Cautionnement : nullité (violence économique) et disproportion (fiche de renseignements)

Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Le vice de violence économique peut être invoqué à l’appui d’une demande d’annulation d’un cautionnement, mais le grief ne peut prospérer que si la caution établit la réalité de sa dépendance économique à la date de conclusion du cautionnement, ce que les juges du fond apprécient souverainement, en prenant éventuellement en compte des éléments postérieurs à la souscription de la garantie.

Par ailleurs, pour apprécier la disproportion de l’engagement de la caution au jour de sa conclusion, la fiche de renseignements fait foi, dès lors que ceux de ses éléments qui permettent à eux seuls de retenir la proportionnalité du cautionnement ne sont affectés d’aucune anomalie apparente, peu important l’inexactitude des autres éléments de cette fiche, lesquels n’appellent aucune investigation complémentaire de la part de l’établissement de crédit.

Cass. com., 21 sept. 2022, no 21-12218, M. S. c/ Sté HSBC Continental Europe, F–B (rejet pourvoi c/ CA Douai, 19 nov. 2020), M. Mollard, prés. ; Sarl Corday, Sarl Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, av. : LEDB nov. 2022, n° DBA201c0, obs. S. Piédelièvre

Deux apports dans cet arrêt, même si, à la lecture du sommaire publié par la Cour de cassation, il est évident que la chambre commerciale a avant tout entendu renforcer la force probante de la fiche de renseignements patrimoniaux remplie par la caution, en posant en principe qu’il suffit, pour que la garantie lui soit opposable, que les éléments de cette fiche établissant la proportionnalité de son engagement ne soient affectés d’aucune anomalie apparente, peu important que d’autres le soient. Mais l’arrêt illustre aussi une nouvelle hypothèse d’invocation de la violence économique dans le cautionnement, tout en démontrant à nouveau que la Cour régulatrice, sans l’écarter, en subordonne le jeu à des conditions restrictives.

Une société avait ouvert un compte dans les livres d’une banque et son gérant s’était porté caution des engagements de cette société au profit de l’établissement de crédit. L’entreprise ayant été placée en redressement, puis en liquidation judiciaires, la banque a appelé la caution à remplir son engagement. Cette dernière a argué, d’une part, de la nullité de son engagement qui aurait été souscrit sous l’empire d’une violence économique, d’autre part, de la disproportion du cautionnement. La cour d’appel de Douai a, par arrêt du 19 novembre 2020, rejeté ces deux moyens. La caution s’est pourvue en cassation.

L’arrêt commenté rappelle des principes classiques en matière de violence économique appliquée au cautionnement (1), tout en renforçant la force probante de la fiche de renseignements patrimoniaux remplie par la caution (2).

1. La violence a toujours, au sein des vices du consentement, fait figure d’exception car elle affecte la volonté même de contracter 1. La violence économique suppose donc, pour entraîner la nullité du contrat, la réunion de deux conditions : une contrainte illégitime 2 déterminante du consentement et l’état de dépendance économique 3 de la partie qui allègue l’avoir subie 4. Les décisions admettant la violence économique comme vice du consentement sont donc rares : soit l’état de dépendance économique – lequel ne résulte pas seulement du poids des parties en présence, mais s’apprécie in concreto, au regard de la situation réelle des parties 5 – n’est pas caractérisé 6, soit l’exploitation illégitime de cet état n’est pas établie 7. En outre, la Cour régulatrice a récemment opté pour une appréciation, non seulement concrète, mais aussi subjective de l’état de dépendance économique 8, ce qui en restreint les contours. Les décisions des magistrats du quai de l’Horloge admettant une telle violence économique sont donc plus que rares, ce qui explique qu’un arrêt récent ait été très remarqué, qui a admis qu’un avocat peut, comme tout contractant, demander l’annulation d’une convention d’honoraires en établissant – malgré ou en dépit du principe d’indépendance des avocats – l’état de dépendance économique dans lequel il se trouvait, et l’avantage excessif qu’en avait retiré l’un de ses clients 9. Cet arrêt a marqué la volonté de la haute juridiction d’admettre la violence économique dans des cas de figure plutôt extrêmes.

L’arrêt commenté se trouve dans la droite ligne de cette jurisprudence : il réfute tant la violence alléguée que l’état de dépendance économique invoqué, en s’en remettant sur ces points aux constatations souverainement opérées par les juges du fond, tout en précisant que ces derniers peuvent prendre en considération un continuum de circonstances apparues à proximité de l’acte de cautionnement 10. Et, s’il s’agit encore d’un arrêt de rejet, on pourrait en déduire a contrario que le vice de violence économique subi par le gérant serait susceptible d’être admis si, au jour où l’engagement de caution a été exigé de lui par la banque, l’entreprise garantie se trouvait dans une situation extrêmement délicate 11.

2. L’on sait que la proportionnalité de l’engagement d’une caution s’apprécie au jour de celui-ci et au regard de l’ensemble de ses revenus, ainsi que de son actif et de son passif. Classiquement, ces éléments sont examinés selon ce que la caution a déclaré 12. Il est aujourd’hui d’usage, pour les banques, de se préconstituer une preuve des éléments déclarés par la caution par la confection d’une fiche patrimoniale renseignée par cette dernière. Cette fiche n’est évidemment opposable à la caution que s’il ne fait pas de doute que la signature qui y figure est bien la sienne ; dans le cas contraire, il lui incombe de prouver que ses biens et revenus au moment de la signature du cautionnement n’étaient pas proportionnés au montant de l’engagement pris 13. Et, selon une jurisprudence bien établie, l’établissement de crédit créancier est en droit de se fier aux déclarations portées par la caution dans la fiche de renseignements, sans avoir à procéder à la vérification de leur exactitude, en l’absence d’anomalie apparente 14. La caution n’est ainsi pas admise à établir devant le juge que sa situation personnelle était différente de celle qu’elle avait déclarée à la banque 15. Cette ligne jurisprudentielle se situe dans le sillage de celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui a examiné le rôle de la fiche de renseignements remplie par le client à l’aune de son obligation de loyauté 16. Reste à savoir ce qu’il faut entendre par « anomalie apparente ». La jurisprudence en donne quelques exemples : une anomalie apparente est celle dont le banquier a une connaissance personnelle 17, tel un cautionnement antérieur non reporté sur la fiche alors qu’il avait été consenti à un pool de banques dont faisait partie le prêteur 18.

L’arrêt commenté ajoute une précision intéressante à la jurisprudence relative à la force probante de la fiche de renseignements : le créancier peut la produire pour établir l’absence de disproportion de l’engagement de caution, peu important qu’elle présente des anomalies apparentes, dès lors que les autres éléments composant le document ne sont, pour leur part, entachés d’aucune anomalie et qu’ils suffisent, à eux seuls, à établir la proportionnalité de la garantie souscrite 19. Une solution logique qui ne peut que renforcer la sécurité du cautionnement.

Notes de bas de page

   1 – C. Helaine, « Convention d’honoraires d’avocat : possibilité d’annulation pour contrainte et violence », Dalloz actualité, 13 déc. 2021.

   2 – Pour des exemples de contrainte légitime, v. Le Lamy Droit du Financement 2022, n° 3993.

   3 – Dont l’appréciation est alignée par la Cour de cassation sur celle opérée en droit de la concurrence, v. par ex. Cass. com., 3 mars 2004, n° 02-14529.

   4 – Cass. 2e civ., 3 avr. 2002, n° 00-12932 : Bull. civ. II, n° 108.

   5 – JCl. Civil Code, art. 1140 à 1143, nos 26 et s. ; v. aussi P. Chauvel, in Rép. civ. Dalloz, v° Violence, n° 55.

   6 – V. par ex., Cass. com., 16 oct. 2007, n° 05-19069 – Cass. com., 9 oct. 2007, n° 06-16744 – Cass. com., 3 oct. 2006, n° 04-13987.

   7 – V. par ex., Cass. com., 7 juill. 2009, n° 08-14362 – Cass. com., 9 oct. 2007, n° 06-16744 – Cass. com., 11 janv. 2005, n° 01-11414.

   8 – Cass. com., 18 févr. 2015, n° 13-28278 : RTD civ. 2015, p. 371, note H. Barbier.

   9 – Cass. 2e civ., 9 déc. 2021, n° 20-10096 : C. Helaine, « Convention d’honoraires d’avocat : possibilité d’annulation pour contrainte et violence », Dalloz actualité, 13 déc. 2021 ; Y. Strickler, « Indépendance versus dépendance économique », Procédures 2022, comm. 30 ; C. Caseau-Roche, « Nullité de la convention d’honoraires pour violence économique subie par l’avocat », JCP G 2022, act. 11.

   10 – C. Helaine, « Cautionnement, abus de dépendance économique et disproportion », Dalloz actualité, 29 sept. 2022.

   11 – D. Legeais, « Vice de violence et cautionnement », RD bancaire et fin. 2022, comm. 157 ; v. cependant, S. Cabrillac, « Cautionnement : exemple d’appréciation du vice de violence économique », DEF 8 déc. 2022, n° DEF211c4.

   12 – Cass. 1re civ., 6 avr. 2016, n° 13-23771.

   13 – Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-19141 : S. Bros, « Preuve de la disproportion du cautionnement et qualification de clause pénale », AJ Contrat 2017, p. 335 – pour un exemple récent concernant des époux séparés de biens qui avaient fait masse de leurs biens, Cass. com., 6 juill. 2022, n° 20-17355 : C. Gijsbers, « Mention, disproportion, information… ou quand une caution perd sur tous les fronts ! », RTD civ. 2022, p. 676 ; v. aussi, P. Crocq, « Une différence entre l’exigence de proportionnalité et le devoir de mise en garde quant à l’obligation faite au créancier de vérifier la situation financière de la caution », RTD civ. 2018, p. 182.

   14 – Cass. com., 3 oct. 2018, n° 17-20271 – Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-19516 – Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-15118 – Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-18259 – Cass. com., 20 avr. 2017, n° 15-16184 – Cass. com., 22 sept. 2016, n° 15-18793 – Cass. com., 10 mars 2015, n° 13-15867 – Cass. com., 22 mai 2013, n° 12-15030 – Cass. com., 14 déc. 2010, n° 09-69807 : v. aussi, S. Provost, « Du rôle “manifeste” de l’apparence dans l’engagement disproportionné de la caution », Rev. sociétés 2015, p. 514.

   15 – Cass. 1re civ., 24 mars 2021, n° 19-21254.

   16 – CJUE, 18 déc. 2014, n° C-449/13 : RTD com. 2015, p. 138, obs. D. Legeais ; v. aussi, J. Bruttin, « Fausse déclaration de la caution : pas de reconnaissance d’un cautionnement disproportionné », RDI 2021, p. 415.

   17 – Cass. com., 3 mai 2016, n° 14-25828.

   18 – Cass. com., 27 mai 2014, n° 13-17287 : v., sur la question des anomalies apparentes, H. Heugas-Darraspen, « Octroi de prêt immobilier : quelle portée accorder à la fiche de renseignements sur la situation financière et commerciale des emprunteurs ? », RDI 2018, p. 594.

   19 – D. Legeais, « Portée de la fiche de renseignement en matière de cautionnement », RD bancaire et fin. 2022, comm. 158.

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