Procédure Civile – Lettre n°15

L’essentiel

En matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire, la Cour de cassation précise sa jurisprudence sur les mentions nécessaires de l’acte d’appel pour qu’opère la dévolution du litige (1, 2). Elle précise le contenu du dispositif des conclusions de l’appelant (3, 4). La radiation ne suspend pas le délai pour conclure (5) et l’insuffisante capacité informatique du RPVA constitue bien une cause étrangère autorisant la remise sur support papier (6). En matière de procédure d’appel sans représentation obligatoire, le formalisme de l’acte d’appel est allégé (7), mais s’agissant de la production des pièces, le contradictoire est renforcé (8). Enfin, quelques précisions sont apportées en matière de médiation (9 et 10).

PROCEDURE D’APPEL AVEC REPRESENTATION OBLIGATOIRE

EFFET DEVOLUTIF ET DECLARATION D’APPEL

Selon l’article 901 du code de procédure civile, la déclaration d’appel indique obligatoirement les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

Indépendamment de la sanction de la nullité pour vice de forme de la déclaration d’appel qui ne peut être mise en œuvre que devant le conseiller de la mise en état, il résulte de l’article 562 du code de procédure civile, qui définit le contour de l’effet dévolutif de l’appel, qu’en l’absence d’énonciation expresse, dans la déclaration d’appel, des chefs de jugement critiqués, la cour d’appel n’est saisie d’aucun litige, si l’appel ne tend pas à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige n’est pas indivisible (Civ. 2e, 25 mai. 2021, n° 20-12.037).

La Cour de cassation apporte ici deux précisions sur l’interprétation de l’article 562 du code de procédure civile qui intéresse l’effet dévolutif de l’appel et qui touche au pouvoir juridictionnel de la cour d’appel.

1 – La dévolution s’étend aux chefs de jugement en lien de dépendance avec un chef de jugement expressément critiqué

Civ. 2e, 30 juin 2022, F-B, n° 21-13.490

Dans cette affaire, il est précisé que la cour d’appel connait des chefs de jugement non indiqués dans la déclaration d’appel mais qui sont la conséquence des chefs de jugement expressément critiqués (pour une autre illustration : Civ. 2e, 9 juin 2022, n° 20‑16.239).

2 – En cas d’indivisibilité de l’objet du litige, la dévolution n’opère que si l’acte d’appel se réfère à cette indivisibilité

Civ. 2e, 9 juin 2022, FS-B, n° 20-20.936

La Cour de cassation précise cette fois que l’appelant, lorsqu’il entend se prévaloir de l’indivisibilité de l’objet du litige, ne peut se borner à indiquer que l’appel est total dans la déclaration d’appel ; il doit se référer expressément à cette indivisibilité dans la déclaration d’appel (également arrêt du même jour n° 21-11.401).

Rappel : la régularisation de l’acte d’appel peut intervenir dans le délai imparti à l’appelant pour conclure au fond, au moyen d’une nouvelle déclaration d’appel précisant cette fois, les chefs de jugement critiqués (Civ. 2e, 25 mai. 2021, n° 20-12.037).

CONCLUSIONS DES PARTIES

3 – Confirmation de l’obligation d’énoncer dans le dispositif des conclusions une prétention sollicitant expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement

Civ. 2e, 9 juin 2022, FS-B, n° 20-22.588

L’arrêt rappelle que le dispositif des conclusions de l’appelant, remises dans le délai de l’article 908, doit comporter une prétention sollicitant expressément l’infirmation ou l’annulation du jugement frappé d’appel, à défaut la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d’office la caducité de l’appel (voir notre lettre d’actualité n° 2).

En outre, lorsque l’incident est soulevé par une partie, ou relevé d’office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d’appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d’appel.

Cette obligation d’énonciation au dispositif bénéficie d’un différé d’application et ne concerne que les appels introduits après l’arrêt qui a posé pour la première fois cette exigence (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626).

Point de vigilance : La faculté de soulever d’office la caducité de l’appel peut être préjudiciable à l’intimé qui peut avoir intérêt à poursuivre également l’infirmation du jugement. La caducité qui éteint l’instance d’appel atteindra l’appel incident, même s’il a été formé dans le délai pour former appel principal. Voici donc une nouvelle raison de ne pas se contenter de former un appel incident. En outre, l’intimé appelant incident doit également préciser dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile qu’il demande l’infirmation de tels chefs du jugement (Civ. 2e, 1er juillet 2021, n° 20‑10.694).

4 – Mais l’appelant n’est pas tenu de reprendre, dans le dispositif des conclusions, les chefs de dispositif du jugement dont il demande l’infirmation

Civ. 2e, 3 mars 2022, F-B, n° 20-20.017

Cet arrêt met fin à une incertitude sur le degré de précision attendu de la demande de réformation du jugement : fallait-il exiger que l’appelant reprenne dans le dispositif de ses conclusions, les chefs du jugement critiqués alors qu’ils figurent déjà dans la déclaration d’appel et dans le corps des conclusions.

La Cour de cassation juge qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, l’appelant, n’est pas tenue de reprendre, dans le dispositif de ses conclusions, les chefs de dispositif du jugement dont il demande l’infirmation.

Voici qui est clair : le corps des conclusions contient l’énoncé des chefs du jugement critiqués et le dispositif doit seulement énoncer les prétentions dont la demande d’infirmation ou d’annulation du jugement, sans reprendre les chefs du jugement critiqués.

Une précision nouvelle : la cour d’appel est tenue de statuer sur les prétentions récapitulées sous forme de dispositif même si elles ne sont pas développées dans la partie discussion des conclusions ; dans cette affaire il s’agissait de demandes d’indexation, d’intérêts au taux légal et de compensation (Civ. 3e, 22 juin 2022, n° 20-20.844).

5 – La radiation ne suspend pas le délai pour conclure

Civ. 2e, 9 juin 2022, F-B, n° 19-11.671

En application de l’article 377 du code de procédure civile et des articles 526, 908 et 911-2 du même code dans leur rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la radiation de l’instance d’appel, fût-ce pour inexécution du jugement frappé d’appel, n’entraîne pas la suspension du délai imparti à l’appelant pour conclure.

6 – L’insuffisante capacité informatique du RPVA constitue une cause étrangère autorisant la remise sur support papier

Civ. 2e, 19 mai 2022, F-B, n° 21-10.423

Selon l’article 930-1 du code de procédure civile, la cause étrangère autorise la remise sur support papier des actes de procédure.

Dans cette affaire, l’avocat avait procédé à une remise sur support papier, de l’assignation à jour fixe et de ses annexes contenant les pièces, au motif que la capacité maximale est 10 mégaoctets du RPVA l’empêchait de procéder un envoi global. La cour d’appel a constaté la caducité de la déclaration d’appel car selon elle, le dépassement de la taille de l’envoi global résultait de la transmission simultanée des pièces. L’arrêt est cassé dès lors qu’aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois et de transmettre, par envois séparés, l’assignation à jour fixe et les pièces visées dans la requête. La Haute Cour reprend ici sa précédente solution de principe (Civ. 2e, 16 novembre 2017, n° 16-24.864).

Rappel : la Cour de cassation a jugé que l’avocat qui se trouve empêché, en raison d’une panne de son installation Internet, de transmettre un acte de procédure par voie électronique, est autorisé à le remettre au greffe sur support papier. Elle avait ainsi cassé le sévère arrêt de la cour d’appel qui avait estimé que l’avocat aurait pu utiliser sa clé RPVA sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet (Civ. 2e, 10 juin 2021, n° 20-10.522).

PROCEDURE D’APPEL SANS REPRESENTATION OBLIGATOIRE

7 – L’acte d’appel : le formalisme est allégé

Civ. 2e, 9 juin 2022, FS-B, n° 20-22.588

La Cour de cassation confirme qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, la déclaration d’appel qui mentionne que l’appel tend à la réformation de la décision déférée à la cour d’appel, en omettant d’indiquer les chefs du jugement critiqués, doit s’entendre comme déférant à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs de ce jugement (Civ. 2e, 9 septembre 2021, n° 20‑13.662).

Exit donc la solution retenue en matière de procédure avec représentation obligatoire, selon laquelle lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas (Civ. 2e, 30 janvier 2020, n° 18-22.528). Le motif : un tel degré d’exigence dans les formalités à accomplir par l’appelant en matière de procédure sans représentation obligatoire constituerait une charge procédurale excessive, dès lors que l’appelant n’est pas tenu d’être représenté par un professionnel du droit.

8 – La production des pièces : le contradictoire est renforcé

Civ. 2e, 9 juin 2022, F-B, n° 20-12.190

L’on sait que lorsque la procédure est écrite, la Cour de cassation décide, se fondant sur l’article 16 du code de procédure civile, que le juge doit inviter les parties à s’expliquer sur l’absence de production d’une pièce figurant dans le bordereau annexé aux conclusions et dont la communication n’a pas été discutée. Mais sa décision n’est censurée que lorsque le juge s’est fondé sur l’absence de production d’une pièce dont la communication n’était pas discutée, sans provoquer préalablement les explications des parties (Civ. 2e, 13 janv. 2022, n° 20-19.978).

L’arrêt étend cette solution en matière de procédure orale : le juge ne peut fonder sa décision, sans inviter les parties à s’en expliquer, sur l’absence au dossier d’une pièce invoquée par une partie, dont le versement aux débats était mentionné dans des conclusions écrites soutenues oralement à l’audience, et dont la communication n’avait pas été contestée.

MEDIATION

9 – Contentieux prud’homal : la clause de médiation préalable n’empêche pas la saisine directe du juge

Civ. 2e, Avis, 14 juin 2022, F-B, n° 15.006

La Cour de cassation a été saisie d’une demande d’avis par la cour d’appel de Colmar : « La convention instituant un préliminaire obligatoire de médiation s’impose-t-elle au juge du fond dès lors que les parties l’invoquent et doit-elle en conséquence entraîner l’irrecevabilité d’une demande formée sans que la procédure de médiation ait été mise en œuvre ? ».

L’avis rappelle les dispositions de l’article L. 1411-1 du code du travail, selon lequel le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail et juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti. Il en résulte qu’en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, la clause de médiation préalable en cas de litige n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend.

10 – Confidentialité : les documents issus d’une médiation ne peuvent être produits en justice sauf accord de la partie adverse

Civ. 2e, 9 juin 2022, FS-B, n° 19-21.798

Il résulte des articles 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qu’en dehors des cas dérogatoires prévus par la loi, la médiation est soumise au principe de confidentialité sauf accord contraire des parties. Le juge est donc tenu d’écarter, au besoin d’office, les pièces couvertes par l’obligation de confidentialité qui étaient produites par le demandeur sans l’accord de l’adversaire.

– Un mot sur la procédure de cassation –

Le grief de cassation tiré d’un défaut de réponse à conclusions est admis restrictivement par la Cour de cassation.

En effet, selon la Haute Cour, les juges du fond ne sont pas tenus de répondre à tous les arguments et allégations développés devant eux pour combattre les éléments de preuve qu’ils retiennent comme déterminants, ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.

Et, le grief de défaut de réponse à conclusions ne peut prospérer que si le demandeur a développé devant la cour d’appel un « véritable moyen » c’est-à-dire à un développement qui contient un raisonnement juridique : l’allégation d’un fait établi, l’invocation d’une règle de droit et la déduction d’une conséquence juridique.

Il existe donc un intérêt supplémentaire à formaliser rigoureusement un raisonnement par syllogisme et de mentionner dans les conclusions la pièce probatoire.

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