L’essentiel
La jurisprudence de la deuxième chambre civile est toujours riche et les arrêts rendus ces dernières semaines ne le démentent pas. D’abord, les magistrats de la Haute cour ont rappelé les implications du contradictoire et ses limites en matière de secret médical (I). Ensuite, elle a réaffirmé, en matière d’effet dévolutif de l’appel, l’entrée en vigueur modulée de ses règles jurisprudentielles, en l’appliquant à l’instance de renvoi après cassation (II). La deuxième chambre civile a aussi opéré, dans le sens d’un réel assouplissement, un véritable revirement jurisprudentiel de la définition de diligence interruptive de la péremption (III.3), ce qui permet par exemple aux parties de se prévaloir d’une diligence opérée dans une autre instance pour échapper à la péremption dans l’instance liée (III.4). A également été sanctionné à nouveau un formalisme excessif en matière d’appel et de formalités de communication électronique (IV.2). A aussi été strictement encadrée la tierce-opposition formée par l’employeur contre l’arrêt reconnaissant le caractère professionnel de la maladie d’un salarié, dans les rapports caisse/salarié : il n’a pas d’intérêt à agir s’il bénéficie pour sa part d’une décision de refus de prise en charge définitive (V.1). En matière de saisie attribution, les créances indirectes du débiteur sont exclues du périmètre de l’effet attributif (VI.1). Et une unique saisie attribution suffit pour des créances à exécution successive procédant d’une opération économique unique (VI.3). Enfin, la deuxième chambre civile a, apporté des précisions intéressantes quant au pouvoir du juge de l’exécution pour trancher des contestations sérieuses s’élevant en matière de mesures d’exécution forcée (VI.4).
I – Principes directeurs du procès : le contradictoire et les droits de la défense
1 – Procédure orale et conclusions tardivement déposées
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 21-20.297, FR-B
L’on sait qu’en procédure orale, les parties présentent en principe leurs observations à l’audience, mais peuvent aussi « se référer » à leurs prétentions et moyens formulés dans des conclusions écrites. Un tel renvoi aux écritures se résout le plus souvent en un simple dépôt de dossier à l’audience, lorsque le juge est d’accord (Civ. 2ème, 1er juillet 2021, pourvoi n° 20-12.303). Quid lorsque des conclusions sont tardivement déposées ? La solution n’est pas à trouver, dit la Haute juridiction, dans l’autorisation donnée à l’autre partie de déposer une note en délibéré ; le juge doit renvoyer l’affaire à une audience ultérieure, ce qui rallonge certes la procédure, mais préserve le respect du contradictoire.
2 – Expertise médicale : pas d’assistance de la victime par son avocat
Civ. 2ème, 30 avril 2025, pourvoi n° 22-15.215, FS-B
Lors d’une expertise médicale, la victime peut-elle être assistée de son avocat ? Non, répond la Cour de cassation. En effet, aucune disposition législative n’autorise la levée du secret médical lors d’une expertise judiciaire, au bénéfice d’une personne (l’avocat) qui n’est pas un professionnel de santé. La victime d’un dommage corporel est ainsi protégée, malgré elle, par le secret médical dont elle ne peut délier le médecin expert au profit de son avocat.
II – L’application de la loi (ou plutôt de la jurisprudence de la Cour de cassation) dans le temps
Civ. 2ème, 22 mai 2025, pourvoi n° 22-22.868, FR-B
On se rappelle que la Cour de cassation a jugé que, lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que le confirmer. Mais la règle ne s’applique qu’aux instances d’appel introduites après le premier arrêt publié la posant (Civ. 2ème, 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626). Dans l’hypothèse de saisine de la cour de renvoi après cassation, la date à prendre en considération est celle de la déclaration d’appel initiale et non la déclaration de saisine de la cour de renvoi. Une solution bienvenue qui aboutit à ne pas déjouer les prévisions des parties qui subissent une cassation avec renvoi ; elle se trouve aussi dans la logique du renvoi après cassation qui n’introduit pas une nouvelle instance.
III – L’instance
1 – Introduction de l’instance et assignations multiples
Civ. 2ème, 22 mai 2025, pourvoi n° 22-23.066, FR-B
Cet arrêt va dans le sens d’une simplification de la procédure qui pose que l’assignation en référé délivrée à plusieurs personnes n’impose qu’un seul enrôlement. Après avoir rappelé que selon l’article 754, alinéa 1er, du code de procédure civile, la juridiction est saisie à la diligence de l’une ou l’autre des parties, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation dans le délai imparti, la deuxième chambre civile en conclut qu’un seul enrôlement suffit et que la remise au greffe de la copie de l’assignation effectuée dans le délai imparti est régulière.
2 – Référé commercial : le droit commun s’applique
Civ. 2ème, 22 mai 2025, pourvoi n° 23-14.133, FR-B
Un arrêt qui procède à un rappel bienvenu : les dispositions applicables à la procédure au fond devant le tribunal de commerce, y compris l’article 857 du code de procédure civile, ne sont pas applicables à la procédure de référé régie par les articles 484 et suivants du code de procédure civile. En conséquence, le délai entre l’assignation et l’audience prévu à l’article 857 du code de procédure civile n’est pas applicable en matière de référé. A retenir donc : la procédure de référé devant le tribunal de commerce est régie par les dispositions communes à toutes les juridictions en matière de référé (article 484 à 492 du code de procédure civile), les textes spéciaux (articles 872 à 873-2) ne concernant d’ailleurs pour l’essentiel que les pouvoirs du président.
3 – Péremption de l’instance : assouplissement de la définition de la diligence interruptive
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-15.464, FS-B
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-20.067 FS-B
Par ces deux arrêts, la Cour de cassation redessine, dans un revirement de jurisprudence parfaitement assumé et justifié par les incertitudes nées de décisions antérieures fluctuantes, les contours de la diligence interruptive de la péremption, pour l’admettre dans des hypothèses plus nombreuses, tout en laissant aux juges du fond une large marge d’appréciation. Une diligence interruptive du délai de péremption s’entend désormais « de l’initiative d’une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l’instance. Ces conditions, qui dépendent de la nature de l’affaire et de circonstances de fait, sont appréciées souverainement par le juge du fond ». Dans ce cadre, un changement d’avocat et une nouvelle constitution (second arrêt) ou le courrier électronique informant le juge de l’échec d’une médiation et demandant le rétablissement de l’affaire (premier arrêt), sont susceptibles de caractériser de telles « initiatives » interruptives de la péremption. Exit donc la sévérité de la Cour de cassation en matière de péremption et toute initiative des parties est susceptible de l’interrompre, pourvu que, replacée dans son contexte, elle soit utile et manifeste leur volonté de poursuivre l’instance.
4 – Péremption de l’instance : rattrapage possible par une diligence accomplie dans une autre instance liée
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-23.948, FS-B
Pour la Cour de cassation, dès lors que deux instances se rattachent entre elles par un lien de dépendance direct et nécessaire, une diligence accomplie dans l’une d’elles suffit à mettre l’autre à l’abri de la péremption. Une solution qui se trouve dans la ligne jurisprudentielle selon laquelle un délai interrompu dans l’une des instances liées vaut pour toutes. D’une manière générale, la Cour de cassation refuse d’imposer aux parties la multiplication de diligences inutiles qui ne seraient accomplies que dans le but d’échapper à la péremption, comme par exemple demander le prononcé d’un sursis à statuer dans l’une des instances en attendant que l’autre trouve sa solution.
IV – L’appel, voie de recours ordinaire
1 – L’appel irrégulier peut être réitéré
Civ. 2ème, 30 avril 2025, pourvoi n° 22-20.064, FR-B
Pour la Haute juridiction, une déclaration d’appel irrégulière, susceptible d’entraîner l’irrecevabilité de l’appel, n’empêche pas son auteur de former un autre appel, régulier, dès lors que le premier n’a pas encore été déclaré irrecevable et que le délai d’appel n’est pas écoulé. Une solution logique, mais dont le rappel n’est pas inutile.
2 – Déclaration d’appel et formalisme excessif
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-17.022, FR-B
Où l’on voit à nouveau la Cour de cassation venir, au nom du formalisme excessif, au secours d’une déclaration d’appel jugée caduque. Il faut dire que le cas était un peu d’école : une cour d’appel avait déclaré caduc un appel, faute pour les appelantes d’avoir joint, à la signification à l’intimé défaillant de l’acte d’appel, le récapitulatif prévu par l’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020 sur la communication électronique en matière civile, reprenant les données du message RPVA et retourné par le greffe après appel… alors même que les appelantes n’en disposaient pas au moment de la signification et que l’intimée, ayant constitué avocat, avait bien été informée de l’appel. Cassation donc de l’arrêt, le fichier récapitulatif aux noms des appelantes n’ayant pas à être joint à la signification de la déclaration d’appel à l’intimé défaillant, surtout quand il n’a pas été émis par le système.
3 – Déclaration d’appel et effet dévolutif
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-21.602, FR-B
Encore l’effet dévolutif ! Dans cet arrêt, la deuxième chambre civile pose en principe que l’effet dévolutif opère dès que les chefs du jugement attaqué peuvent être déduits de la déclaration d’appel. Cet arrêt jette le trouble sur une jurisprudence sévère mais bien connue des avocats. En effet, l’appelant avait demandé la confirmation du jugement sur certains chefs du jugement, son infirmation pour le surplus, tout en sollicitant sa réformation en listant des demandes, lesquelles n’avaient pas leur place dans la déclaration d’appel. Donc cet arrêt marque un certain libéralisme, tout en semant le doute, car les chefs du jugement dont l’infirmation était demandée n’étaient pas précisés et ne pouvaient qu’être déduits de demandes qui n’avaient pas à être présentées dans la déclaration d’appel. Un certain retour en arrière donc… Affaire à suivre.
V – Les voies de recours extraordinaires : la tierce opposition
1 – Tierce opposition et intérêt de l’employeur en matière d’accident du travail
Civ. 2ème, 20 mars 2025, pourvoi n° 22-24.353, FR-B
La voie de la tierce opposition formée par l’employeur contre l’arrêt reconnaissant, dans les rapports entre la caisse et la victime, le caractère professionnel d’une maladie, est strictement encadrée. Au nom du principe d’indépendance des rapports caisse-employeur et caisse-victime, la Cour de cassation refuse à l’employeur tout intérêt personnel et actuel à former tierce opposition, dès lors qu’il bénéficiait de la décision de refus de prise en charge par la caisse d’assurance maladie, devenue définitive à son profit. La formation du recours était donc parfaitement inutile le concernant.
2 – Pourvoi en cassation : recevabilité immédiate contre une ordonnance de référé
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-23.483, FR-B
Cet arrêt pose qu’est recevable le pourvoi formé contre un arrêt qui infirme une ordonnance de référé, retient l’existence de contestations sérieuses s’opposant à la demande de provision et ordonne le renvoi de l’affaire devant une autre formation compétente au fond. En effet, la cour d’appel s’était ainsi dessaisie de la contestation qu’elle a tranchée et ayant mis à l’instance.
VI – Voies d’exécution
1 – Saisie attribution : créances indirectes du débiteur (exclusion)
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-18.531, FR-B
Cet arrêt apporte un éclaircissement capital en matière de saisie attribution : il résulte de l’article L. 211-1 du code des procédures civiles d’exécution qu’une saisie-attribution porte uniquement sur les créances du débiteur contre le tiers saisi, à l’exclusion des créances d’un débiteur du débiteur contre le même tiers. Les seules créances directes du débiteur peuvent ainsi être atteintes par l’effet attributif. En définitive, seule une action oblique permettrait d’appréhender des créances indirectes du débiteur.
2 – Saisie attribution : décompte erroné dans l’acte de saisie (pas de nullité)
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-18.591, FR-B
Une solution libérale qui avait déjà été amorcée par le passé (Civ. 2ème, 27 mai 2004, pourvoi n° 02-20.160) : en cas d’erreur de décompte dans l’acte de saisie concernant la somme due, la sanction consiste en la réduction du montant pour lequel la saisie est pratiquée et non la nullité de l’acte.
3 – Saisie attribution : créances à exécution successive découlant d’un contrat unique
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-13.098, FR-B
Cet arrêt confirme qu’une saisie attribution peut porter sur une ou des créances à exécution successive. L’article L. 112-1 du code des procédures d’exécution admet qu’une telle mesure porte sur une créance à terme, pourvu qu’elle soit certaine. Une seule saisie est ainsi nécessaire et le débiteur se libérera des sommes dues au fur et à mesure de l’arrivée du terme de chacune. Tel est le cas, lorsque des contrats, comportant des prix fermes, procédaient en fait d’une convention unique. Mais l’admission d’une seule saisie pour plusieurs contrats procédant d’une seule et même opération économique emporte obligation, pour le tiers saisi, de déclarer spontanément à l’huissier l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur, jusqu’à ce que le créancier saisissant soit rempli de ses droits.
4 – Saisie attribution : pouvoirs du juge de l’exécution et contestation sérieuse
Civ. 2ème, 27 mars 2025, pourvoi n° 22-18.847, FR-B
Civ. 2ème, 22 mai 2025, pourvoi n° 22-15.566, FR-B
Ces arrêts vont le sens d’un office accru du juge de l’exécution pour trancher les contestations sérieuses relatives aux mesures d’exécution forcée.
Dans le premier arrêt, la deuxième chambre civile confirme que, saisi d’une demande de mainlevée d’une saisie conservatoire, le juge de l’exécution ne peut considérer qu’une créance paraît fondée en son principe, sans « examiner les points litigieux tenant à la prescription applicable et à son point de départ ». Ainsi, même si le juge ne fait, en matière de saisie conservatoire, qu’effleurer le fond du droit, il ne peut se dispenser de se prononcer sur la prescription de la créance.
Dans le second arrêt, la Cour de cassation confirme la compétence du juge de l’exécution pour connaître des contestations portant sur la cause d’un chèque impayé et les mesures d’exécution forcée qui en découlent. Un huissier de justice avait émis un titre exécutoire sur le fondement d’un certificat de non-paiement bancaire. Cassation, au visa des articles L. 131-25, L. 173 du code monétaire et financier et L. 213-6 du COJ, de l’arrêt qui avait considéré que le juge de l’exécution n’avait pas le pouvoir de statuer sur l’exception tirée de l’absence de cause du chèque soulevée par le débiteur.