Engagement caution

La disproportion manifeste de l’engagement de la caution peut être invoquée ad vitam aeternam


La contestation opposée par une caution, sur le fondement de la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et à ses revenus, à une mesure d’exécution forcée engagée par le créancier du débiteur principal échappe à la prescription. La solution vaut même si la caution prend l’initiative de l’action devant le juge de l’exécution.

Cass. com., 8 avr. 2021, no 19-12741, ECLI:FR:CCASS:2021:CO00334, Mme P., épouse R. c/ Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel Sud Méditerranée, F-P (cassation CA Montpellier, 20 déc. 2018), Mme Mouillard, prés. ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Yves et Blaise Capron, av.


Cass. com., 8 avr. 2021, no 1913424, ECLI:FR:CCASS:2021:CO00335, M. B. et M. M. c/ Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel Sud Méditerranée, F-D (cassation CA Montpellier, 20 déc. 2018), Mme Mouillard, prés. ; Me Occhipinti, SCP Yves et Blaise Capron, av.


Cass. com., 8 avr. 2021, no 19-10911, ECLI:FR:CCASS:2021:CO00336, M. D. c/ Caisse régionale de Crédit Agricole mutuel Sud Méditerranée, D (cassation CA Montpellier, 22 nov. 2018), Mme Mouillard, prés. ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand, SCP Yves et Blaise Capron, av.

  1. Par trois arrêts du 8 avril 2021, dont l’un a été publié au Bulletin1, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que ” le moyen tiré de la disproportion manifeste de l’engagement de la caution à ses biens et à ses revenus (…) échappe à la prescription “. L’affirmation d’un tel principe ne saurait surprendre, car elle ressort désormais d’une jurisprudence bien assise2 et participe plus largement d’un ” engouement contemporain pour l’imprescriptibilité ” bien identifié3.
    Mais ces décisions ne sont pas aussi classiques qu’il y paraît à première lecture. Elles ont été rendues dans des circonstances originales qui sortent du cadre habituel où la caution se prévaut de la déchéance prévue par le droit de la consommation pour repousser l’action en paiement du créancier du débiteur principal. Dans chacune des trois espèces commentées, les cautions avaient pris l’initiative d’assigner la banque devant le juge de l’exécution, afin de voir annuler le commandement de saisie-vente que celle-ci leur avait délivré.
  2. Se posait donc une question de stratégie contentieuse : en saisissant le juge de l’exécution, la caution avait-elle endossé la qualité de demandeur, ce qui lui interdirait de se prévaloir de l’imprescriptibilité que les tribunaux attachent aux seules défenses au fond ?
    Pour y répondre par la négative, la Cour de cassation s’attache uniquement à l’objet de l’argumentation développée par la caution, sans tenir compte de sa position procédurale dans le litige, par un attendu de principe finement ciselé : au seul visa des articles L. 110-4 du Code de commerce et L. 341-4 du Code de la consommation, elle énonce que ” la contestation opposée par une caution, sur le fondement de la disproportion manifeste de son engagement à ses biens et à ses revenus, à une mesure d’exécution forcée engagée par le créancier échappe à la prescription “.
  3. Pour autant, il ne faut pas en déduire que la Cour de cassation, en s’abstenant de viser les articles 71 et 72 du Code de procédure civile, s’est émancipée de la jurisprudence traditionnelle qui attache l’imprescriptibilité aux seules défenses au fond : elle en a seulement adapté les termes aux particularités des procédures d’exécution pour tenir compte de la position originale du débiteur saisi.
    Il importe de revenir aux critères de distinction entre défense au fond et ” véritable ” demande.
    Comme les défenses au fond peuvent être proposées en tout état de cause, aux termes de l’article 72 du Code de procédure civile, la Cour de cassation les soustrait aux règles de la prescription4. La raison en est qu’à la différence de la demande reconventionnelle, ” la défense au fond est passive et ne suppose pas de la part du défendeur l’invocation d’un droit subjectif propre, seul susceptible d’être atteint par la prescription “5. À l’inverse, une demande reconventionnelle est bien prescriptible, car elle repose sur la mise en œuvre d’un droit subjectif6. Cette solution jurisprudentielle élargit le jeu de l’adage Quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum qui ne s’applique qu’aux actions en nullité, et non aux actions en déchéance7
    L’éviction de la prescription ne s’attache donc qu’à la seule défense au fond visée à l’article 71 du Code de procédure civile, à l’exclusion de la demande reconventionnelle de l’article 64 du Code de procédure civile.
    Et la qualification de ” défense au fond ” s’impose quand il s’agit seulement de paralyser la demande de l’adversaire sans rien jouter8.
    De même, la caution qui invoque le défaut de respect, par une banque, de son obligation d’information annuelle, articule une simple défense au fond, imprescriptible9.
  4. Cette imprescriptibilité de l’exception invoquée en défense trouve un écho tout particulier en matière de nullité de la clause de taux effectif global (TEG) d’un prêt. Ainsi, à la condition toutefois que le défendeur se borne à invoquer la nullité, sans demander que soient tirées les conséquences de cette nullité sous la forme de restitution, la prescription de l’action en nullité ne peut lui être opposée10.
    La prescription est a fortiori écartée si l’emprunteur sollicite, en riposte à la demande de remboursement présentée par l’établissement créancier, la sanction, non pas de la nullité de la clause de TEG, mais celle de la déchéance du droit aux intérêts contractuels, minorant d’autant la créance de la banque11. Toutefois, l’invocation de la déchéance du droit aux intérêts s’analyse en une demande reconventionnelle lorsqu’elle tend à la restitution des intérêts trop-perçus, qui constitue un avantage autre que le simple rejet de la prétention12. En revanche, la faute de la banque consistant dans un manquement à son devoir de mise en garde peut être invoquée par la caution comme moyen de défense, sans condition de délai, tant qu’elle ne sollicite pas l’allocation de dommages et intérêts qui viendraient se compenser avec la créance cautionnée13.
  5. Qu’il s’agisse de demander une nullité ou une déchéance, la distinction entre les défenses au fond et les demandes reconventionnelles repose donc sur les conséquences à tirer de la sanction qui est demandée. De lege ferenda, certains, et non des moindres, le contestent, notamment dans l’hypothèse où la nullité d’un acte est opposée en défense : ” Une lecture moins stricte de l’article 71 du Code de procédure civile permettrait de considérer que ces conséquences, ces restitutions, sont incluses dans la demande en nullité, et font corps avec elle, puisque la finalité d’une nullité est de tout remettre en état “14. D’autres relèvent, dans l’hypothèse de la déchéance, que la restitution des intérêts indûment prélevés ne constituerait pas un avantage autre que le simple rejet de la prétention, car cette qualification s’appliquerait malaisément à la ” suppression de lignes de compte, laquelle ne constitue concrètement un “avantage” que dans la mesure où elle se traduira par une diminution de la dette dont l’exécution est réclamée à titre principal, c’est-à-dire par un rejet partiel de cette demande “15.
  6. Dans les trois espèces commentées, la Cour de cassation s’est donc conformée à une jurisprudence bien établie, en faisant échapper à la prescription, le moyen tiré de la disproportion manifeste de l’engagement de la caution à ses biens et à ses revenus que celle-ci invoquait pour s’opposer à la saisie-attribution et pour contester la possibilité pour la banque de se prévaloir du titre exécutoire notarié fondant les poursuites.
    Si elle n’a pas employé les termes de ” défense au fond “, pour leur préférer celui de ” contestation “, c’est que la position procédurale du débiteur dans les procédures d’exécution soulève une difficulté d’ordre terminologique.
    Pour certains le débiteur est défendeur. Évoquant l’opposition au commandement, Solus et Perrot écrivaient ceci : ” Contrairement aux apparences, le demandeur à l’instance est, non point le débiteur qui fait opposition, mais le créancier qui a pris l’initiative de l’acte d’exécution contesté “16. À l’inverse, M. Philippe Théry distingue la procédure d’exécution proprement dite des incidents auxquels elle peut donner lieu : ” Les procédures incidentes constituent incontestablement des instances dans lesquelles le débiteur qui soulève une contestation joue le rôle de demandeur. On ne pourrait en effet raisonnablement soutenir que le débiteur qui demande la nullité de la saisie ou qui se prévaut de l’insaisissabilité d’un bien est défendeur “17.
    La deuxième chambre civile de la Cour de cassation ne s’est pas arrêtée à une telle objection lorsqu’elle a qualifié de défense au fond, la contestation par le débiteur du caractère exécutoire du jugement servant de fondement à une saisie immobilière18. Il reste que cette qualification ” sonne étrangement “, comme le soulignait M. Philippe Théry dans la chronique qu’il avait consacrée à ce précédent19. La chambre commerciale n’a pas été aussi audacieuse dans les trois espèces commentées : l’on ne sort de l’ambiguïté (terminologique) qu’à son détriment.

Notes de bas de page

  1. Cass. com., 8 avr. 2021, n° 19-12741, P.[]
  2. Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : Bull. civ. I, n° 13 – Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-27832, D.[]
  3. H. Barbier, ” De l’engouement contemporain pour l’imprescriptibilité “, RTD civ. 2019, p. 586.[]
  4. Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-21341, D ; Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : Bull. civ. I, n° 13 ; RTD civ. 2018, p. 455, obs. P. Crocq – Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10103, PB : RDC 2018, n° 115r0, p. 548, note R. Libchaber ; v. à ce sujet, M. Mignot, ” L’imprescriptibilité des moyens de défense “, Gaz. Pal. 10 juill. 2018, n° 325d6, p. 29 ; M. Mignot, ” La consécration de l’imprescriptibilité des moyens de défense “, Gaz. Pal. 6 mars 2018, n° 315a8, p. 20 ; Y.-M. Serinet, ” Défense au fond : les arcanes et les enjeux d’une qualification “, JCP G 2018, 275.[]
  5. L. Mayer, ” Les limites du critère conceptuel de distinction entre la demande reconventionnelle et la défense au fond “, Gaz. Pal. 23 avr. 2019, n° 351f0, p. 62.[]
  6. V. à ce sujet, R. Libchaber, obs. sous Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : JCP G 2018, doctr. 530, n° 5.[]
  7. P. Crocq, ” Disproportion de l’engagement de la caution, défense au fond et prescription extinctive “, RTD civ. 2018, p. 455 et la jurisprudence citée.[]
  8. M. Kebir, ” Cautionnement : la disproportion de l’engagement est une défense au fond échappant à la prescription “, Dalloz actualités, 21 févr. 2018 ; v. aussi, P. Crocq, ” Disproportion de l’engagement de la caution, défense au fond et prescription extinctive “, RTD civ. 2018, p. 455.[]
  9. Cass. com., 6 juin 2018, n° 17-10103, PB : D. Legeais, ” Obligation d’information de la caution “, RD bancaire et fin. 2018, comm. 98.[]
  10. Cass. ass. plén., 22 avr. 2011, n° 09-16008 : Bull. civ. ass. plén., n° 4 ; D. 2011, p. 1870, obs. X. Delpech, note O. Deshayes et Y.-M. Laithier ; D. 2012, p. 244, obs. N. Fricero ; Rev. soc. 2011, p. 547, note J. Moury ; RTD civ. 2011, p. 795, obs. P. Théry ; RTD civ. 2011, p. 798, obs. P. Théry ; G. Piette, ” Le moyen de défense au fond tiré de la disproportion du cautionnement n’est pas soumis à prescription “, AJ contrats 2018, p. 141.[]
  11. Cass. com., 21 nov. 2018, n° 17-11420, D ; Cass. 3e civ., 4 oct. 2018, n° 17-15601, D ; Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-27832, inédit ; Cass. 1re civ., 31 janv. 2018, n° 16-24092 : Bull. civ. I, n° 13.[]
  12. Cass. 1re civ., 18 sept. 2019, n° 19-70013, PBI.[]
  13. Cass. com., 21 oct. 2014, n° 13-21341, D.[]
  14. S. Guinchard (dir.), Droit et pratique de la procédure civile, 2021, Dalloz, n° 291.12.[]
  15. L. Mayer, ” Les limites du critère conceptuel de distinction entre la demande reconventionnelle et la défense au fond “, Gaz. Pal. 23 avr. 2019, n° 351f0, p. 62.[]
  16. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. III, Procédure de première instance, 1991, Sirey, n° 19.[]
  17. L. Flise et E. Jeuland (dir.), Du lien d’instance aux liens processuels, 1975-2015, 6es rencontres de procédure civile, 2016, IRJS Editions, p. 16 et s.[]
  18. Cass. 2e civ., 5 sept. 2019, n° 17-28471, PB.[]
  19. P. Théry, ” À propos des ambiguïtés terminologiques : contestation du caractère exécutoire du jugement servant de fondement à une saisie immobilière “, RTD civ. 2019, p. 923.[]

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