Nicolas Boullez Cour de Cassation

Procédure Civile – Lettre n°26

L’essentiel

D’intéressantes décisions ont été rendues ces deux derniers mois, en matière de procédure civile, par la Cour de cassation. Tout d’abord, la deuxième chambre civile a posé que l’enrôlement de l’assignation (article 754 du code de procédure civile) constitue une formalité substantielle, prescrite à peine de caducité de l’acte qui doit être relevée d’office par le juge, même à hauteur d’appel (I.1). La déclaration d’appel, par ailleurs, n’a pas à mentionner l’organe représentant la personne morale intimée, suffisamment désignée par sa dénomination et son siège social (I.3). Et un rappel utile en matière de procédure à bref délai : l’acte d’appel doit, à peine de caducité, être signifié à tous les intimés défaillants, même à ceux qui l’auraient été par erreur (I.4). Par ailleurs, les MARD sont encore à l’honneur : la deuxième chambre civile a fixé le point de départ du délai Magendie imparti à l’appelant pour déposer ses conclusions, lorsqu’une mesure de médiation a été décidée par le conseiller de la mise en état (IV.2). Elle a également décidé que le principe de concentration temporelle des prétentions n’est pas d’ordre public, en sorte que la cour d’appel n’a que la faculté de soulever la fin de non-recevoir en résultant (IV.3). Quant à l’arrêt de l’exécution provisoire, il est possible à l’encontre d’un jugement de liquidation d’astreinte (V). Du nouveau, enfin, sur la procédure de protection du secret des affaires en référé de l’article 145 du code de procédure civile : le juge de la rétractation ne peut, en une même décision, se prononcer à la fois sur la rétractation et sur la levée du séquestre, sauf si une jonction des instances a été prononcée (VI).

I – L’INTRODUCTION DE L’INSTANCE ET SA POURSUITE

1 – L’assignation : nullité et caducité

Civ. 2e, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21-22.482, FR-B

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.162, FR-B

Deux arrêts qui procèdent à d’utiles précisions.

La première décision pose que la nullité de fond affectant l’acte d’assignation qui a été délivré à la personne protégée et non pas à son tuteur, ne peut plus être régularisée, après le décès de l’incapable, peu important que ses héritiers comparaissent tous. Une solution rigoureuse, mais qui s’impose en regard de la nécessaire protection de l’incapable contre les actions en justice le visant.

Le second arrêt met en œuvre l’article 754 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 21 décembre 2023 : la juridiction n’est saisie que par la remise au greffe d’une copie de l’assignation, au plus tard 15 jours avant la date de l’audience ; il s’agit là d’une formalité substantielle, prescrite à peine de caducité de l’acte, constatée éventuellement d’office par le juge. Si le premier juge n’a pas rempli son office à cet égard, il incombe à la cour d’appel de constater la caducité de l’assignation introductive d’instance. Une sanction redoutable donc, mais proportionnée au caractère substantiel de la formalité.

2 – L’appel : délai de distance

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-21.140, FR-B

On le sait, les plaideurs résidant à l’étranger bénéficient d’un délai supplémentaire de deux mois, pour comparaître, faire appel ou former un recours extraordinaire.

L’arrêt apporte une précision intéressante, en s’appuyant sur la combinaison des articles 643 et 645 du code de procédure civile : demeure à l’étranger, et bénéficie ainsi du délai de distance, toute société dont le siège social est à l’étranger, même si elle est représentée en France par un mandataire général domicilié sur le territoire national, comme y sont tenues les compagnies d’assurance.

Une solution bienvenue : les dispositions spéciales du code des assurances qui imposent aux sociétés d’assurances étrangères de désigner un mandataire général domicilié en France ne changent rien au fait que ces compagnies ont leur siège social à l’étranger et doivent donc, comme telles, bénéficier des délais de distance.

3 – Acte d’appel : mentions

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.603, FR-B

L’étau se desserre un peu plus concernant le formalisme excessif en matière d’appel.

Par cet arrêt, la deuxième chambre civile pose que la partie appelante, dans l’acte d’appel, n’est tenue de désigner la personne morale, contre laquelle la demande est formée, que par les seules indications de sa dénomination et de son siège social. La mention du représentant légal de la personne morale intimée n’est ainsi pas obligatoire et son omission n’entraîne donc pas l’irrecevabilité de l’appel.

Une solution parfaitement conforme à la lettre des textes, soit des articles 54, 57 et 901 du code de procédure civile visés par la Cour de cassation.

4 – Procédure à bref délai : signification de l’acte d’appel à tous les intimés

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-23.178, FR-B

Un rappel utile en matière de procédure à bref délai (article 905-1 du code de procédure civile) : la déclaration d’appel doit, à peine de caducité, être signifiée à toutes les parties intimées, en ce compris le débiteur, peu important qu’il soit représenté par son liquidateur judiciaire.

La solution est conforme à la lettre du texte, mais elle est sévère car le débiteur n’avait en réalité pas à figurer à l’instance. Mais dès lors qu’il avait été intimé, même à tort, l’acte d’appel devait lui être signifié, à peine de caducité. Les avocats qui, par précaution, ont tendance à intimer largement, devront ainsi veiller à signifier la déclaration d’appel à tous les intimés défaillants, et même à ceux dont la présence à l’instance est inutile, voire proscrite.

5 – Procédure à bref délai : compétence du président de chambre pour connaître des incidents (recevabilité, caducité de l’acte d’appel)

Civ. 2e, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21-25.236, FS-B

En procédure à bref délai, point de conseiller de la mise en état. Le président de la chambre saisie est donc compétent pour connaître des incidents relatifs à l’irrecevabilité ou la caducité de l’appel.

Dès lors, pour la deuxième chambre civile, le président, saisi d’un tel incident d’irrecevabilité de l’appel, n’a pas à prendre en compte des observations qui ont été adressées, non pas à lui, mais à la formation collégiale.

Une solution réaliste, en regard du système du RPVA, mais dont on pourrait déplorer le formalisme excessif, des écritures n’étant pas prises en compte, par cela seulement qu’elles ont été mal orientées.

II – DEMANDE EN JUSTICE IRREGULIERE ET INTERRUPTION DU DELAI DE FORCLUSION : INJONCTION DE PAYER

Civ. 2e, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21-23.033, FR-B

La Cour de cassation rappelle des principes constants qu’elle applique à la procédure d’injonction de payer : l’opposition à injonction de payer, même irrégulière (vice de fond : défaut de pouvoir du représentant de la personne morale), saisit le tribunal de la demande initiale du créancier, ainsi que de l’entier litige.

En conséquence, cet acte d’opposition interrompt le délai du recours et sa régularisation est possible jusqu’à ce que le juge statue, ce que la jurisprudence décide constamment en matière de vice de fond résultant d’un défaut de pouvoir du représentant de la personne morale.

Une application donc des principes classiques dégagés par la jurisprudence à propos des articles 2241 du code civil et 121 du code de procédure civile, mais intéressante car appliquée à la procédure d’injonction de payer.

III – PEREMPTION : POINT DE DEPART DU DELAI APRES INTERRUPTION DE L’INSTANCE

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 17-13.454, FS-B

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-20.034, FS-B

Deux décisions qui rappellent la date à partir de laquelle le délai de péremption de deux ans court, lorsque l’instance est radiée après avoir été interrompue (pour cause, dans le premier arrêt, de notification de radiation d’une société, de décès d’une des parties dans le second) : c’est la notification par le greffe ou la signification, à la diligence d’une des parties, de l’ordonnance de radiation qui informe les parties des conséquences du défaut de diligences de leur part pendant deux ans.

Deux décisions qui ont le mérite de clarifier les choses, tout en mettant les parties face à leurs responsabilités : seule la notification ou la signification de l’ordonnance de radiation fait courir le délai de péremption et non pas la cause d’interruption portée à la connaissance des parties.

Les arrêts ont été rendus au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la deuxième chambre civile rappelant l’importance du droit d’accès à un tribunal, mais aussi le principe de sécurité juridique qui implique que les actions en justice aient un terme, afin que les plaideurs n’y soient pas indéfiniment exposés.

IV – LES ECRITURES D’APPEL

1 – Conclusions du défenseur syndical de l’appelant : notification à l’intimé (forme)

Civ. 2e, 23 novembre 2023, pourvoi n° 21-22.913, FR-B

L’article 930-3 du code de procédure civile prévoit une notification particulière des conclusions du défenseur syndical de l’appelant à l’avocat de l’intimé : ces conclusions doivent être adressées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification. On imagine bien que le défenseur syndical va user de la voie la plus simple, soit la lettre recommandée avec AR.

L’arrêt ajoute encore plus de souplesse : si les écritures ont été remises à l’avocat de l’intimé en main propre contre récépissé, un simple vice de forme est caractérisé et la caducité de l’appel n’est pas encourue, puisque, précise la Haute juridiction, ce mode de notification établit non seulement la remise des écritures du défenseur syndical, mais aussi leur date.

Cette solution est contestable, car elle dégage une nullité de forme curieuse (c’est une formalité procédurale qui a été omise, l’acte lui-même n’étant pas vicié), mais s’explique sans par doute par le fait que le défenseur syndical n’est pas un avocat comme les autres…

2 – MARD et délai de dépôt des conclusions de l’appelant

Civ. 2e, 23 novembre 2023, pourvoi n° 21-23.099, FR-B

Après déclaration d’appel, le conseiller de la mise en état peut ordonner une mesure de médiation. Mais à quelle date convient-il de se placer pour déterminer le point de départ du délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure, sous peine de caducité de l’appel ?

C’est à cette question que répond l’arrêt : le délai court depuis la fin de la mission du médiateur, sauf si le conseiller de la mise en état a constaté par ordonnance l’échec ou la fin de cette mission.

Cette solution est surprenante en regard de la lettre de l’article 910-2 du code de procédure civile, car l’ordonnance du conseiller de la mise en état constatant l’échec de la médiation était, en l’espèce, intervenue après la fin de la mission du médiateur. Mais la position de la Haute juridiction doit être approuvée, car elle correspond aux prévisions légitimes de l’appelant qui avait pu de bonne foi penser que le délai qui lui était imparti pour conclure courait depuis la décision du juge.

3 – Irrecevabilité des conclusions de l’intimé tardivement déposées : office du juge

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.887, FR-B

On le sait, l’intimé, en circuit court (article 905-2 du code de procédure civile), dispose d’un mois pour déposer ses conclusions, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office par le juge. Mais quel juge ? Et cette irrecevabilité doit-elle être obligatoirement relevée par lui ?

C’est à ces deux questions que répond l’arrêt : le juge est le président de la chambre ou le conseiller délégué à cet effet par le premier président ; néanmoins, après le dessaisissement de ce magistrat, la formation collégiale de la cour d’appel peut soulever l’irrecevabilité, si sa cause s’est révélée tardivement, mais il ne s’agit que d’une simple faculté pour elle.

4 – Tardiveté d’une demande en appel : le prononcé de l’irrecevabilité, simple faculté pour la cour d’appel

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.108, FR-B

Voici une décision qui traite de la sanction attachée aux prétentions qui ont été tardivement présentées par l’appelant ou l’intimé, que l’on se trouve en circuit normal ou court : ces prétentions ne figurant pas dans les premières conclusions déposées dans le délai de rigueur sont irrecevables.

Mais le juge n’a que la faculté de soulever d’office la fin de non‑recevoir : le principe de concentration temporelle des prétentions n’est donc pas d’ordre public, ce qui est logique car la haute juridiction en a déjà décidé ainsi concernant l’irrecevabilité tirée des dispositions de l’article 564 du code de procédure civile (prétentions nouvelles en appel) (Civ. 2e, 10 janvier 2013, pourvoi n° 12-11.667).

La deuxième chambre civile apporte en outre une précision importante : seule la cour d’appel, statuant en formation collégiale, est compétente pour connaître de cette irrecevabilité.

V – ARRET DE L’EXECUTION PROVISOIRE : JUGEMENT DE LIQUIDATION DE L’ASTREINTE

Civ. 2e, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21-17.475, FR-B

L’exécution provisoire est désormais de droit pour la plupart des décisions de première instance.

Le Premier Président peut néanmoins, par application de l’article 524 du code de procédure civile, décider de l’arrêt de l’exécution provisoire, en cas de violation manifeste du principe du contradictoire, de l’article 12 ou si la décision risque d’emporter des conséquences manifestement excessives. Mais une décision de liquidation d’astreinte peut-elle être arrêtée, indépendamment de l’obligation qu’elle tend à faire exécuter ?

Oui, répond la deuxième chambre civile. La décision est importante, puisqu’elle rappelle que le jugement de liquidation d’astreinte, même s’il n’est pas une mesure d’exécution, constitue une décision à part entière dont l’exécution provisoire peut être arrêtée, indépendamment du sort attachée au jugement emportant l’obligation assortie de l’astreinte.

VI – JUGE DE L’EXECUTION : LIQUIDATION PRECISE DE LA CREANCE EN SAISIE DES REMUNERATIONS

Civ. 2e, 21 décembre 2023, pourvoi n° 21-22.127, FR-B

Encore une précision sur les pouvoirs du juge de l’exécution, toujours plus étendus : il lui appartient de liquider, tant en principal qu’en intérêts, la créance pour laquelle il autorise la saisie des rémunérations.

Cet arrêt impose au juge un calcul précis de la créance, notamment concernant les intérêts dont le montant doit être fixé par le juge qui ne peut ainsi se contenter d’en poser les bases de calcul, à charge pour les parties d’y procéder elles-mêmes. Quant au capital, le juge doit faire de même, en fixant le solde restant réellement dû.

VII – ARTICLE 145 DU CODE DE PROCEDURE CIVILE ET SECRET DES AFFAIRES :

sauf jonction des instances, le juge de la rétractation ne peut se prononcer en une seule décision a la fois sur la rétractation et sur la levée du séquestre

Civ. 2e, 18 janvier 2024, pourvoi n° 21-23.968, FS-B

Les articles R. 153-1 et suivants du code de commerce organisent une procédure de protection du secret des affaires, concernant des pièces saisies dans le cadre d’une mesure d’instruction diligentée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile. Le juge de la rétractation est compétent pour mettre en œuvre cette procédure, ainsi que le prévoit l’article R. 153-1 du code de commerce.

Ainsi, la partie saisie, qui a formé un recours en rétractation et s’oppose à la communication des pièces séquestrées (ce qui peut être fait sous forme de demande de prolongation du séquestre ou de restitution des pièces), doit former un incident relatif au secret et satisfaire, à peine d’irrecevabilité de l’incident, aux prescriptions posées par l’article R. 153-3 du code de commerce, soit elle doit désigner les pièces visées et expliquer au juge en quoi le secret des affaires s’oppose à leur communication.

Mais qu’en est-il lorsque les parties ont, au fond, scindé la rétractation proprement dite du recours afférent à la levée du séquestre ? Le juge peut-il connaître des deux questions en une seule décision ?

Oui et non répond la Cour de cassation : oui si le juge de la rétractation a prononcé la jonction des deux procédures, non dans le cas contraire, car la partie saisie a droit à un véritable débat contradictoire, concernant la levée du séquestre et la protection du secret des affaires.

Une clarification bienvenue qui donne tout son sens à la procédure aménagée aux articles R. 153-1 et suivants du code de commerce.

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