Nicolas Boullez avocat aux conseils à Paris

Procédures Collectives – Lettre n°23

L’essentiel

La chambre commerciale a rendu plusieurs arrêts intéressants, en procédures collectives, aux mois d’octobre et de novembre 2023. Tout d’abord, en procédures d’insolvabilité européennes, la Cour régulatrice a précisé les effets, en matière de reprise d’une instance en cours en France, de l’absence de déclaration de créance à la procédure collective étrangère (1). Ensuite, la chambre commerciale a restreint les pouvoirs du conseiller de la mise en état, saisi d’une fin de non-recevoir formée dans le cadre de l’appel-nullité d’un jugement afférent à une procédure collective et déjà frappé d’appel (3). De plus, le juge-commissaire a compétence liée, lorsqu’un créancier institutionnel demande, en liquidation judiciaire, à être désigné comme contrôleur (6). La chambre commerciale a, en outre, adopté des solutions rigoureuses pour la caution personne physique, en termes de prescription et d’arrêt des poursuites (8). Elle a précisé le formalisme de la contestation de créance par le mandataire judiciaire (10). Enfin, la Cour régulatrice a procédé à une mise en application controversée de l’article L. 643-7-1 du code de commerce, en matière d’ordre des paiements erroné (13).

1 – Droit européen : directive Solvabilité II

Com. 4 octobre 2023, n° 22-12.128, FS-B

Cet arrêt met en œuvre la directive Solvabilité II qui a posé que la procédure collective ouverte au bénéfice d’une entreprise d’assurance est soumise à la loi d’origine, c’est-à-dire à la loi de l’État membre où la procédure d’insolvabilité est ouverte (lex fori concursus). Ce texte européen a été transposé en France par l’ordonnance n° 2015-378 du 2 avril 2015.

L’article L. 326-20 du code des assurances prévoit la reconnaissance automatique dans tous les États membres de l’Union européenne des décisions d’ouverture d’une liquidation prises dans un autre État membre. Les dispositions de l’article L. 326-28 du même code ajoutent que les « effets de la mesure d’assainissement ou de l’ouverture de la procédure de liquidation sur une instance en cours en France concernant un bien ou un droit dont l’entreprise d’assurance est dessaisie sont régis exclusivement par les dispositions du code de procédure civile ».

Appliquant ces textes, la chambre commerciale juge que la loi française a été correctement mise en œuvre par le juge français, non pour fixer les conditions de déclarations de créances à la procédure collective danoise, mais seulement pour déterminer les effets de l’ouverture de cette procédure sur l’instance en cours en France. Dès lors que cette instance était interrompue par application des dispositions des articles L. 622-22 et L. 641-3 du code de commerce jusqu’à ce que les liquidateurs des sociétés françaises créancières d’indemnités d’assurance aient procédé à la déclaration de leurs créances au passif de l’assureur danois en procédure collective, cette instance n’avait pas été reprise en l’absence de telles déclarations à la procédure danoise, l’assignation en intervention forcée du syndic danois ne valant pas production de créance.

La solution dégagée par la Cour de cassation est transposable au contentieux né du règlement insolvabilité.

Attention donc à déclarer les créances à la procédure collective étrangère, faute de quoi l’instance en cours en France pour la fixation de ces créances ne peut être reprise !

2 – Conciliation : appel ouvert au créancier contre le plan de rééchelonnement

Com. 25 octobre 2023, n° 22-15.776, FS-B

La Cour de cassation apporte une précision importante dans cette décision : le créancier qui s’est vu imposer un délai de grâce, par le président du tribunal de commerce agissant, sur le fondement de l’article L. 611-7 du code de commerce, dans le cadre d’une procédure de conciliation, peut interjeter appel de cette décision, aucune disposition légale ne restreignant ses possibilités d’exercer une voie de recours.

La précision est bienvenue, des auteurs ayant soutenu que, dans le silence des textes, seule la voie du pourvoi était ouverte.

La chambre commerciale rappelle qu’au contraire, faute de texte spécial la restreignant ou la fermant, la voie de l’appel est ouverte.

3 – Restrictions apportées aux pouvoirs du conseiller de la mise en état en matière de fin de non-recevoir

Com. 22 novembre 2023, n° 21-24.839, FS‑B

Un arrêt important, promis à la publication à la très sélective Lettre des chambres. Il se situe dans le prolongement d’un avis émis par la Cour régulatrice, le 3 juin 2021 (nº 21-70.006), ayant posé que le conseiller de la mise en état ne pouvait connaître ni des fins de non‑recevoir qui avaient été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui avait été jugé au fond par le premier juge.

En conséquence, le conseiller de la mise en état, ou la cour d’appel statuant sur déféré de son ordonnance, ne peut connaître de la recevabilité d’un appel-nullité, invoquant un excès de pouvoir commis par le premier juge, dès lors que si l’appel était déclaré recevable, cela aurait pour conséquence de remettre en cause la décision frappée d’appel.

Pas d’examen donc, pour le conseiller de la mise en état, de la recevabilité de l’appel‑nullité d’un jugement intervenu en cours de procédure de conciliation.

La portée de la décision n’est évidemment pas restreinte à la matière des procédures collective.

4 – Redressement judiciaire : communication au tribunal des documents afférents à une procédure de prévention antérieure

Com. 22 novembre 2023, n° 22-17.798 FS-B

Un arrêt apportant une précision intéressante pour l’articulation des procédures de prévention avec l’ouverture d’un redressement judiciaire : lorsque le tribunal de commerce est saisi d’une demande de redressement judiciaire, faisant suite à un mandat ad hoc ou à une procédure de conciliation, il peut, soit d’office soit à la demande du ministère public, obtenir communication des pièces afférentes à ces mesures de prévention amiable.

Cette possibilité procède de l’article L. 621-1 du code de commerce : dès lors qu’un redressement peut être ouvert, la confidentialité qui entoure les mesures de prévention n’a ainsi plus lieu d’être.

En outre, les pièces de la procédure de prévention ne peuvent que donner de précieux renseignements au tribunal, relativement à l’état de cessation des paiements imputé au débiteur.

5 – Refus du tribunal de mettre fin à la procédure de redressement en cours de période d’observation : pouvoir souverain des juges du fond

Com. 22 novembre 2023, n° 22-17.894

Aux termes de l’article L. 631-16 du code de commerce : « S’il apparaît, au cours de la période d’observation, que le débiteur dispose des sommes suffisantes pour désintéresser les créanciers et acquitter les frais et les dettes afférents à la procédure, le tribunal peut mettre fin à celle-ci ». Le tribunal prend une telle décision à la requête du débiteur.

Apport de l’arrêt : le refus de mettre fin au redressement opposé au débiteur est souverain, la Cour de cassation n’exerçant aucun contrôle sur cette décision.

En serait-il de même si la demande du débiteur était accueillie ? Il est permis d’en douter, compte tenu des conditions posées par le texte pour qu’il soit mis fin prématurément à la procédure collective.

6 – Désignation de l’Urssaf, créancier de la liquidation comme contrôleur de la procédure de sauvegarde : le juge‑commissaire n’a pas le choix

Com. 25 octobre 2023, n° 22-16.907 FS-B

Selon l’article L. 621-10 du code de commerce, édicté en matière de sauvegarde mais rendu applicable à la liquidation judiciaire par l’article L. 641-1 du même code, les créanciers institutionnels visés à l’article L. 626-6 du même code peuvent demander leur désignation comme contrôleurs.

Le juge-commissaire, saisi d’une telle demande, est tenu d’y faire droit, quand même la vérification du passif serait achevée et qu’une telle désignation présente peu d’intérêt.

En effet, si, par application de l’article R. 621‑24, aucune demande de désignation ne peut être faite avant l’écoulement d’un délai de vingt jours à compter du prononcé du jugement d’ouverture de la procédure, aucun texte ne prévoit de délai butoir.

Le juge commissaire, saisi d’une telle demande de désignation, doit y faire droit sous peine de commettre un excès de pouvoir négatif ; tel est l’enseignement de l’arrêt.

7 – Qualité du liquidateur pour exercer l’action en retrait du débiteur d’une caisse mutuelle conjointement avec le mandataire ad hoc du sociétaire en liquidation judiciaire

Com. 22 novembre 2023, n° 22-17.691 FS-B

Un nouvel arrêt sur la distinction entre droits propres du débiteur en liquidation et droits de nature patrimoniale qui ne peuvent être exercés que par le liquidateur.

Il s’agissait en l’espèce du droit de retrait du débiteur d’une caisse mutuelle.

La faculté de retrait du sociétaire d’une caisse locale de crédit agricole mutuelle est rattachée strictement à la personne du sociétaire et ne peut être exercée que par lui. Mais les parts sociales détenues par le débiteur en liquidation judiciaire font partie de son patrimoine, en sorte que le liquidateur, qui exerce toutes les actions patrimoniales du débiteur, est recevable à en demander le remboursement.

Au cas d’espèce, dès lors que le débiteur, représenté par son mandataire ad hoc, s’était associé dès l’origine à la demande du liquidateur, et avait demandé son retrait de la caisse, le liquidateur avait bien qualité pour agir en remboursement des parts du sociétaire.

Rappel utile donc pour les professionnels : dès lors que de l’actif à recouvrer est subordonné à l’exercice d’un droit propre du débiteur en liquidation, celui-ci doit être conjointement présent à l’instance.

8 – La caution en procédure collective : prescription et suspension des poursuites individuelles

Com. 25 octobre 2023, n° 22-18.680 FS-B

Cet arrêt confirme l’effet interruptif, à l’encontre de la caution, de la déclaration de créance opérée par le créancier garanti du débiteur ; l’effet interruptif se prolonge jusqu’à l’extinction de la procédure collective.

Et, à cette date, la caution n’est pas déchargée : un nouveau délai (quinquennal) de prescription court à son encontre, par l’effet de la cessation de l’effet interruptif.

Une solution extrêmement bienveillante pour les créanciers qui conservent leur droit de poursuite, mais rigoureuse pour les cautions, surtout personnes physiques, tenues de manière excessive, puisqu’elles sont soumises à la durée de la procédure collective, dont la clôture seule fait partir un nouveau délai de prescription (quinquennal !). Leur engagement est ainsi prolongé indéfiniment ou presque.

Com. 22 novembre 2023, n° 22-18.766 FS-B

L’on sait que le jugement d’ouverture du redressement judiciaire suspend jusqu’au jugement arrêtant le plan ou prononçant la liquidation, toute action contre les personnes physiques ayant consenti une sûreté personnelle (article L. 622-28, alinéa 2, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-14).

La fin de non-recevoir en résultant peut être invoquée par la caution, actionnée par un créancier au mépris de la règle de l’arrêt des poursuites.

Mais attention, cette fin de non‑recevoir est susceptible de régularisation. Tel est le cas si le juge statue après l’adoption du plan de redressement : la cause de la fin de non‑recevoir a disparu, peu important que la caution ait été poursuivie pendant la période d’observation.

Une solution encore sévère pour la caution et qui est de nature à encourager les créanciers à recourir contre elle en cours de procédure, violant ainsi impunément la règle de l’arrêt des poursuites, dans l’espoir que la procédure aura abouti avant le prononcé du jugement.

9 – Insaisissabilité de l’immeuble du débiteur en procédure collective : à lui de prouver que le bien constitue sa résidence principale et échappe ainsi au droit de gage général des créanciers

Com. 22 novembre 2023, n° 22-18.795, FS‑B

L’on sait qu’aux termes de l’article L. 526-1 du code de commerce, est insaisissable et ainsi soustrait au droit de gage général des créanciers, la résidence principale du débiteur personne physique.

L’arrêt énonce une règle de preuve : la charge de prouver qu’à la date d’ouverture d’une procédure collective, cet immeuble constituait sa résidence principale et n’était donc pas entré dans le gage commun des créanciers, incombe au débiteur personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante.

La loi a voulu protéger l’entrepreneur individuel et son immeuble d’habitation est insaisissable de plein droit.

Encore faut-il cependant qu’il établisse qu’il en a fait sa résidence principale, faute de quoi le bien fait partie du gage général des créanciers.

10 – Contestation de créance par le mandataire judiciaire : formalisme

Com. 13 septembre 2023, n° 22-15.296 FS‑B

Un arrêt qui apporte une précision intéressante : la lettre du mandataire judiciaire adressée à un créancier et sollicitant des pièces justificatives, consécutives à sa déclaration de créance, ne constitue pas une contestation de l’existence, de la nature ou du montant de la créance, quand même le mandataire menacerait d’en proposer le rejet à défaut de réponse du créancier.

Il en résulte que le créancier qui est resté taisant, dans le délai de trente jours suivant réception de la lettre, n’est pas privé du droit de faire appel de l’ordonnance du juge‑commissaire rejetant la créance.

La solution est logique car, sur le plan formel, la « contestation de créance » par le mandataire s’effectue par l’envoi d’un courrier RAR envoyé au créancier l’invitant à faire connaître ses explications dans les trente jours de la contestation et l’avertissant qu’à défaut de réponse, il sera privé d’en débattre devant le juge-commissaire.

Dans son courrier, le mandataire doit donc préciser clairement que la créance est contestée et non pas seulement à l’étude.

11 – Créance du Trésor : la CFE est recouvrée par voie de rôle et non de recouvrement

Com. 4 octobre 2023, n° 22-14.410 FS-B

Cet arrêt apporte des précisions relatives à la déclaration d’une créance de cotisation foncière des entreprises (CFE).

Celle-ci étant un impôt recouvré, non par voie d’avis de recouvrement mais par voie de rôle, l’administration fiscale n’a pas à produire un avis de recouvrement pour justifier de sa créance en cas de déclaration à une procédure collective.

Il lui suffit de présenter le rôle rendu exécutoire.

La décision est bienvenue car elle a le mérite de fixer qu’en matière de CFE, le titre exécutoire est le rôle valablement homologué, soit revêtu de la formule qui le rend exécutoire et certifie ainsi l’existence de la créance sur le contribuable.

12 – Fixation de l’existence et du montant d’une créance : date de saisine du juge compétent

Com. 4 octobre 2023, n° 22-14.439 FS-B

L’on sait que le juge commissaire peut se déclarer incompétent pour statuer sur l’admission d’une créance, lorsque la contestation élevée excède ses pouvoirs.

Dans cette hypothèse, la décision d’incompétence ouvre au créancier, au débiteur et au mandataire judiciaire un délai d’un mois à compter de la notification ou de la réception de l’avis pour saisir la juridiction compétente, à peine de forclusion (article R. 624-5 du code de commerce, rendu applicable à la liquidation judiciaire par l’article R. 641-28).

Mais à partir de quel moment le tribunal compétent est-il saisi ?

La question est d’importance en regard de la forclusion encourue.

C’est à cette question que répond l’arrêt : le tribunal compétent est réputé saisi dès la date de la délivrance de l’assignation, dès lors que celle-ci a ensuite été remise au greffe, mais peu important que cette remise ait été postérieure à l’écoulement du délai d’un mois.

Une solution heureuse qui tempère la rigueur de la courte forclusion d’un mois.

13 – Ordre des paiements en liquidation judiciaire : le paiement à un créancier privilégié, en suite de l’omission d’un créancier de rang meilleur dans l’état de collocation, emporte restitution à charge de l’accipiens

Com. 4 octobre 2023, n° 11-15.456 FS-B

L’ordre des paiements en matière de liquidation judiciaire est si complexe qu’il a toujours engendré des erreurs.

L’on considérait traditionnellement que la méconnaissance de la règle d’égalité des créanciers chirographaires emportait droit à répétition de l’indu. En revanche, si un créancier privilégié avait été colloqué alors qu’un autre créancier de rang meilleur aurait dû être servi avant lui, la répétition était écartée, l’accipiens étant considéré comme ayant reçu son dû.

Les choses ont changé avec l’article L. 643‑7‑1, introduit par l’ordonnance du 12 mars 2014 : « Le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ou par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées ».

Une erreur dans l’ordre des privilèges emporte donc restitution à la charge du créancier qui a été colloqué par erreur.

L’arrêt du 4 octobre 2023 met le texte en application en y apportant une précision : si le paiement contesté provient, non d’une erreur, mais d’une omission sur l’état de collocation (en l’occurrence, l’AGS avait été oubliée, ce qui avait permis de payer un créancier hypothécaire), la restitution de l’indu joue quand même.

Une solution pragmatique, qui assimile omission et erreur, mais se heurte tout de même juridiquement à l’écueil que le délai de contestation de l’état de collocation était écoulé. Or, en principe, celui qui a été payé conformément au règlement d’ordre définitif ne peut être actionné en répétition de l’indu.

14 – Résolution du plan de redressement sans ouverture d’une liquidation : la procédure collective est terminée

Com. 25 octobre 2023, n° 22-13.185, FS-B

Un arrêt qui traite de l’hypothèse particulière de la résolution du plan de redressement non suivie d’une décision d’ouverture d’une liquidation judiciaire : la procédure collective est achevée.

Le débiteur ne peut donc plus demander au juge-commissaire de constater la péremption de l’instance relative aux créances qui avaient été contestées lors de la procédure de vérification et d’admission des créances.

Une solution radicale qui découle de l’article L. 626‑27, I, alinéa 4, du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-19 du même code, et précisant que le jugement prononçant la résolution du plan de redressement met fin aux opérations et à la procédure lorsque celle‑ci est toujours en cours.

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