La déchéance du terme du prêt est acquise à l’expiration du délai indiqué dans la mise en demeure adressée à l’emprunteur, dès lors que celle-ci précise qu’en l’absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai, la déchéance du terme sera prononcée. La banque n’est alors pas tenue de notifier la déchéance du terme.
Cass. 1re civ., 10 nov. 2021, no 19-24386, Fonds commun de titrisation Hugo créances 2 c/ MM. L., B. et T., FS-B (cassation partielle CA Amiens, 5 sept. 2019), M. Chauvin, prés. ; SCP Delamarre et Jehannin, av. : LEDB déc. 2021, n° DBA200k7, obs. J. Lasserre Capdeville
L’acquisition de la déchéance du terme est ” subordonnée à la délivrance d’une mise en demeure restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour y faire obstacle “1, sous réserve que le prêteur n’en soit dispensé par une stipulation expresse et non équivoque2. Dans le silence de la volonté des parties, la mise en demeure est donc nécessaire. Mais est-elle suffisante pour emporter déchéance du terme ?
Par analogie avec le mécanisme de la clause résolutoire, dont la clause de déchéance du terme ne constitue qu’une figure, on enseigne que l’inexécution par le débiteur de son obligation dans le délai qui lui est imparti par la mise en demeure n’entraîne pas d’elle-même la résolution du contrat, laquelle n’intervient que si le créancier en manifeste expressément la volonté, en formalisant distinctement sa décision de rompre le contrat3. En d’autres termes, ” l’avertissement du débiteur et la notification de la résolution sont deux actes unilatéraux distincts “4.
Ainsi, en matière de baux commerciaux, la résolution n’est pas acquise de plein droit à l’expiration du délai imparti au preneur pour s’exécuter. Le bailleur peut renoncer à l’exercice de la clause résolutoire, même après avoir délivré un commandement pour manquement aux clauses du bail, qui n’est alors considéré que comme une mise en demeure de régulariser, et non comme la manifestation d’une volonté ferme de mettre fin au bail5.
La présente affaire conduit la Cour de cassation à retenir une solution différente en matière de crédit bancaire. Elle mettait en scène une banque, des clients à qui celle-ci avait consenti des crédits immobiliers, et un fonds de titrisation auquel la créance de remboursement de prêt avait été cédée. En l’état de deux mises en demeure délivrées successivement à l’emprunteur par la banque puis par le fonds commun de titrisation, une cour d’appel en avait déduit que leur envoi ne dispensait pas le prêteur, dans un second temps, et à défaut de régularisation dans le délai imparti, de notifier aux emprunteurs la déchéance du terme qui relevait d’une décision laissée à sa propre discrétion et qui doit toujours intervenir à une date précise et certaine.
Statuant sur le pourvoi du fonds commun de titrisation, la première chambre civile de la Cour de cassation censure pareille motivation, admettant que le prêteur est dispensé de notifier la déchéance du terme une fois que le délai imparti dans la mise en demeure est expiré : au visa des articles 1134 et 1184 du Code civil (dans leur rédaction antérieure à la réforme du droit des obligations), la haute cour a ainsi affirmé, dans un attendu de principe, ” que, lorsqu’une mise demeure, adressée par la banque à l’emprunteur et précisant qu’en l’absence de reprise du paiement des échéances dans un certain délai la déchéance du terme serait prononcée, est demeurée sans effet, la déchéance du terme est acquise à l’expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification “.
La Cour de cassation se satisfait donc des garanties présentées par l’envoi d’une mise en demeure qui constitue dès lors une condition nécessaire et suffisante d’acquisition de la déchéance du terme, pour autant que la mise en demeure précise la nature et le montant des impayés, les délais pour régulariser et les sanctions encourues.
Une telle obligation d’information du débiteur n’impose pas de motivation au créancier6, le courrier de mise en demeure devant néanmoins mentionner la clause de déchéance du terme. Requise par la Cour de cassation7, la mention de la clause de déchéance du terme est désormais imposée par le nouvel article 1225 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. En matière bancaire, cette mention permet ainsi au prêteur de rappeler à l’emprunteur que le prêt sera résolu de plein droit s’il n’a pas régularisé sa situation en réglant les échéances impayées dans un délai qui doit être reprécisé.
Pourtant, la solution ne s’imposait pas avec la force de l’évidence. La position de la première chambre civile, adoptée ici en droit du crédit, tranche en effet avec celle retenue par la troisième chambre civile en matière de baux commerciaux : d’un côté, la mise en demeure suffit à mettre fin au prêt à l’expiration du délai imparti à l’emprunteur pour s’acquitter des échéances impayées ; de l’autre, la mise à demeure est considérée comme une simple invitation du preneur à régulariser, mais non comme la manifestation de la volonté acquise du bailleur de mettre fin au bail.
Notes de bas de page
- Cass. 1re civ., 22 juin 2017, n° 16-18418 : Bull. civ. I, n° 151 – Cass. 1re civ., 6 déc. 2017, n° 16-19914, D ; Cass. 1re civ., 12 sept. 2018, n° 17-14991, D ; Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-27102, D ; Cass. 1re civ., 22 mai 2019, n° 18-13246, D.[↩]
- Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-15655 : Bull. civ. I, n° 6, Mais la dispense conventionnelle de mise en demeure prête à discussion en droit de la consommation au regard de la réglementation des clauses abusives, au point que la première chambre civile de la Cour de cassation a interrogé la CJUE (Cass. 1re civ., 16 juin 2021, n° 20-12154, FS-B).[↩]
- C. Paulin, La clause résolutoire, préf. J. Devèze, thèse, 1996, LGDJ, n° 158, p. 173.[↩]
- Rép. Civ. Dalloz, v° Mise en demeure, n° 66, B. Grimonprez.[↩]
- Cass. 3e civ., 14 mai 1991, n° 90-14088 : Bull. civ. III, n° 135 – Cass. 3e civ., 24 mars 1999, n° 96-20590 : Bull. civ III., n° 76 ; RJDA 5/99, n° 527 – Cass. 3e civ., 3 avr. 2001, n° 99-18679, D ; Cass. 3e civ., 19 déc. 2000, n° 99-14099, D ; Cass. 3e civ., 2 oct. 2012, n° 11-24222, D : RJDA 4/13, n° 299 – Cass. 3e civ., 27 avr. 2017, n° 16-13625 : Bull. civ. III, n° 52.[↩]
- O. Deshayes, T. Genicon et, Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 572.[↩]
- Cass. 3e civ., 1er juin 2011, n° 09-70502 : Bull. civ. III, n° 89.[↩]