n° 19-24.655, F-B

Dans cette affaire, un client avait contesté les factures émises par son avocat qu’il jugeait excessives. Le bâtonnier saisi en fixation d’honoraires puis le premier président de la cour d’appel ont condamné ce client à régler les factures pour diligences accomplies. Devant la Cour de cassation, le client a soutenu que seul le paiement des honoraires, après service rendu, priverait le juge de la faculté d’en réduire le montant.

Le moyen n’a pas été efficace puisque la Haute Cour a jugé :

ayant relevé que le client, qui n’avait pas mis fin au mandat, avait apposé la mention manuscrite « lu et approuvé bon pour accord », suivie de sa signature, sur les factures et souverainement estimé qu’il avait ainsi accepté l’honoraire après service rendu, le premier président en a déduit exactement qu’il n’avait pas le pouvoir de le réduire, l’absence de paiement effectif par le client étant sans incidence à cet égard.

Voilà un nouvel intérêt de faire approuver les factures en l’absence de paiement immédiat.

3 – L’avocat mandataire en transactions immobilières et l’interdiction des honoraires de résultat

Civ. 2e, 6 juillet 2023, n° 21-21.768, F-B

Une cour d’appel a déclaré valable la convention d’honoraires conclue entre les parties, qui avait prévu un honoraire global et forfaitaire uniquement en cas de vente du bien immobilier. La cour d’appel a retenu que la mission de l’avocat était de vendre un bien immobilier et que ses honoraires n’étaient pas calculés en fonction du montant de la vente, ce qui constituerait un pacte de quota litis, mais qu’ils étaient fixés forfaitairement, à la condition unique que la vente soit conclue, ce qui selon elle, était valable dès lors que, comme pour tout contrat d’agent immobilier, elle ne fixe pas les honoraires en proportion du travail effectué ou du prix de vente, mais uniquement de la réussite de la vente.

La Haute Cour censure cet arrêt au motif d’une part que la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce n’est pas applicable aux avocats exerçant l’activité de mandataire en transactions immobilières, d’autre part que la convention prévoyait que l’honoraire n’était dû qu’en cas de succès de l’opération immobilière et n’avait ainsi été fixé qu’en fonction du résultat.

4 – La recevabilité de l’action en rapport envers un paiement des honoraires de l’avocat par chèque CARPA

Com., 24 mai 2023, n° 21-21.424, FS-B

Dans cette affaire, un avocat avait obtenu le paiement de ses honoraires par un chèque émis par la CARPA après avoir obtenu de son client une autorisation de paiement sur son compte CARPA. Les fonds déposés sur le compte CARPA provenaient de l’appréhension d’une indemnité due par un assureur, à ce client. Le client a ensuite été mis en redressement judiciaire converti en liquidation, la date de cessation des paiements étant fixée antérieurement à l’autorisation de paiement, au dépôt des fonds et au paiement par chèque. L’administrateur du client a assigné l’avocat pour obtenir l’annulation du paiement, puis le liquidateur judiciaire, reprenant l’instance, a demandé le rapport du paiement obtenu, ce que la cour d’appel a ordonné.

Le pourvoi de l’avocat a été rejeté par la Haute Cour : « Il résulte des articles L. 632-1 I, alinéa 1er, et L. 632-3, alinéa 2, du code de commerce qu’un paiement par chèque effectué par un tiers pour le compte du débiteur, intervenu depuis la date de cessation des paiements, est soumis à l’action en rapport dès lors que les fonds du débiteur ont constitué la contrepartie permettant l’émission de ce chèque et que son bénéficiaire avait connaissance de l’état de cessation des paiements du débiteur. Ayant constaté, … que le paiement litigieux a été effectué par un chèque émis au moyen de fonds déposés sur un sous‑compte ouvert à la CARPA au nom [du client], après autorisation de cette dernière, et, ainsi, fait ressortir que ces fonds, propriété [du client], ont constitué la contrepartie qui en a permis l’émission, l’arrêt retient exactement que ce chèque, remis à [l’avocat] en paiement de ses honoraires alors qu’il connaissait l’état de cessation des paiements [du client], constitue un paiement effectué par un tiers pour le compte du débiteur, de sorte qu’il est soumis à l’action en rapport ».

PROCEDURE CIVILE

5 – Vices cachés : dans quel délai l’action en garantie peut-elle être engagée ?

Mixte, 21 juillet 2023, nos 21-15.809, 21‑17.789, 21-19.936, 20-10.763, 20-10.763, B+R

Réunie en Chambre mixte, la Cour de cassation répond à plusieurs questions pour lever des doutes qui étaient apparus.

Tout d’abord, le délai de deux ans est-il un délai de prescription ou un délai de forclusion. L’enjeu est important puisque seul le premier peut être suspendu.

La réponse : le délai de 2 ans prévu pour intenter une action en garantie à raison des vices cachés d’un bien vendu est un délai de prescription qui peut donc être suspendu, en particulier lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée.

Ensuite, le délai de 2 ans dont dispose une personne pour exercer une action en garantie des vices cachés s’écoule à compter de la découverte du défaut par l’acquéreur. Mais ce délai est-il encadré par un second délai dit « butoir » qui, lui, s’écoule à compter de la vente du bien ? Si ce « délai butoir » existe, quelle en est la durée ? S’agit-il du délai de 20 ans prévu à l’article 2232 du code civil ou du délai de cinq ans prévu à l’article L.110-4 du code de commerce ? Enfin, la vente initiale du bien est-elle toujours le point de départ de ce « délai butoir » ?

La réponse de la Haute Cour : pour engager une action en garantie des vices cachés l’acheteur doit saisir la justice dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du défaut affectant le bien qui lui a été vendu, mais aussi dans un délai de 20 ans à compter de la vente du bien. La Cour de cassation établit ainsi un équilibre entre la protection des droits des consommateurs, qui ne doivent pas perdre leur droit d’agir lorsqu’ils découvrent tardivement un vice caché et les impératifs de la vie économique, qui imposent que l’on ne puisse rechercher indéfiniment la garantie d’un vendeur ou d’un fabricant. La Cour de cassation apporte la même solution qu’il s’agisse d’une vente simple ou intégrée dans une chaîne de contrats et quelle que soit la nature du bien.

6 – La présomption irréfragable de connaissance des vices cachés et le contrôle de proportionnalité

Com., 5 juillet 2023, n° 22-11.621, FS-B

L’on sait que l’article 1645 du code civil pose une présomption de connaissance par le vendeur professionnel du vice de la chose vendue, qui l’oblige à réparer l’intégralité de tous les dommages qui en sont la conséquence.

Selon la Cour de cassation, le caractère irréfragable de cette présomption est fondé sur le postulat que le vendeur professionnel connaît ou doit connaître les vices de la chose vendue, et elle a pour objet de contraindre celui-ci, qui possède les compétences lui permettant d’apprécier les qualités et les défauts de la chose, à procéder à une vérification minutieuse avant la vente ; elle répond à l’objectif légitime de protection de l’acheteur qui ne dispose pas de ces mêmes compétences. Mais, l’enjeu est de taille puisque le professionnel ne peut jamais apporter la preuve de sa bonne foi ; des professionnels ont donc eu l’idée d’invoquer la violation de leur droit à un procès équitable.

Mais, la Cour de cassation renforce la présomption en décidant, dans cet arrêt, qu’elle est nécessaire pour parvenir à l’objectif légitime protégé et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit du vendeur professionnel au procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

7 – Le contrôle de proportionnalité et les mesures d’instruction in futurum

Com., 28 juin 2023, n° 22-11.752, F-B

La Chambre commerciale de la Cour de cassation précise les contours du contrôle de proportionnalité désormais exigé en matière de mesures d’instruction in futurum.

Dans cette affaire, une société soupçonnant des actes de concurrence déloyale avait sollicité et obtenu, sur requête, la mise en œuvre de mesures d’instruction très intrusives au domicile de l’un de ses anciens salariés.

La Chambre commerciale, reprenant la règle des Chambres civiles, selon laquelle les mesures d’instruction in futurum doivent être « nécessaires à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnées aux intérêts antinomiques en présence », rejette les griefs du salarié relatifs au caractère non nécessaire des mesures ordonnées et à la disproportion de l’atteinte à la vie privée de l’ancien salarié.

8 – Une seule déclaration d’appel possible pour deux appels

Civ. 2e, 8 juin 2023, n° 21-22.263, F-B

Dans cette affaire, une cour d’appel statuant sur déféré, a confirmé l’ordonnance d’un conseiller de la mise en état ayant déclaré irrecevable l’appel-nullité formé à titre principal et l’appel-réformation formé à titre subsidiaire formés dans un même acte d’appel.

La Cour de cassation retient toutefois, et c’est heureux, qu’il résulte des articles 542 et 562 du code de procédure civile qu’il est loisible à un appelant de faire, dans la même déclaration d’appel, un appel-nullité principal et un appel-réformation subsidiaire

9 – Procédure d’appel sans représentation obligatoire et contrôle de proportionnalité : pas d’indulgence pour l’acte d’appel mal dirigé

Civ. 2e, 8 juin 2023, n° 21-23.684, F-B

Dans cette affaire, deux justiciables ont relevé appel d’ordonnances de taxe rendues par un bâtonnier les condamnant à payer leur avocat. Leur déclaration d’appel est adressée « au greffier en chef du tribunal d’instance ». Ce dernier a procédé néanmoins à sa transmission spontanée par voie administrative au premier président de la cour d’appel compétent, étant précisé que les deux greffes – du tribunal et de la cour – sont domiciliés à la même adresse postale.

La Cour de cassation décide que la déclaration d’appel est irrecevable en application de l’article 932 du code de procédure civile, qui pose qu’est irrecevable la déclaration d’appel faite au greffe de la juridiction qui a rendu la décision querellée. La Haute Cour estime que cet article n’impose pas une charge procédurale excessive à une partie qui n’est pas représentée par un avocat, et ne méconnaît pas les exigences du procès équitable garanti par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

10 – Procédure d’appel : nouvelles précisions de la Haute Cour

Civ. 2e, 29 juin 2023, n° 21-24.821, F-B

En application de l’article 16 du code de procédure civile, la cour d’appel doit inviter les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d’office tiré de l’absence d’effet dévolutif en l’absence de mention, dans la déclaration d’appel, des chefs du jugement critiqués

Civ. 2e, 29 juin 2023, n° 22-14.432, F-B

L’article 954, alinéa 2, du code de procédure civile impose la présentation, dans les conclusions d’appel, des prétentions ainsi que des moyens soutenus à l’appui de ces prétentions, mais n’exige pas que ces moyens et ces prétentions figurent formellement sous un paragraphe intitulé “discussion”.

Il importe que ces éléments apparaissent de manière claire et lisible dans le corps des conclusions, la finalité étant de permettre, en introduisant une discussion, de les distinguer de l’exposé des faits et de la procédure, de l’énoncé des chefs de jugement critiqués et du dispositif récapitulant les prétentions.

Dans cette affaire, une cour d’appel, bien sévère et donc censurée, avait refusé d’examiner des moyens invoqués par une partie au soutien de leurs prétentions au seul motif que les moyens invoqués, lesquels étaient nettement articulés, n’avaient pas été précédés de la mention « discussion ».

Civ. 2e, 8 juin 2023, n° 21-19.997, F-B

Il résulte de l’article 911 du code de procédure civile que l’appelant est tenu de notifier ses conclusions dans le délai de trois mois prévu à l’article 908, à l’avocat de l’intimé, dès lors que ce dernier s’est constitué.

Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai de trois mois, que l’appelant doit signifier ses conclusions à la partie intimée qui n’a pas constitué avocat, sauf si entre-temps celle-ci a constitué avocat avant la signification des conclusions.

Une telle notification faite à l’avocat de l’intimé constitué poursuit l’objectif légitime de garantir à ce dernier qu’il disposera, pour remettre ses conclusions, de la totalité du délai qui lui est imparti par l’article 909, sans qu’il se trouve exposé à l’aléa tenant à l’absence ou au retard de transmission par son client des conclusions de l’appelant qui lui auraient été signifiées.

Une telle disposition constitue ainsi pour l’intimé une formalité nécessaire au respect des droits de la défense.

Cette formalité prévisible, résultant d’une disposition éclairée par une jurisprudence constante (Civ. 2e, 5 septembre 2019, pourvoi n° 18-21.717, F-P+B+I), ne conduit pas à faire supporter à l’appelant une charge excessive et n’est pas empreinte d’un formalisme excessif, dès lors qu’il est mis en mesure de procéder à des diligences alternatives selon qu’il a reçu ou non l’information de la constitution de l’avocat avant de procéder à la formalité qui lui incombe.

Par conséquent, de telles dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’accès au juge d’appel au regard du but poursuivi.

En l’espèce, c’est à bon droit qu’une cour d’appel, qui constate que l’appelant avait reçu notification de la constitution d’un avocat par l’intimé et n’avait pas été mis dans l’impossibilité de notifier ses conclusions à cet avocat dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel, en déduit que la déclaration d’appel est caduque, faute de notification des conclusions à l’avocat de l’intimé dans les délais impartis.

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