CCMI et responsabilité de la banque pour défaut d’attestation de livraison

Auteur : Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Le constructeur selon contrat de construction de maison individuelle, qu’il comporte ou non fourniture de plan, doit souscrire une garantie de livraison qui prend notamment en charge le coût des travaux nécessaires à l’achèvement de l’ouvrage et les pénalités de retard de livraison excédant 30 jours. Dès lors, viole les articles 1147 du Code civil, L. 231-2, k), L. 232-1, g) et L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation, une cour d’appel qui limite le préjudice de jouissance imputable à la banque après avoir pourtant retenu que la faute de celle-ci avait privé les acquéreurs d’une garantie de livraison.

Cass. 3e civ., 11 mai 2023, n° 21-23859, 22-12778, Mme Y. et M. B. c/ Société Générale venant aux droits du Crédit du Nord, FS–B (cassation partielle CA Versailles, 23 sept. 2021), Mme Teiller, prés. ; SCP Rousseau et Tapie, SARL Cabinet Briard, av. : LEDB juill. 2023, n° DBA201p7, obs. S. Piédelièvre ; LEDC juin 2023, n° DCO201o6, obs. M. Latina

Deux particuliers qui avaient conclu avec une entreprise un contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plan, avaient souscrit auprès d’une banque un prêt immobilier destiné à financer l’opération. Aucune garantie de livraison n’avait été souscrite par le constructeur. À la suite de la défaillance de ce dernier, une expertise a conclu que les désordres affectant les travaux réalisés devaient conduire à la démolition-reconstruction de l’ouvrage. Se prévalant des clauses du contrat de prêt stipulant que la mise à disposition des fonds ne pouvait intervenir qu’après la remise de la garantie de livraison au prêteur, les maîtres de l’ouvrage ont recherché la responsabilité de la banque.

Par jugement du 19 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Versailles a, pour l’essentiel, condamné la banque à payer aux maîtres de l’ouvrage la somme de 200 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel, et a rejeté leurs autres demandes. Le tribunal a principalement retenu que la faute contractuelle de la banque avait privé les acquéreurs du bénéfice de la garantie de livraison, peu important que le contrat soit qualifié de contrat de construction de maison individuelle avec ou sans fourniture de plan, et a indemnisé leur préjudice en conséquence.

Par arrêt du 23 septembre 2021, la cour d’appel de Versailles a infirmé le jugement sur le quantum de la condamnation prononcée au titre du préjudice matériel et, statuant à nouveau de ce seul chef, a condamné la banque à payer aux acquéreurs les sommes de 270 000 € au titre du coût de l’achèvement, avec actualisation selon l’indice BT 01 du coût de la construction, et de 33 188 € au titre des pénalités de retard. La juridiction du second degré a principalement retenu que la faute de la banque avait privé les acquéreurs d’une chance de bénéficier d’une garantie de livraison, qu’elle a estimée à 90 % des sommes dont ils auraient pu bénéficier.

Mais, statuant sur les pourvois joints des maîtres de l’ouvrage par un arrêt du 11 mai 2023 rendu en formation de section et promis à la publication, la troisième chambre civile de la Cour de cassation casse partiellement l’arrêt du 23 septembre 2021 en tant qu’il a limité aux sommes de 270 000 € et de 33 188 € les condamnations prononcées contre la banque à leur profit.

La cour d’appel de Versailles est censurée, en premier lieu, pour avoir décidé que le préjudice causé par la faute de la banque s’analysait en une perte de chance, alors que la banque « était à l’origine d’un préjudice certain causé par l’absence de garantie de livraison ». Elle l’est également à un autre titre, pour avoir décidé que la banque ne saurait supporter les conséquences d’une absence de livraison de la maison à la date prévue au contrat, alors que « la banque avait privé les acquéreurs du bénéfice d’une garantie de livraison », qui prend notamment en charge le coût des travaux nécessaires à l’achèvement de l’ouvrage et les pénalités de retard de livraison excédant 30 jours.

L’arrêt du 11 mai 2023 présente un double intérêt, d’une part en tant qu’il rappelle la nature du préjudice réparable par le prêteur de deniers qui a débloqué les fonds sans s’assurer de la délivrance d’une attestation de garantie de livraison (I), d’autre part en tant qu’il précise l’étendue de la réparation des préjudices consécutifs à l’absence de cette attestation (II).

I – Sur la nature du préjudice réparable

Que le contrat de construction de maison individuelle (CCMI) soit conclu avec ou sans fourniture de plan, il doit, en toute hypothèse, comporter une garantie de livraison souscrite par l’entrepreneur auprès d’un établissement bancaire, en application des k) et g) de l’article L. 231-2 du Code de la construction et de l’habitation.

En l’état d’un CCMI avec fourniture de plan, l’article L. 231-10 du Code de la construction et de l’habitation impose, en outre, au prêteur de deniers de s’assurer qu’il est en possession de l’attestation de la garantie de livraison avant de débloquer les fonds 1. Au-delà de cette obligation légale, la Cour de cassation décide que le banquier est tenu, selon le droit commun, au titre de son obligation d’information et de conseil, d’avertir ses clients des risques encourus du fait de l’absence de garantie de livraison 2. Plusieurs auteurs ont critiqué cette solution en raison de l’insécurité qui en résulte pour les banques 3.

Au cas particulier, la faute du prêteur n’était pas contestée. Elle résulte d’une mauvaise exécution du contrat, lequel stipulait, en l’espèce, que la mise à disposition des fonds ne pouvait intervenir qu’après la remise de la garantie de livraison au prêteur.

Le débat ne portait plus que sur la détermination du préjudice réparable, qui a donné lieu à une évolution remarquable. Il était jugé jusqu’en 2013 que le préjudice subi par le maître de l’ouvrage s’analysait en une perte de chance 4. Puis la position de la Cour de cassation a évolué à compter d’un arrêt inédit du 20 mars 2013 5 et ne s’est pas démentie par la suite 6. Il résulte donc d’une jurisprudence bien établie que le banquier qui ne refuse pas de financer un CCMI malgré l’absence de souscription de garantie de livraison, doit supporter l’ensemble du préjudice résultant de cette absence.

Tentant de limiter la portée de cette solution, la banque a soutenu, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, qu’il résultait des arrêts précités que les condamnations prononcées à l’égard du banquier l’étaient toujours dans des hypothèses de CCMI avec fourniture de plan, qu’il devait en être décidé différemment en cas de CCMI sans fourniture de plan, et que lorsque, comme en l’espèce, le contrat de prêt a érigé la remise de l’attestation de garantie en condition suspensive du déblocage des fonds, la faute de la banque ne peut causer qu’une perte de chance.

Pareille argumentation a été écartée par la Cour de cassation qui refuse de distinguer selon que le CCMI comporte ou non fourniture de plan. Dans un cas comme dans l’autre, la banque ne peut limiter son préjudice à l’indemnisation d’une perte de chance. La règle est désormais bien fixée par la présente décision, promise à la publication.

II – Sur l’étendue de la réparation

En second lieu, le débat portait sur la garantie par la banque des pénalités de retard dues aux acquéreurs. Ces derniers ont soutenu que leur maison n’avait pas été livrée au 7 septembre 2020 et ont réclamé de ce chef une indemnité égale aux pénalités de retard sur cette entière période.

Pour débouter les maîtres de l’ouvrage de leur demande, la cour d’appel de Versailles leur a opposé que « la banque ne saurait supporter les conséquences du fait qu’à la date du 7 septembre 2020, la maison n’était toujours pas livrée, cette situation ne présentant pas de lien de causalité directe avec sa faute, laquelle n’est à l’origine que d’une perte de chance pour les appelants de percevoir une indemnisation de la part du garant de livraison du fait du retard dans l’achèvement de la construction ».

Puis les juges versaillais ont calculé le préjudice imputable à la banque en fonction du montant des pénalités de retard qui auraient été dues si un garant de livraison était intervenu avec un délai de travaux de démolition-reconstruction estimé à 18 mois, soit un achèvement alors possible le 30 novembre 2015, au lieu du 23 février 2014 contractuellement convenu. Une telle motivation était radicalement contraire à une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation.

Prévue par l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation, la garantie de livraison couvre le maître de l’ouvrage, à compter de l’ouverture du chantier, contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat, à prix et délais convenus. Le garant prend donc à sa charge :

  • « a) Le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu’ils sont nécessaires à l’achèvement de la construction, la garantie apportée à ce titre pouvant être assortie d’une franchise n’excédant pas 5 % du prix convenu ;
  • b) Les conséquences du fait du constructeur ayant abouti à un paiement anticipé ou à un supplément de prix ;
  • c) Les pénalités forfaitaires prévues au contrat en cas de retard de livraison excédant 30 jours, le montant et le seuil minimum de ces pénalités étant fixés par décret ».

Dans un arrêt rendu en 2008, la Cour de cassation a décidé que le dépassement de prix objet de la garantie est constitué par la différence entre le coût total réel de la construction et le prix global stipulé au contrat 7. Elle a également jugé à trois reprises qu’en privant le maître de l’ouvrage du bénéfice de la garantie de livraison, la banque devait prendre à sa charge la totalité des sommes correspondant aux travaux de reprise et d’achèvement de l’immeuble ainsi qu’aux pénalités de retard 8.

S’inscrivant dans le sillage de cette jurisprudence, la Cour de cassation a censuré ici la cour d’appel de Versailles pour avoir déchargé la banque du paiement des pénalités de retard, après avoir pourtant constaté que celle-ci avait privé les acquéreurs du bénéfice d’une garantie de livraison. En statuant de la sorte, la cour d’appel n’avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations.

Notes de bas de page

   1 –Cass. 3e civ., 25 mai 2011, n° 10-10905 : Bull. civ. III, n° 82 – Cass. 3e civ., 14 mars 2012, n° 11-10291.

   2 –Cass. 3e civ., 11 janv. 2012, n° 10-19714 : Bull. civ. III, n° 6 – Cass. 3e civ., 26 févr. 2013, n° 12-14048 – Cass. 3e civ., 21 janv. 2016, n° 14-22279.

   3 –J. Lasserre Capdeville, « Contrat de construction de maison individuelle et responsabilité du banquier-prêteur », JCP E 2020, I 1358 ; M. Boccara et J.-M. Berly, « La responsabilité du prêteur dans le financement du CCMI », RDI 2015, p. 392.

   4 –Cass. 3e civ., 14 mars 2012, n° 11-10291 : Bull. civ. III, n° 44.

   5 –Cass. 3e civ., 20 mars 2023, n° 11-29035.

   6 –Cass. 3e civ., 8 oct. 2014, n° 13-22080 – Cass. 3e civ., 8 déc. 2016, n° 12-14790 – Cass. 3e civ., 10 nov. 2021, n° 20-17575.

   7 –Cass. 3e civ., 7 oct. 2008, n° 07-17623.

   8 –Cass. 3e civ., 8 oct. 2014, n° 13-22080 – Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n° 20-19775 – Cass. 3e civ., 5 janv. 2022, n° 20-20237.

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