Bail commercial – L’obligation de dépollution en fin de bail commercial, instrument de réparation du dommage environnemental – Etude par Nicolas BOULLEZ

L’obligation de dépollution en fin de bail commercial, instrument de réparation du dommage environnemental

Etude par Nicolas BOULLEZ avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

  • Depuis plusieurs années, le droit de l’environnement a œuvré dans le sens d’une dépollution la plus efficace possible des exploitations et de friches industrielles, donnant naissance à une véritable police de l’environnement.
  • Le bail commercial est concerné au premier chef par ce bouleversement des obligations des parties qui ne sont plus, pour l’essentiel quand il s’agit d’environnement, d’origine contractuelle, mais légales et réglementaires.
  • L’objet de cette étude est de réfléchir à l’étendue de l’obligation de dépollution, puis d’identifier les débiteurs de cette obligation.

1. La France a été contrainte, ces dernières décennies et à l’instar de la plupart des pays industrialisés, à « faire face à un passé trop longtemps négligent » Note  1 en matière de nuisances environnementales provenant d’exploitations et de friches industrielles. Le droit de l’environnement a ainsi œuvré dans le sens d’une dépollution la plus efficace possible de ces sites, donnant naissance à une véritable police de l’environnement.

2. La problématique environnementale a logiquement fait irruption en droit des contrats et notamment dans les relations juridiques qui, ayant pour objet un site ou une activité polluante, doivent intégrer cette dimension nouvelle, transformant souvent la relation contractuelle bipartite traditionnelle en relation tripartite, en incluant un acteur nouveau – et de poids – l’Administration, chargée de protéger l’ordre public environnemental.

3. Le bail commercial est concerné au premier chef par ce bouleversement des obligations des parties qui ne sont plus, pour l’essentiel quand il s’agit d’environnement, d’origine contractuelle, mais légales et réglementaires. À cet égard, trois polices administratives sont susceptibles de régir, en fin de bail commercial, la situation environnementale d’un bien immobilier : la police des ICPE, qui commande la remise en état d’un site dans l’hypothèse de cessation définitive d’une activité classée ; la police des déchets qui oblige au traitement des déchets abandonnés sur site ; la police des sites et sols pollués, rendue effective par la loi Alur (qui a créé l’article L. 556-3 du Code de l’environnement), sorte de police « balai » qui accorde à l’autorité administrative des pouvoirs de coercition à l’encontre des responsables d’une pollution des sols ou des eaux souterraines Note 2 .

4. Cette dimension environnementale qui a été intégrée dans le bail commercial, lorsqu’il a pour objet une activité génératrice de pollution, est facteur de lourds risques tant pour le bailleur que pour le preneur, risques qui ne sont le plus souvent appréhendés et, surtout, mesurés, qu’en fin de bail, en l’état d’une obligation environnementale d’information encore trop parcellaire dans le bail commercial. Ainsi du risque couru par le preneur, dernier exploitant, qui peut voir mis à sa charge des travaux de dépollution non remboursés par le bailleur ; ainsi encore du bailleur non exploitant appelé à prendre en charge des travaux de réhabilitation ; de même encore le risque de dévalorisation, par suite du fait de pollution, de sa propriété immobilière pour le bailleur et de sa propriété commerciale pour le preneur Note 3 .

5. Dans ce cadre, il importe de déterminer l’étendue de l’obligation de dépollution, qui se situe au carrefour de la remise en état administrative et de l’obligation de restitution née du droit commun du bail (1), puis d’identifier les débiteurs de cette obligation (2).

1.  L’étendue de l’obligation de dépollution en fin de bail commercial

6. L’obligation de dépollution, générée par le fait de pollution, s’exprimant le plus souvent en fin de bail et, plus précisément, lors de la cessation de l’activité, englobe deux notions plus restreintes qui pour être distinctes ne sont pas antagonistes (A) et tendent même à se fondre en une obligation autonome, entièrement tournée vers la protection de l’environnement (B).

A.  – Remise en état administrative et restitution née du droit commun du bail

7. L’obligation de remise en état administrative et celle de restitution, au sens du droit commun du bail, ont un objet différent.

1° L’obligation de remise en état

8. L’obligation de remise en état relève de trois polices administratives distinctes, celle des ICPE, celle des déchets et celle des sites et sols pollués.

9.  – Police des ICPE. –

En premier lieu, cette obligation, d’ordre publicNote 4 , relève de la police des ICPE et constitue la pierre angulaire du dispositifNote 5 . Prenant corps à la cessation d’activité et de la compétence du préfet, elle est fondée sur les articles L. 511-1 et suivants du Code de l’environnement et ne correspond pas à une dépollution totale du site Note 6 . En effet, la remise en état vise seulement une adéquation entre l’usage futur du site et son niveau de dépollution Note 7  ; autrement dit, l’objectif de réhabilitation environnementale d’un site classé pollué ne tend pas à éradiquer toute pollution, mais à justifier que l’état du site permet un nouvel usage. Les travaux de remise en état se soldent par un procès-verbal dressé par un inspecteur de l’environnement Note 8 . Mais le débiteur de la remise en état n’en est pas quitte pour autant, des mesures complémentaires pouvant par la suite lui être imposées Note 9 .

10.  – Police des déchets. –

En deuxième lieu, la police des déchets dont le maire est l’acteur central (s’il est défaillant, le préfet peut se substituer à lui) a vocation à s’appliquer en fin de bail, même si la cessation d’activité ne constitue pas, comme dans la police spéciale des ICPE, le déclencheur de l’obligation de dépollution qui était jusque-là latente. Mais, souvent, cette police a vocation à s’appliquer, lorsque le preneur a exploité une installation classée sans autorisation et a laissé un site polluéNote 10 .

Cependant, des terres polluées ne deviennent des déchets qu’à partir du moment où elles ont été excavées.

11.  Police des sites et sols pollués.

Enfin, la loi Alur a instauré une police générale des sites et sols pollués (de la compétence du maire et en cas de carence de celui-ci, du préfet), qui s’inscrit entre les deux autres polices spéciales des ICPE et des déchets, et prend le relais lorsqu’elles ne peuvent être mises en œuvre, afin de garantir la remise en état du site polluéNote 11 .

12. Dans le cadre de ces trois polices, la remise en état consiste en une simple réhabilitation du site, sans que le but poursuivi soit une dépollution totale, mais seulement une remise aux normes environnementales « plancher » qui permet une nouvelle exploitation du site.

2° L’obligation de restitution des lieux

13. L’obligation de restitution des lieux née du contrat de bail est fondamentalement différente, même si elle porte sur le même objet, soit le même site ; elle tend, non pas à une réhabilitation des lieux, mais à un retour du bien dans son état d’origine lors de l’entrée dans les lieuxNote 12 . Cette obligation et la présomption de responsabilité qui s’ensuit sont fondées sur les articles 1731 et 1732 du Code civil. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel Note 13 (20 juin 2014), l’établissement d’un état des lieux lors de la prise de possession des lieux est de rigueur, ce qui permet de connaître l’imputabilité d’une éventuelle pollution et de renverser la présomption de responsabilité du preneur, à ceci près cependant qu’état des lieux ne correspond pas à état du sol ou du sous-solNote 14 .

14. L’obligation de restitution civile des lieux loués peut être supérieure à l’obligation « plancher » de remise en état administrative. En effet, en principe, le preneur qui a loué un site pollué n’est pas tenu de le rendre dans un état meilleur que celui dans lequel il l’a trouvé, d’où l’intérêt d’établir un état des lieux précis, faute de quoi il est présumé responsable des dégradations engendrées par la pollution. Mais le bailleur peut évidemment ne pas se satisfaire d’un tel retour à l’état des lieux d’origine, surtout s’il a prévu de vendre ou d’exploiter le bien à d’autres fins et que le « plancher » de remise en état administrative ne lui suffit pas. Il peut donc insérer dans le bail une clause plus contraignante, imposant au preneur une dépollution totale du siteNote 15 . Cette clause doit cependant être claire et précise, faute de quoi, le bailleur risque de se retrouver au niveau de dépollution administrative. Dans un arrêt récentNote 16 , la Haute Juridiction a réduit l’obligation contractuelle de dépollution qui avait été convenue entre les parties, à la remise en état du site telle que jugée satisfaisante par l’Administration.

Pour aller plus loin :

D’où l’importance persistante des clauses du bail : si le bailleur entend récupérer un site « entièrement » dépollué, il doit le prévoir par une clause claire et spécifique du bail Note 17 .

Mais le risque le plus important pour le preneur découle de la présomption de dégradation qui pèse sur lui, par application combinée des articles 1731 et 1732 du  Code civil. Si le preneur ne parvient pas à démontrer que la pollution est survenue sans faute de sa part, il est tenu d’une dépollution complèteNote 18 . L’obligation civile de restitution qui pèse sur le locataire peut ainsi être plus lourde que l’obligation administrative de remise en état. En outre, le juge judiciaire a parfois, lorsque les parties se sont placées sur ce terrain, une appréciation plus sévère que l’Administration de l’obligation de remise en état d’origine légale et réglementaireNote 19 , ce qui montre que les deux obligations – de remise en état et de restitution – tendent à se fondre en une obligation autonome de dépollution, gouvernée par l’objectif supérieur de protection de l’environnement.

B. – Émergence d’une obligation autonome de dépollution en fin de bail

15. Dans un arrêt du 11 septembre 2013Note 20 , la troisième chambre civile de la Cour de cassation a posé, qu’au-delà de l’obligation administrative de remise en état et de l’obligation civile de restitution pesant sur le locataire, « la dépollution et la remise en état d’un site industriel [résulte] d’une obligation particulière dont la finalité est la protection de l’environnement et de la santé publique ».

16. Selon un auteurNote 21 , la Cour de cassation, après avoir érigé le principe « pollueur-payeur », dégagerait progressivement une obligation autonome de dépollution d’un site lors de la cessation d’activité. Cette appréciation est confirmée par l’indépendance dont la Haute Juridiction a pu faire preuve, en jurisprudence, dans l’appréciation du niveau de dépollution imposé à l’exploitant, lorsque les parties s’étaient placées sur ce terrain de la remise en état administrative. Cette autonomie se démarque, tant du niveau de dépollution prescrit par l’Administration, que de l’étendue de l’obligation contractuelle de restitution des lieux.

17. L’émergence de cette obligation autonome de dépollution, plus large que la remise en état administrative et la restitution contractuelle des lieux, a des répercussions sur le régime de l’obligation, même si la jurisprudence continue souvent encore de s’appuyer sur les textes traditionnels, plutôt que sur une obligation générale qui en serait détachée. Tout d’abord, le preneur ne peut, même sur le fondement de l’enrichissement sans cause, réclamer le remboursement des dépenses exposées par lui pour la dépollutionNote 22 , quand même le fait de pollution proviendrait d’un preneur précédent, pour la bonne raison que le créancier de cette obligation autonome n’est pas le bailleur, mais la collectivité publiqueNote 23 . Ensuite, le locataire est débiteur d’une indemnité d’occupation pendant toute la durée des travaux de dépollution du site après cessation d’activitéNote 24 , même si le congé a produit ses effetsNote 25 , dès lors que le maintien dans les lieux (les travaux de dépollution peuvent prendre des années) procède de « l’obligation légale » de remise en état du site par le preneurNote 26 . Pour le dire autrement, « le réaménagement du site sur lequel a été exploitée une installation classée fait partie intégrante de l’activité exercée » Note 27 . Bien plus, le paiement de l’indemnité d’occupation constitue une sanction civile qui vise à inciter le preneur à remplir son obligation légale de dépollutionNote 28 . En outre, le locataire ne peut obtenir le remboursement des frais engagés sur le fondement de l’article 1730 du Code civil, au motif que la dépollution a apporté une amélioration au bien loué, ni sur le fondement de l’article 555 du Code civil, aux termes duquel le propriétaire peut soit exiger la démolition des constructions,

plantations et ouvrages, soit conserver leur propriété en indemnisant le constructeurNote 29 . Et le fait que le bailleur ait ultérieurement l’intention de reprendre la même activité polluante – actuellement à l’arrêt – que le preneur, ne dispense pas celui-ci de son obligation de remise en étatNote 30 , dès lors que cette obligation légale procède de l’intérêt général de protection de la santé ou de la sécurité publique et de l’environnementNote 31 . Enfin, logiquement, les frais de dépollution ne constituent pas un « poste » de l’indemnité accessoire d’éviction, contrairement à ce que la cour d’appel de Paris avait curieusement jugé récemment, dans un arrêt dont la cassation a été prononcéeNote 32 , et dont l’attendu de principe va dans le sens de l’autonomie de l’obligation de dépollution, la Haute Juridiction

précisant qu’elle est indépendante de « tout rapport de droit privé » Note 33 . Tous ces exemples montrent que l’obligation de dépollution en fin de bail transcende,

en les dépassant, les notions classiques de remise en état administrative et de restitution des lieux donnés à bail dont les régimes sont ainsi bousculés par les juges, au profit de la satisfaction de l’objectif supérieur de protection de l’environnement.

18. La dépollution d’un site constitue donc une obligation autonome en devenir dont la jurisprudence judiciaire et administrative, convergente sur ce point, a aujourd’hui nettement identifié les débiteurs.

2.  Les débiteurs de l’obligation de dépollution en fin de bail

19. Les jurisprudences administratives et judiciaires sont à l’unisson : le débiteur de l’obligation de dépollution est le dernier exploitant ou le producteur des déchets (A). Mais si celui-ci est inconnu ou insolvable, le bailleur-propriétaire, généralement solvable, devient un débiteur de secours (B).

A.  – Le preneur à bail commercial, débiteur principal de la dette de dépollution, en sa qualité de dernier exploitant

20. En matière d’ICPE, le Code de l’environnement (C. envir., art. L. 512-6-1 et s.) désigne le dernier exploitant du site comme le débiteur de l’obligation de remise en état, ce qui se comprend dès lors que cette obligation est consubstantielle à l’exploitation du siteNote 34 . Pour définir l’exploitant, la jurisprudence administrative a une approche classique, mais n’hésite pas à valider des injonctions administratives dirigées contre l’exploitant de fait, soit l’exploitant qui n’a jamais reçu d’autorisation d’exploiterNote 35 . Néanmoins, en présence d’un exploitant de fait et d’un exploitant de droit, le Conseil d’État privilégie désormais des prescriptions adressées à l’exploitant en titreNote 36 . Dans l’hypothèse de disparition d’une personne morale exploitante, l’obligation de remise en état pèse sur son ayant droitNote 37 . Et, en cas de succession d’exploitants, l’obligation pèse sur le dernier d’entre eux, sauf si les activités exercées successivement sont distinctesNote 38 , et à condition que la substitution d’exploitants ait été régulièrement opéréeNote 39 et ne soit pas temporaireNote 40 . Le juge judiciaire, de son côté, a une approche très pragmatique de la notion de dernier exploitant, en l’assimilant au dernier responsableNote 41 . Et lorsqu’il est saisi d’un bail commercial, le juge judiciaire se tourne logiquement vers le dernier preneur, assimilé au dernier exploitantNote 42 .

21. Dans ce cadre, le propriétaire-bailleur est en principe exonéré de la responsabilité environnementale. En effet, c’est le locataire exploitant, tirant économiquement profit de la pollution, qui doit en assumer le coût, dans la droite ligne du principe pollueur-payeur. Également, les articles 1730 et 1731 du Code  civil font peser sur le locataire une présomption de faute qui l’oblige à réparer le dommage environnementalNote 43 . S’il veut se dégager de cette présomption, il le peut, mais en établissant son absence de faute, ainsi qu’il est dit à l’article 1732 du Code civil Note 44 . C’est donc au preneur de démontrer son absence de faute et non au bailleur d’établir que la pollution est rattachable à l’activité du preneur.

Pour aller plus loin :

En pratique, celui-ci ne peut guère se dégager de sa responsabilité qu’en présentant un état des lieux, incluant un état des sols et spécifiant clairement l’état de pollution du terrain, de même que les activités ayant généré cette pollution et à quelle hauteurNote 45 .

22. En matière d’ICPE, le Conseil d’État et la Cour de cassation parlent ainsi d’une seule voix : l’obligation de remise en état ou de dépollution pèse sur le dernier exploitant, soit sur le dernier locataire.

23. La police spéciale des déchets est moins favorable au propriétaire-bailleur. En effet, l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement vise, comme débiteur de l’obligation d’éliminer les déchets, les producteurs ou détenteurs de déchets, soit ceux dont l’activité génère les déchets, ainsi que ceux qui les en ont en leur possession, ce qui permet a priori d’englober autant l’exploitant non ICPE, en tant que producteur, que le propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés les déchets, en sa qualité de détenteurNote 46 . Il reste néanmoins que le premier actionné en élimination des déchets sera l’exploitant, s’il peut être identifié et

efficacement mis en cause. En conséquence, comme en matière d’ICPE, le preneur à bail commercial est le premier visé par l’obligation d’éliminer les déchets Note 47 .

24. Le preneur à bail commercial qui cesse l’activité polluante est donc le débiteur de premier rang de l’obligation de dépollution. Le droit de l’environnement appelle néanmoins des garants ; en ce sens, le bailleur propriétaire peut avoir la qualité de débiteur de second rang de l’obligation de dépollution.

B. – Le bailleur-propriétaire, débiteur subsidiaire de la dette de dépollution

25. Si le preneur a disparu, s’il ne peut être identifié ou s’il est insolvable, la dette de dépollution ne peut rester impayée et la responsabilité éventuelle du propriétaire du terrain d’assiette est alors interrogée.

26. Dans le droit des ICPE, la jurisprudence judiciaire retient une responsabilité subsidiaire résiduelle du bailleur-propriétaire, notamment s’il est démontré qu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à la pollution impactant le site. La loi Alur du 24 mars 2014 a réceptionné cette évolution jurisprudentielle, en créant un nouvel article L. 556-3 dans le Code de l’environnement qui prévoit qu’en l’absence de responsable identifié, la responsabilité du propriétaire de l’assise foncière peut être en dernier recours engagée, s’il est démontré qu’il a fait preuve de négligence ou qu’il n’est pas étranger à la pollutionNote 48 . De son côté, le Conseil d’État, dans un arrêt du 29 juin 2018 Note 49 , tout en rappelant que « le propriétaire du terrain d’assiette de l’exploitation n’est pas, en cette seule qualité, débiteur de cette obligation », a atténué l’irresponsabilité de principe du propriétaire, en ajoutant qu’« il n’en va autrement que si l’acte par lequel le propriétaire a acquis le terrain a eu pour effet, eu égard à son objet et à sa portée, en lui transférant l’ensemble des biens et droits se rapportant à l’exploitation concernée, de

le substituer, même sans autorisation préfectorale, à l’exploitant ». Le préfet pourrait en conséquence imposer au propriétaire des mesures et travaux de remise en état si les clauses de l’acte ont eu pour « objet et portée » de le substituer à l’exploitant, peu important l’absence de procédure administrative de changement d’exploitant.

27. En matière de déchets, il est acquis que la seule qualité de propriétaire du terrain sur lequel sont entreposés des déchets ne suffit pas à engager sa responsabilité au titre de l’élimination de ceux-ci. En droit administratif, le Conseil d’État a bâti une responsabilité pour faute subsidiaire du propriétaire, détenteur de déchets : sa responsabilité peut être engagée, s’il est établi qu’il a, notamment, été négligent et a ainsi participé à l’abandon des déchets ou alors s’il a acquis le terrain en toute connaissance de l’existence des déchets et de l’impossibilité dans laquelle se trouvait le producteur de les éliminerNote 50 . La Cour de cassation, de son côté, a défini une présomption simple de faute du propriétaire détenteurNote 51 , sur qui repose donc la charge d’établir qu’il est étranger au fait d’abandon de déchets et qu’il n’en a pas facilité le dépôt par négligence ou complaisance. La position des juridictions judiciaires est donc plus sévère, car il a la charge de prouver son absence de fauteNote 52 . Cependant, les deux ordres de juridictions sont d’accord sur un point : la responsabilité du propriétaire détenteur n’est recherchée qu’à défaut d’autre débiteur de la dette ou de responsable.

28. La responsabilité du propriétaire-bailleur est-elle susceptible d’être appelée plus régulièrement, en regard du principe supérieur de protection de l’environnement qui appelle une démultiplication des responsabilités ? L’avenir le dira.

Notes de bas de page

Note 1 M. Boutonnet et M. Mekki, Plaidoyer en faveur d’une extension des responsables de la dépollution immobilière : D. 2013, p. 1290.

Note 2 F. Braud, Départ du locataire et contraintes environnementales, Colloque ACE 14 nov. 2017 : Loyers et copr. 2018, dossier 8.

Note 3 M. Laisné, Et si le bail commercial protégeait vraiment l’environnement ? : Loyers et copr. 2021, étude 9. – M. Laisné, L’environnementalisation du contrat de bail commercial : th. Rennes, 2019.

Note 4 Cass. 3e civ., 3 nov. 2011, n° 10-14.986 et 10-30.549 : JurisData n° 2011-025165. – Le preneur ne peut s’en exonérer ou la limiter par une clause du bail qui serait en tout état de cause inopposable à l’Administration, V. Cass. 3e civ., 16 mars 2005, n° 03-17.875 : JurisData n° 2005-027583 ; JCP N 2005, n° 38,  1380, note M. Dagot ; Environnement et dév. durable 2005, comm. 51, note D. Gillig.

Note 5 M. Laisné, L’environnementalisation du contrat de bail commercial : th. Rennes, 2019, n° 256.

Note 6 B. Wertenschlag, La dépollution d’une installation classée incombe au preneur : AJDI 2002, p. 843.

Note 7 F.-J. Coutant, Baux commerciaux et pollution des sols : LPA 22 avr. 2008, n° 81, p. 61.

Note 8 B. Wertenshlag, L’impact du droit de l’environnement sur la rédaction des baux commerciaux : Énergie – Env. – Infrastr. 2016, dossier 8.

Note 9 M. Laisné, L’environnementalisation du contrat de bail commercial : th. Rennes, 2019, n° 258.

Note 10 M. Laisné, L’environnementalisation du contrat de bail commercial : th. Rennes, 2019, n° 272.

Note 11 F. Braud, Départ du locataire et contraintes environnementales, Colloque ACE 14 nov. 2017 : Loyers et copr. 2018, dossier 8.

Note 12 F.-J. Coutant, Baux commerciaux et pollution des sols : LPA 22 avr. 2008, n° 81, p. 61.

Note 13 L. n° 2014-626, 18 juin 2014 : JO 19 juin 2014, texte n° 1.

Note 14 M. Laisné, L’environnementalisation du contrat de bail commercial : th. Rennes, 2019, n° 249.

Note 15 M.-A. Fichet, Les obligations du bailleur et du preneur au regard du droit de l’environnement : Bull. Lamy du droit de l’environnement industriel, n° 51, 1er mai 2014. – V. sur ce point, l’arrêt Agip, Cass. 3e civ., 10 avr. 2002, n° 00-17.874 : JurisData n° 2002-013924.

Note 16 Cass. 3e civ., 13 juin 2019, n° 18-15.962 : JurisData n° 2019-012346 ; Énergie – Env. – Infrastr. 2019, alerte 146, obs. A. Muller-Curzydlo.

Note 17 M. Hautereau-Boutonnet et V. Monteiller, Droit industriel contractuel : Bull. du droit de l’environnement industriel, n° 84, 1er nov. 2019. – V. aussi,

A. Muller-Curzydlo, Cour de cassation : bail commercial et dépollution d’un site industriel : Énergie – Env. – Infrastr. 2019, alerte 146.

Note 18 Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-21.940 : JurisData n° 2016-024211.

Note 19 Cass. 3e civ., 15 déc. 2010, n° 09-70.538 : JurisData n° 2010-023863 ; Environnement et dév. durable 2011, comm. 83, note M. Boutonnet. – Cass. 3e  civ., 9 sept. 2009, n° 08-13.050 : JurisData n° 2009-049391, citée par M.-A. Fichet, Les obligations du bailleur et du preneur au regard du droit de l’environnement : Bull. Lamy du droit de l’environnement industriel, n° 51, 1er mai 2014.

Note 20 Cass. 3e civ., 11 sept. 2013, n° 12-15.425 : Environnement et dév. durable 2013, comm. 83, note M. Boutonnet.

Note 21 M. Boutonnet, Autonomie et effectivité de l’obligation légale de dépollution : Environnement et dév. durable. 2013, comm. 83.

Note 22 V. déjà, pour un rejet de l’enrichissement sans cause de ce chef : Cass. 3e civ., 2 avr. 2008, n° 07-17.640 : JurisData n° 2008-045010.

Note 23 Ce qui n’empêche pas le jeu de la compensation entre indemnité d’éviction et frais de dépollution, ainsi qu’il a été admis, dans l’arrêt du 11 septembre 2013 précité, car si le créancier de l’obligation de dépollution est la collectivité publique, le terrain dépollué doit, lui, être remis à son propriétaire.

Note 24 Cass. 3e civ., 23 juin 2016, n° 15-11.440 : JurisData n° 2016-012215 ; JCP E 2016, 1501, note A. Cerati-Gauthier.

Note 25 A. Cerati-Gauthier, Régime du bail en présence d’une obligation de remise en état : JCP E 2016, 1501.

Note 26 J. Knetsch, L’indemnité d’occupation et le principe de réparation intégrale : Rev. contrats 2016, n° 113u0, p. 657.

Note 27 C. Berlaud, Obligation de remise en état d’un site classé et indemnité d’occupation : Gaz. Pal. 12 juill. 2016, n° 270w5, p. 30.

Note 28 F. Lebelle, Obligation de remise en état de l’exploitant d’une ICPE cessant son activité : Dalloz actualité, 5 juill. 2022, à propos de Cass. 3e civ., 11 mai  2022, n° 21-16.348, FS-B : JurisData n° 2022-007669, qui reprend la même solution ; Énergie – Env. – Infrastr. 2022, comm. 48, note A. Muller-Curzydlo.

Note 29 Cass. 3e civ., 2 avr. 2008, n° 07-12.155 et 07-13.158 : JurisData n° 2008-043436 ; Bull. civ. III, n° 63 ; JCP N 2008, n° 39, 1294, note O. Herrnberger ; Environnement et dév. durable 2008, comm. 83, note M. Boutonnet.

Note 30 Cass. 3e civ., 11 mai 2022, n° 21-16.348 : JurisData n° 2022-007669 ; « L’intention du propriétaire de reprendre l’exercice de son activité industrielle étant sans incidence sur l’obligation légale particulière de mise en sécurité et remise en état du site pesant sur le dernier exploitant dans l’intérêt général de protection de la santé ou de la sécurité publique et de l’environnement. »

Note 31 CE Brault, Site relevant des ICPE et portée de l’obligation de remise en état incombant au dernier exploitant : Gaz. Pal. 5 juill. 2022, n° GPL438a2. – V. aussi, C. Berlaud, La remise en état d’un site classé incombe au dernier exploitant, quelle que soit l’intention du propriétaire du site : Gaz. Pal. 24 mai 2022, n° GPL436k1.

Note 32 CA Paris, 8 juill. 2020, cité par J. Mazure, Qui donne congé doit dépolluer : AJDI 2021, p. 209. – Cet arrêt a été cassé par : Cass. 3e civ., 22 juin 2022,  n° 20-20.844 et 21-11.168 : JurisData n° 2022-010125, en cours de publication.

Note 33 Cass. 3e civ., 22 juin 2022, n° 20-20.844 et 21-11.168 : JurisData n° 2022-010125 ; « L’obligation particulière de dépollution du site d’une installation classée pour la protection de l’environnement doit, à l’arrêt définitif de l’exploitation, être exécutée par le dernier exploitant, qui en est seul tenu, indépendamment de tout rapport de droit privé. » L’arrêt a été censuré, en ce qu’il avait considéré que le fait générateur de l’obligation de dépollution était l’éviction, alors qu’il s’agissait du fait de pollution, entraînant une obligation latente de dépollution, qui devient exécutoire lors de l’arrêt de l’activité.

Note 34 B. Parance, La responsabilité environnementale, prévention, réparation, imputation : Dalloz, 2009, p. 108.

Note 35 CE, 21 févr. 1997, n° 16078, Wattelez.

Note 36 CE, 29 mars 2010, n° 318886, Communauté de communes de Fécamp : JurisData n° 2010-002970 ; JCP N 2010, n° 29, 1247, note O. Herrnberger ; Environnement et dév. durable 2010, comm. 79, note D. Gillig. – CE, 6 déc. 2012, n° 339777, sté Arcelormittal France. – V. aussi, O. Herrnberger, Remise en état : l’exploitant de fait ne se substitue pas à l’exploitant de droit : JCP N 2010, n° 29, 1247.

Note 37 V. par ex., CE, 23 mars 2011, n° 325618, SA Progalva :JurisData n° 2011-004457.

Note 38 CE, 11 avr. 1986, n° 62234 : JurisData n° 1986-605395.

Note 39 CE, ass., 8 juill. 2005, n° 247976, sté Alasuisse Lonza France :JurisData n° 2005-068616 ; Environnement et dév. durable 2005, comm. 67, note P. Trouilly.

Note 40 CE, 8 sept. 1997, n° 121904, SARL Serachrom : JurisData n° 1997-050607. – V. sur la définition de l’exploitant par le Conseil d’État, M. Baucomont, La qualité d’exploitant d’installation classée : ombres et lumières : Bull. du droit de l’environnement industriel, n° 42, 1er déc. 2012.

Note 41 Cass. 3e civ., 2 déc. 2009, n° 08-16.563 : JurisData n° 2009-050589 ; Environnement et dév. durable 2010, comm. 124, note M. Boutonnet ; Constr.-Urb.  2010, comm. 62, note Ch. Sizaire.

Note 42 Cass. 3e civ., 2 avr. 2008, n° 07-12.155 : JurisData n° 2008-043436 ; JCP N 2008, n° 39, 1294, note O. Herrnberger ; Environnement et dév. durable  2008, comm. 83, note M. Boutonnet. – V. aussi, sur cette question, M. Baucomont, La qualité d’exploitant d’installation classée : ombres et lumières : Bull. du droit de l’environnement industriel, n° 42, 1er déc. 2012.

Note 43 G. Lardeux, Obligation légale de dépollution d’une installation classée : le droit du bail évincé par le droit de l’environnement : Rev. contrats, 2008, p. 1248

Note 44 Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-21.940. – V. Saintaman, Présomption de faute du preneur à bail en cas de pollution du site industriel exploité : Gaz. Pal. 17 janv. 2017, n° 284a8, p. 42.

Note 45 M. Hautereau-Boutonnet, Rubrique de droit industriel, préc.

Note 46 M. Boutonnet et M. Mekki, Plaidoyer en faveur d’une extension des responsables de la dépollution immobilière : D. 2013, p. 1290.

Note 47 F.-J. Coutant, Baux commerciaux et pollution des sols : LPA 22 avr. 2008, n° 81, p. 61.

Note 48 X. Lièvre et E. Estève de Palmas, Droit de l’environnement et pratique notariale : JCP N 2019, n° 26, 1220.

Note 49 CE, 29 juin 2018, n° 600477.

Note 50 CE, 26 juill. 2011, n° 328651, Wattelez II : JurisData n° 2011-015394 ; Rev. proc. coll. 2012, comm. 165, note J.-Ph. Ruffié ; Environnement et dév.  durable 2011, comm. 131, note Ph. Billet. – CE, 1er mars 2013, n° 3548188, sté Natiocrédimurs. – CE, 25 sept. 2013, n° 358923, Wattelez III : JurisData n° 2013- 020586 ; JCP N 2013, n° 44-45, 1254, note M. Boutonnet ; Environnement et dév. durable 2013, comm. 81, note M. Guérin.

Note 51 Cass. 3e civ., 11 juill. 2012, n° 11-10.478 : JurisData n° 2012-015653.

Note 52 M. Laisné, L’environnementalisation du contrat de bail commercial : th. Rennes, 2019, n° 279. – V. aussi, B. Parance, La responsabilité environnementale, prévention, réparation, imputation : Dalloz, 2009, p. 309-322.

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