Procédure civile – Lettre n°7

L’essentiel

La lettre d’actualité met en avant le retentissant arrêt du 13 janvier 2022, par lequel la Cour de cassation a admis le recours à l’annexe à la déclaration d’appel sous certaines conditions qui ne manqueront pas de surprendre les praticiens.

Le panorama de jurisprudence invite ensuite à examiner les arrêts en matière de procédure sans audience dérogatoire en ce qu’elle préfigure les droits des parties que la Cour de cassation entend protéger, nonobstant un régime spécial (1, 2, 3). L’on notera qu’encore une fois, l’actualité de la jurisprudence de la haute cour se concentre sur la procédure d’appel, tant avec représentation obligatoire (4, 5) qu’en matière de procédure orale (6, 7). Enfin, d’autres règles sont rappelées en matière de diligences de l’huissier de justice (8) et de recevabilité des conclusions (9). Bonne lecture !

À la une

L’annexe de la déclaration d’appel : un piège inattendu

Civ. 2e, 13 janvier 2022, FS-B, n° 20-17.516

On sait que lorsque les chefs de jugement critiqués que doit contenir l’acte d’appel, dépassent 4 080 caractères – limite maximale du RPVA – l’acte d’appel ne peut être adressé, générant un message de refus d’enregistrement. De nombreux praticiens avaient donc pris l’habitude de renseigner les éléments d’identification des parties et de la décision attaquée dans l’acte d’appel par voie électronique et d’annexer un fichier joint établi sous forme de copie numérique, afin de préciser les chefs de jugement critiqués. Un contentieux nourri a divisé les cours d’appel sur la question de savoir s’il était possible d’établir une annexe quand bien même le dispositif du jugement serait inférieur à 4 080 caractères.
La Cour de cassation vient de les départager. Elle rappelle le principe que les mentions prévues par l’article 901, 4°, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul et elle décide que cependant en cas d’empêchement d’ordre technique, l’appelant peut compléter la déclaration d’appel par un document faisant corps avec elle et auquel elle doit renvoyer. En l’espèce, la cour d’appel avait constaté que les chefs critiqués du jugement n’avaient pas été énoncés dans la déclaration d’appel, et que l’appelant s’était borné à y joindre un document intitulé ” motif déclaration d’appel pdf “. La cour d’appel devant qui l’appelant n’alléguait pas un empêchement technique à renseigner la déclaration, a pu déduire que le document ne valait pas déclaration d’appel et n’était pas de nature à opérer dévolution.

Cet arrêt ne prévoit aucun différé d’application. La rétroactivité de la jurisprudence va donc jouer son plein effet et atteindre l’ensemble des déclarations d’appel introduites au moyen d’une annexe depuis le 1er septembre 2017, date à laquelle l’article 901 a prévu que la déclaration d’appel contient, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité.

Désormais, la prudence s’impose : pas d’annexe en cas de dispositif du jugement inférieur à 4 080 caractères, et en cas de dépassement de caractères, il est préférable d’établir l’acte d’appel sur lesquels figurent les premiers chefs de jugement et de renvoyer expressément à une annexe sur laquelle les suivants sont précisés, en attendant que la Cour de cassation vienne préciser la notion de complément.

Nota : une nouvelle déclaration d’appel peut être faite dans le délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure afin de régulariser l’acte d’appel.

Retour sur la procédure sans audience pendant la crise sanitaire

Rappelons que l’article L. 212-5-1 du code de l’organisation judiciaire, issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, pose les principes de la procédure sans audience ” ordinaire ” applicable devant le tribunal judiciaire. Elle suppose l’initiative et l’accord des parties et le juge peut décider un retour à l’audience.

Par plusieurs arrêts rendus le même jour, la Cour de cassation vient de donner des directives d’application de l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 qui prévoit quant à lui, de manière dérogatoire à l’occasion de la crise sanitaire, que le juge peut décider d’avoir recours à la procédure sans audience lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat. Les parties en sont informées par tout moyen. Hormis les cas du référé, des procédures accélérées au fond et des procédures dans lesquelles le juge doit statuer dans un délai déterminé, les parties disposent d’un délai de quinze jours pour s’opposer à la procédure sans audience.

1 – Les exigences formelles du recours à la procédure sans audience

Civ. 2e, 16 décembre 2021, FS-B, n° 20-18.797, n° 20-18.798 et n° 20-19.488

Ces trois arrêts ajoutent une exigence de forme à l’article précité : lorsque le juge décide que la procédure doit se dérouler sans audience, son jugement doit mentionner, à peine de nullité, la décision du président de statuer sans audience, les modalités de l’information aux parties ainsi que l’absence d’opposition de celles-ci.

Néanmoins, la portée de ces arrêts est atténuée puisqu’ils retiennent que la nullité n’est pas encourue malgré l’omission de ces mentions si, conformément à l’article 459 du code de procédure civile, il résulte du registre d’audience, d’une pièce de la procédure, ou de tout autre moyen que les prescriptions légales ont effectivement été observées. En ces espèces, il résultait des productions que les avocats avaient bien donné leur accord à la mise en œuvre de la procédure sans audience.

2 – L’information ” par tout moyen ” : l’effectivité avant tout

Civ. 2e, 16 décembre 2021, FS-B, n° 20-20.443

L’information par tout moyen de ce que le juge envisage de statuer sans audience peut être communiquée aux avocats des parties, notamment par messages via le Réseau privé virtuel des avocats (RPVA) ou, à défaut, par courriels à leur adresse professionnelle, ou, à défaut encore, par tout autre mode assurant l’effectivité de cette transmission. En l’espèce, l’arrêt d’appel a été cassé au motif que la cour aurait dû rechercher si l’information, qui avait consisté en une note transmise au bâtonnier de l’ordre des avocats par un magistrat chargé de la coordination du pôle civil de la cour d’appel, avait été portée à la connaissance des parties.

3 – Le droit de s’opposer à la procédure sans audience appartient aussi à l’intimé qui a conclu hors délai

Civ. 2e, 16 décembre 2021, FS-B, n° 20-18.237

Lorsqu’en application de l’article 8 précité, le juge prend la décision de statuer sans audience, le droit de s’opposer à cette décision appartient à toute partie. Il en résulte qu’un intimé, dont les conclusions tardives ont été déclarées irrecevables en application de l’article 909 du code de procédure civile, n’est pas privé de ce droit.

Le droit au débat oral se distingue nettement du droit de conclure et n’est pas un simple prolongement de ce dernier. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle admis que l’intimé qui n’a pas conclu dans le délai de l’article 909 du code de procédure civile n’est pas privé de la faculté de répondre à la demande d’explication formulée par la cour d’appel en application de l’article 442 du code de procédure civile (Civ. 2e, 5 septembre 2019, n° 18-19.019) et qu’une cour d’appel, ayant rouvert les débats à fin d’obtenir des observations des parties sur un point précis, peut statuer au vu de celles déposées sur ce point par l’intimé, bien que les conclusions de ce dernier aient été déclarées irrecevables en application de l’article 909 du code de procédure civile (Civ. 2e, 16 mai 2019, n° 18-10.825).

Procédure d’appel avec représentation obligatoire

4 – Une appréciation in concreto de la force majeure procédurale

Civ. 2e, 2 décembre 2021, F-B, n° 20-18.732

L’appelant reprochait à la cour d’appel d’avoir écarté la force majeure au sens de l’article 910-3 du code de procédure civile, propre à écarter la caducité encourue pour remise tardive des conclusions (art. 908) alors pourtant qu’il avait soutenu, certificat médical à l’appui, que son avocat avait été empêché de travailler du 22 mai au 3 juin 2019.

Pour statuer ainsi, la cour d’appel a retenu que l’avocat a été en mesure le 24 mai 2019 de communiquer le décompte des condamnations et règlements et que c’est le jour même de son rétablissement, le 3 juin, qu’il a adressé à la cour ses conclusions concernant les seize salariés intimés, accompagnées de nombreuses pièces, ce dont elle avait déduit que l’avocat, lorsqu’il traite les dossiers de sa clientèle personnelle, bénéficiait d’un support de la part du cabinet d’avocats dans lequel il exerce, constitué d’une trentaine de personnes dont une équipe en droit social. Les faits ne relevaient donc pas d’un cas de force majeure, définie en procédure civile par la Cour de cassation, comme la circonstance non imputable au fait de la partie et qui revêt pour elle un caractère insurmontable (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-10.654).

Nota : La force majeure ne doit pas être confondue avec la cause étrangère tenant aux difficultés liées à la communication électronique permettant le recours au support papier (art. 930-1 et 748-7 CPC).

5 – Procédure à suivre en cas d’appel d’un jugement prud’homal statuant sur la compétence

Civ. 2e, 16 décembre 2021, F-B, n° 20-12.000

Selon l’article 83 du code de procédure civile, lorsque le juge s’est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l’objet d’un appel dans les conditions prévues, notamment, par l’article 85 du même code. Aux termes de ce dernier texte, l’appel est instruit ou jugé comme en matière de procédure à jour fixe si les règles applicables à l’appel des décisions rendues par la juridiction, dont émane le jugement frappé d’appel, imposent la constitution d’avocat, ou, dans le cas contraire, comme il est dit à l’article 948 relatif à la fixation prioritaire dans la procédure sans représentation obligatoire.

La Cour de cassation prend une position claire : en matière prud’homale, même s’il est prévu une procédure spécifique de représentation puisque que la partie peut se faire représenter par un avocat mais également par un défenseur syndical, la représentation est obligatoire. Il en résulte que l’appel d’un jugement prud’homal statuant sur la compétence est instruit comme en matière de procédure à jour fixe, et non selon l’article 948 du code de procédure civile.

Procédure orale devant la Cour d’appel

6 – Le greffe n’est pas tenu de convoquer le conseil du demandeur

Civ. 2e, 16 décembre 2021, F-B, n° 19-26.090

Selon l’article 937 du code de procédure civile, applicable à la procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, c’est le demandeur qui est avisé par tous moyens des lieu, jour et heure de l’audience. Ainsi si, selon l’article 932 du même code, la déclaration d’appel peut être faite par mandataire, aucun texte n’impose qu’un avis doit être adressé au conseil du demandeur, qui a, lui-même, été destinataire de cet avis et a, dès lors, été mis en mesure de se présenter à l’audience et de faire valoir ses droits. En l’espèce, à défaut de comparution du demandeur dûment convoqué et de représentation à l’audience, la cour d’appel a pu juger qu’aucun moyen n’a été soutenu à l’appui de l’appel.

Nota : les conseils devront être très vigilants et s’informer des avis du greffe auprès de leur mandant.

7 – La cour d’appel demeure saisie des conclusions déposées par une partie ayant comparu à une première audience nonobstant son absence à l’audience de renvoi

Civ. 2e, 20 janvier 2022, F-D, n° 19-26.215

En procédure orale, la cour d’appel demeure saisie des écritures déposées par une partie ayant comparu à une première audience, même si celle-ci ne comparaît pas ou ne se fait pas représenter à l’audience de renvoi. En l’espèce, est cassé l’arrêt qui retient que la cour n’est saisie d’aucun moyen et que le recours ne peut qu’être rejeté aux motifs que les parties n’avaient ni comparu à l’audience de renvoi, ni fait connaître les motifs de leur absence et ne justifiaient pas avoir présenté une demande aux fins de dispense de comparution conformément aux dispositions de l’article 946 du code de procédure civile, alors pourtant que la cour avait constaté que les parties avaient comparu à la première audience et soutenu en conséquence le recours qu’ils avaient déposé.

Dispositions diverses

8 – Signification des actes : allègement des diligences de l’huissier

Civ. 2e, 2 décembre 2021, F-B, n° 19-24.170

Il résulte des articles 654, 655 et 689 du code de procédure civile que lorsque l’huissier de justice s’est assuré de la réalité du domicile du destinataire de l’acte et que celui-ci est absent, il n’est pas tenu de se présenter à nouveau ou de tenter une signification à personne sur son lieu de travail, et peut recourir à la signification à domicile.

Cet arrêt apporte des précisions utiles : lorsque le destinataire de l’acte dispose d’un domicile qui a pu être identifié, l’huissier de justice ne devra tenter de signification à personne qu’à ce domicile, même si le lieu de travail est connu. En outre, l’impossibilité de signifier à personne, condition nécessaire pour signifier à domicile, est caractérisé par l’absence du destinataire, nonobstant le caractère momentané de cette absence.

9 – L’irrecevabilité des conclusions est encourue faute de justifier de l’effectivité de l’adresse indiquée

Civ. 2e, 13 janvier 2022, FS-B+R, n° 20-11.081

Selon l’article 961 du code de procédure civile, les conclusions d’appel des parties doivent, à peine d’irrecevabilité, indiquer, pour les personnes physiques, leur domicile réel. Cette fin de non-recevoir peut être régularisée jusqu’au jour du prononcé de la clôture, ou, en l’absence de mise en état, jusqu’à l’ouverture des débats. Il en résulte que, si la charge de la preuve de la fictivité du domicile pèse sur celui qui se prévaut de cette irrégularité, il appartient à celui qui prétend la régulariser de prouver que la nouvelle adresse indiquée constitue son domicile réel.

En l’espèce, dans sa déclaration d’appel et ses écritures, l’appelant se disait domicilié en Floride, mais il résultait des pièces produites par la partie adverse qu’il s’agissait d’une propriété vacante. L’appelant ne contestait pas ne pas résider à cette adresse et dans ses dernières écritures, il prétendait être domicilié au Panama. Toutefois n’ayant pas justifié de l’effectivité de ce dernier domicile, la cour d’appel a pu déclarer ses conclusions irrecevables et partant, le jugement a été confirmé faute pour l’appelant de soutenir l’appel.

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