Étendue des obligations du garant de livraison

Auteur : Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Sauf clause contraire contenue dans le contrat de garantie, le garant de livraison n’est pas tenu de prendre à sa charge, au titre de l’article L. 231-6, a), du Code de la construction et de l’habitation, les dommages-intérêts dus par le constructeur en réparation de préjudices distincts du coût d’achèvement de l’ouvrage. Viole, dès lors, l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation, la cour d’appel qui condamne le garant à prendre en charge les frais de déménagement et de location d’un logement de substitution, qui ne sont pas couverts par la garantie prévue par ce texte. Et ne donne pas de base légale à sa décision, la même cour d’appel qui condamne le garant à payer une somme au titre du coût de travaux réservés par les maîtres de l’ouvrage et de travaux connexes qui ont été réalisés en pure perte, sans préciser en quoi ces coûts correspondaient à un dépassement du prix convenu nécessaire à l’achèvement de l’ouvrage.

Cass. 3e civ., 13 avr. 2023, n° 21-21106, Caisse de garantie immobilière du bâtiment c/ SMABTP et M. et Mme W., FS–B (cassation partielle CA Riom, 6 juill. 2021), Mme Teiller, prés. ; SCP Foussard et Froger, SCP L. Poulet-Odent, SCP Waquet-Farge-Hazan, av. : RGDA juin 2023, n° RGA201j0, note J.-P. Karila

Un couple a conclu un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plan avec la société G. G. qui était assurée auprès de la SMABTP au titre de la garantie décennale. Ladite société a obtenu le 10 février 2006 la garantie de livraison de la caisse de garantie immobilière du bâtiment (la CGI BAT). Une assurance des dommages à l’ouvrage a été souscrite auprès de la SMABTP. La livraison de l’ouvrage est intervenue avec réserves.

La cour d’appel de Riom, par arrêt du 6 juillet 2021, a, en particulier, condamné la CGI BAT à payer aux acquéreurs la somme de 61 796,50 € au titre du coût des travaux de finition réservés par le maître de l’ouvrage et des travaux connexes qui ont été réalisés en pure perte, ainsi que la somme de 28 980,64 € au titre du déménagement et de la location d’un logement de substitution. Écartant le caractère décennal des désordres allégués, la cour d’appel avait également rejeté les demandes de garantie formées contre la SMABTP.

Statuant sur le pourvoi de la CGI BAT par un arrêt du 13 avril 2023 rendu en formation de section et destiné à la publication, la Cour de cassation censure les juges riomois à un triple titre.

S’agissant, en premier lieu, du coût des travaux réalisés en pure perte, la Cour de cassation retient que la cour d’appel de Riom a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation en les mettant à la charge de la CGI BAT, « sans préciser en quoi [ils] correspondaient à un dépassement du prix convenu nécessaire à l’achèvement de la construction ».

La haute juridiction a affirmé, en deuxième lieu, que la garantie de la CGI BAT ne couvrait pas les frais de déménagement et de location d’un logement de substitution.

Statuant, en troisième lieu, sur le recours de la CGI BAT contre l’assureur dommages-ouvrage, la Cour a retenu que les désordres étaient de la gravité de ceux prévus à l’article 1792 du Code civil dès lors que la maison était « complètement bancale et de guingois » et qu’elle ne pouvait être réparée sans être démolie et reconstruite.

Le présent arrêt du 13 avril 2013 conduit à revenir sur le champ d’application de la garantie de livraison (I) et le recours du garant contre l’assureur de dommages-ouvrage (II).

I – Le champ d’application de la garantie de livraison prévue à l’article L. 231-6

Dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI) avec fourniture de plan, l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation impose au constructeur de fournir à son client une garantie de livraison qui prend la forme d’un cautionnement solidaire et qui « couvre le maître de l’ouvrage à compter de l’ouverture du chantier contre les risques d’inexécution ou de mauvaise exécution des travaux prévus au contrat à prix et délais convenus ». Il résulte également de cet article qu’en cas de défaillance du constructeur, le garant prend « à sa charge le coût des dépassements du prix convenu dès lors qu’ils sont nécessaires à l’achèvement de la construction ».

La troisième chambre civile de la Cour de cassation en a déduit que le garant doit supporter les travaux nécessaires à l’achèvement de la construction, même s’ils ne relèvent ni du contrat ni de la notice descriptive 1. Elle a donc censuré, au visa de l’article L. 2316 du Code de la construction et de l’habitation, la cour d’appel qui, pour rejeter la demande des maîtres de l’ouvrage tendant à la prise en charge, par le garant, du coût d’une rampe d’accès à un garage, retient que ces travaux ne sont mentionnés ni dans le contrat, ni dans la notice descriptive, alors qu’elle avait constaté que cette rampe était indispensable à l’accessibilité au garage, ce dont il résultait que les travaux étaient nécessaires à l’achèvement de la construction 2.

La garantie de livraison est toutefois limitée aux travaux initialement prévus par le CCMI. Le garant ne peut en effet garantir plus que les prestations prévues au contrat originaire 3. Il n’a pas non plus à payer les travaux optionnels qui ne lui auraient pas été communiqués par avenant 4. Le garant n’est tenu de financer la construction qu’à concurrence du montant excédant le prix convenu, sans devoir répondre des dommages et intérêts encourus indépendamment d’un tel dépassement 5. L’objet de la garantie de livraison ne comprend donc pas les dommages-intérêts alloués au maître de l’ouvrage 6, notamment du chef d’un trouble de jouissance 7.

En l’espèce, le pourvoi faisait grief à la cour d’appel de Riom d’avoir mis à la charge du garant de livraison, d’une part, des sommes correspondant aux coûts des travaux de finition et des travaux connexes réalisés en pure perte, et d’autre part, une somme au titre des frais de déménagement.

S’agissant des coûts des travaux de finition et connexes, la Cour de cassation casse l’arrêt attaqué au visa de l’article L. 231-6 du Code de la construction et de l’habitation, « pour avoir omis de préciser en quoi les coûts mis à la charge du garant correspondaient à un dépassement du prix convenu nécessaire à l’achèvement de l’ouvrage ». Ne sont donc pas garantis les travaux réalisés en pure perte, dès lors qu’ils n’ont pas permis l’achèvement de l’ouvrage, même s’ils ont été exécutés à cette fin.

S’agissant des frais de déménagement et de relocation d’un logement de substitution, ils ne pouvaient être mis à la charge du garant qu’au prix d’une conception extensive de la notion de « dépassement du prix convenu nécessaire à l’achèvement ». S’en tenant à la lettre de l’article L. 231-6, la Cour de cassation les exclut donc du champ de la garantie de livraison.

II – Le recours du garant contre l’assureur de dommages-ouvrage

L’existence d’un dommage est une condition de mise en œuvre de la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil.

Ainsi, les défauts de conformité relèvent, en principe, du régime de responsabilité contractuelle de droit commun. Il en est ainsi d’un escalier de piscine comportant trois marches au lieu des quatre prévues 8, d’un matériau de toiture non conforme au règlement intérieur d’un lotissement et aux règles de construction applicables dans le département 9 ou de l’inobservation de servitudes administratives pour la réalisation de voiries et réseaux divers (VRD) 10.

En revanche, les juges ne peuvent pas exclure l’application de la garantie décennale sans rechercher si le désordre n’est pas de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination 11. Ce critère est incontestablement rempli du fait de la nécessaire démolition de l’immeuble 12.

Pour écarter le caractère décennal des désordres et débouter la CGI BAT de son recours en garantie contre la SMABTP, la cour d’appel de Riom avait considéré que les malfaçons constatées sur l’immeuble ne relevaient pas de l’article 1792 du Code civil mais résultaient d’une exécution défectueuse et non conforme du contrat.

Pareille motivation est censurée par la Cour de cassation en dépit du pouvoir souverain reconnu aux juges du fond pour apprécier l’impropriété à la destination. La maison, qui était « complètement bancale et de guingois », ne pouvait être réparée sans être démolie puis reconstruite, ce dont il résultait que les désordres étaient de la gravité de ceux prévus à l’article 1792 susvisé et que l’assureur dommages-ouvrage pouvait avoir à en répondre, sur le fondement de l’article L. 242-1, alinéa 10, du Code des assurances.

Notes de bas de page

   1 –Cass. 3e civ., 27 juin 2019, n° 17-25949, P.

   2 –Cass. 3e civ., 27 juin 2019, n° 17-25949, P.

   3 –Cass. 3e civ., 9 mai 2012, n° 11-14943 : Bull. civ. III, n° 67 ; RDI 2012, p. 40, obs. D. Tomasin.

   4 –Cass. 3e civ., 22 nov. 2000, n° 99-11582 : Bull. civ. III, n° 174.

   5 –Cass. 3e civ., 9 nov. 1994, n° 92-21101 : Bull. civ. III, n° 185.

   6 –Cass. 3e civ., 8 févr. 1995, n° 93-13169 : Bull. civ. III, n° 40.

   7 –Cass. 3e civ., 11 mai 2003, n° 02-11454.

   8 –Cass. 3e civ., 17 janv. 1984, n° 82-15982.

   9 –Cass. 3e civ., 20 nov. 1991, n° 89-14867 : Bull. civ. III, n° 278.

   10 –Cass. 3e civ., 17 janv. 1984, n° 82-16080 : Bull. civ. III, n° 10.

   11 –Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n° 15-15899.

   12 –Cass. 3e civ., 15 déc. 2004, n° 03-17876 : Bull. civ. III, n° 237 – Cass. 3e civ., 6 déc. 2018, n° 17-28513.

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