Loi ELAN

La loi ELAN aux prises avec l’économie numérique : qui régulera Airbnb ?

La loi ELAN marque l’aboutissement d’un puissant mouvement législatif tendant à un renforcement des contrôles sur le marché de l’hébergement touristique et à une aggravation des sanctions. Confrontée au droit constitutionnel comme au droit communautaire, l’efficacité de ce dispositif est susceptible d’être remise en cause.

L. n° 2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, art. 123, 135, 144, 145 et 146 : JO, 24 nov. 2018

Avec l’essor des plateformes de réservation dont la plus connue est Airbnb, la location de meublés touristiques a connu un développement considérable parce qu’elle offre un cadre juridique plus souple et une rentabilité plus élevée que la location traditionnelle. Pour répondre tant à la dégradation des conditions d’accès au logement qu’à l’exacerbation des tensions sur le marché immobilier et à l’apparition d’une concurrence jugée déloyale par le secteur de l’hôtellerie traditionnelle, le législateur est intervenu depuis 2014 afin de permettre aux communes de réguler l’offre de meublés touristiques dans les zones particulièrement tendues.

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (dite ALUR) a inséré dans l’article L. 631-7 du Code la construction et de l’habitation (ci-après CCH) un dernier alinéa soumettant à une autorisation préalable, « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile », lequel constitue un changement d’usage. En est exceptée la location d’une résidence principale dans la limite d’un plafond de 120 jours.

Afin de conforter l’efficacité de ce dispositif, la loi n° 2016 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a modifié le Code du tourisme pour exiger une déclaration préalable avec enregistrement dans les communes soumettant le changement d’usage à une autorisation préalable.

Remédiant à son tour aux insuffisances de ce dispositif, la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN De la Vaissière F.1 s’est efforcée de réguler les plateformes numériques avec des résultats inégaux selon les intervenants : « Airbnb a déjà atteint, du moins sur le marché parisien, un réseau d’une taille critique suffisante pour lui conférer une dimension quasi-monopolistique sur ce marché et pour la rendre relativement indifférente en termes de rentabilité aux restrictions apportées par les mesures adoptées » 2. En revanche, d’autres plateformes qui n’avaient pas encore atteint cette taille critique, ont pu disparaître sous l’effet de cette réglementation nouvelle.

La loi ELAN marque donc l’aboutissement d’un puissant mouvement législatif tendant à un renforcement des contrôles sur le marché de l’hébergement touristique et à une aggravation des sanctions (I). Mais l’efficacité de ce dispositif a été remise en cause par le Conseil constitutionnel lorsqu’il a déclaré contraires à la Constitution, par une décision du 5 avril 2019, 3 les dispositions du Code de la construction et de l’habitation portant atteinte à l’inviolabilité du domicile en ce qu’elles autorisent les agents des services municipaux à procéder à une visite domiciliaire sans autorisation préalable du juge judiciaire. D’autres questions sont encore apparues depuis que la Cour de cassation, par un arrêt du 15 novembre 2018, 4 a interrogé la Cour de justice sur la compatibilité de l’article L. 631-7 du CCH avec la directive « Services » du 12 décembre 2006 (II).

I – La loi ELAN : l’aboutissement d’un puissant mouvement législatif

La réglementation du meublé touristique – on l’a dit – puise son origine dans la loi ALUR du 24 mars 2014 et la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui, en modifiant le Code de la construction et de l’habitation et le Code du tourisme, ont combiné un régime déclaratif avec celui exigeant une autorisation préalable (A). La loi ELAN le confirme par une extension des contrôles et une aggravation des sanctions (B).

A – L’état du droit avant la loi ELAN : un régime disparate et éclaté entre deux Codes

1 – Les dispositions du Code de la construction et de l’habitation

Ces dispositions requièrent une autorisation préalable dans toutes les communes de plus de 200 000 habitants et les départements limitrophes de Paris. Y échappe la résidence principale à la condition qu’elle soit occupée par son propriétaire au moins huit mois par an. Ce changement d’usage peut être assorti d’une compensation 5 consistant en la transformation en habitation de locaux ayant initialement un autre usage que l’habitation. Obligatoire à Paris, elle consiste dans la création, dans le même quartier administratif, de locaux d’habitation pour une surface équivalente. Certains secteurs de Paris relèvent d’un régime de compensation renforcée, en application de l’annexe I du règlement municipal. La surface de compensation renforcée doit alors être le double de la surface transformée. En plus de l’autorisation de changement d’usage, elle en nécessite une autre portant sur le changement de destination, en application du Code de l’urbanisme et du plan local d’urbanisme (PLU).

Obligatoire dans les communes de plus de 200 000 habitants et dans celles des départements de la petite couronne, ce régime est facultatif ailleurs. Il peut être mis en place soit (i) par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), compétent en matière de PLU pour les communes appartenant à une zone urbaine de plus de 50 000 habitants connaissant une situation de tension sur le marché du logement et identifiées dans une liste de 1 149 communes fixée en 2013 par un décret relatif à la taxe sur les logements vacants ; soit (ii) par le préfet sur demande de la commune partout ailleurs.

Enfin, un régime temporaire de changement d’usage a vu le jour : aux termes de l’article L. 631-7-1 A du CCH, la commune ou l’EPCI « peut définir un régime d’autorisation temporaire de changement d’usage permettant à une personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l’habitation à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile ». Le texte précise que cette délibération détermine les critères de l’autorisation temporaire, qui peuvent porter sur la durée des contrats de location, sur les caractéristiques physiques du local ainsi que sur sa localisation. Aucune compensation ne peut donc être exigée du loueur.

Le défaut d’autorisation préalable est sanctionné par la nullité absolue du bail 6, laquelle est donc insusceptible de régularisation ou de confirmation 7. L’autorisation administrative exigée par la loi doit être obtenue par le propriétaire, préalablement à la signature du bail. Le bailleur ne peut s’en décharger par une clause laissant le locataire en faire son affaire personnelle 8. En présence d’une nullité absolue, « les dispositions d’ordre public de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation peuvent être invoquées par toute personne qui y a intérêt » 9, y compris les tiers au contrat, dont le syndicat des copropriétaires 10. La prescription de l’action en nullité a donné lieu à d’importantes controverses. L’article L. 631-7-1, alinéa 3, du CCH s’oppose à toute acquisition d’une autorisation par l’effet d’une possession prolongée d’un changement d’usage illégal : « l’usage des locaux définis à l’article L. 631-7 n’est en aucun cas affecté par la prescription trentenaire prévue par l’article 2227 du Code civil ». Mais la Cour de cassation avait décidé, dans l’état du droit antérieur à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, que l’action en nullité se prescrit par 30 ans à compter de la conclusion de l’acte, conformément au droit commun, indépendamment de la prescription de l’action publique 11. Postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, la prescription a été réduite à cinq ans 12 et enfermée dans le délai butoir de 20 ans prévu à l’article 2232 du Code civil. La principale difficulté résulte de l’application de l’article 2224 du Code civil qui fait courir la prescription « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Certains 13 observent que l’application de cette règle est inadaptée en matière de nullité absolue. D’autres 14 relèvent que l’article 2224 n’emporte en pratique aucun changement : nul n’étant censé ignorer les causes d’illicéité, le point de départ commencera à courir à compter de la conclusion du bail, comme par le passé, étant précisé que la conclusion d’un nouveau bail ou son renouvellement fait courir un autre délai de prescription. Tout au plus l’application de l’article 2224 pourrait-elle justifier que le point de départ de la prescription soit reporté dans l’intérêt des tiers requérants au jour où ils ont eu effectivement connaissance de l’illicéité de la location, ce qui suppose qu’elle leur ait été dissimulée au jour de sa conclusion.

À la nullité de plein droit du bail s’ajoute le prononcé d’une amende civile d’un montant maximal de 50 000 € par le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés. L’article 651-2, alinéa 2, du CCH prévoyait, à l’origine, que le juge était saisi par le ministère public. Tel n’est plus le cas depuis que la loi J 21 donne qualité au maire de la commune du lieu de situation du local ou à l’Agence nationale de l’habitat pour saisir le juge 15. Comme toute loi de procédure, elle est d’application immédiate aux instances en cours. Le maire de la commune peut donc intervenir en cours d’instance devant la cour d’appel, en remplacement du parquet 16.

Accessoirement au prononcé de l’amende, le président du tribunal ordonne le retour à l’habitation des locaux transformés dans un délai qu’il fixe, en application des deux derniers alinéas de l’article L. 651-2 du CCH, au besoin sous astreinte, laquelle n’est pas constitutive d’une sanction ayant le caractère d’une punition 17. L’article L. 651-3 du CCH sanctionne en outre par un emprisonnement d’un an et une amende de 80 000 € « quiconque [qui] a, à l’aide de manœuvres frauduleuses, dissimulé ou tenté de dissimuler des locaux soumis à déclaration ».

Un tel dispositif était cependant d’une efficacité limitée, car les poursuites se heurtaient à des difficultés probatoires qui tiennent notamment à la distinction entre résidence principale et résidence secondaire. Il ne suffit pas d’établir la location touristique. Il faut encore établir le lien avec la domiciliation du propriétaire qui est dispensé d’obtenir une autorisation de changement d’usage s’il loue sa résidence principale.

C’est pourquoi la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a apporté plusieurs modifications au Code du tourisme, d’une part en mettant à contribution les intermédiaires, d’autre part en autorisant les communes à mettre en place un régime de déclaration soumise à enregistrement. Ces nouvelles dispositions sont codifiées aux articles L. 324-1-1, L. 324-2 et L. 324-2-1 du Code du tourisme 18.

2 – Les dispositions du Code du tourisme

Depuis la loi pour une République numérique, les communes peuvent soumettre toute location en meublé de tourisme, même s’il s’agit d’une résidence principale, à une déclaration en ligne donnant lieu à l’attribution immédiate d’un numéro d’enregistrement.

La mise en place de ce régime implique l’obligation, pour les plateformes de réservation, de publier le numéro d’enregistrement et de s’assurer, dès lors qu’ils en ont connaissance, qu’une même résidence principale n’est pas mise en location plus de 120 jours.

Les intermédiaires doivent également transmettre aux communes, une fois par an, et à leur demande, le nombre de nuitées au cours desquelles le logement a été loué.

Enfin, ceux-ci ont également l’obligation d’informer les loueurs de leurs obligations de déclaration et d’autorisation et d’obtenir d’eux une déclaration sur l’honneur attestant du respect de ces obligations et indiquant si le logement est une résidence principale ou secondaire, ainsi que le numéro d’enregistrement.

Mais ce dispositif n’était assorti d’aucune sanction, dans le silence du pouvoir réglementaire qui n’a pas pris les mesures d’application requises. La loi ELAN du 23 novembre 2018 a remédié à cette carence.

B – L’apport de la loi ELAN

L’apport de la loi ELAN est triple : elle définit le meublé de tourisme et elle renforce les contrôles exercés sur les loueurs et les intermédiaires, tout en les sanctionnant plus sévèrement (1). Il est en outre permis de s’interroger sur son insertion dans le droit commun des biens et des obligations (2). L’examen du droit spécial précède donc celui de la règle générale.

1 – Extension des contrôles et aggravation des sanctions

L’article 145 de la loi ELAN a réintroduit dans la partie législative du Code du tourisme, la définition que le pouvoir réglementaire avait donnée du meublé touristique en des termes dont la légalité prêtait à discussion. L’article L. 324-1-1 du Code du tourisme prévoit désormais, dans un premier alinéa, que « pour l’application du présent article, les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ». En est donc exclue la location d’une simple chambre chez l’habitant.

Comme prévu par la loi du 22 mars 2012 19 l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme impose à toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme « d’en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé ». Seule la résidence principale du loueur échappe au régime de la déclaration préalable.

La résidence principale est soumise à enregistrement sur délibération du conseil municipal, dans les communes où le changement d’usage est soumis à l’autorisation préalable prévue à l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. La déclaration préalable soumise à enregistrement est sanctionnée par une amende de 5 000 €.

Dans les communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement de la déclaration préalable, l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme interdit à « toute personne d’offrir à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale » plus de 120 jours au cours d’une même année civile, « sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure ». La règle est sanctionnée par une amende civile limitée à 10 000 €.

Pour vérifier le respect de cette prohibition, l’article L. 324-1-1, IV, du Code du tourisme donne compétence aux communes pour « demander au loueur de lui transmettre le nombre de jours au cours desquels ce meublé a été loué ». Le loueur a obligation de transmettre ces informations dans un délai d’un mois.

L’article L. 324-2-1 du Code du tourisme impose également à l’intermédiaire de fournir cette information aux communes, « lorsqu’[il] en a connaissance, notamment lorsqu’[il] met à disposition une plateforme numérique de nature à lui conférer la connaissance ou le contrôle des données stockées ». Les exploitants des plateformes ne sont pas toujours en capacité de disposer des données leur permettant de s’assurer auprès des loueurs qu’ils respectent la réglementation. Il en est ainsi de celles intervenant à titre gratuit, comme les plateformes de réseaux sociaux telles que Facebook. Le législateur soumet à une telle obligation tous les intermédiaires, sans distinguer selon qu’ils prêtent leur concours contre rémunération ou à titre gratuit.

L’intermédiaire est également tenu de contrôler les annonces : préalablement à la publication ou à la mise en ligne d’une annonce, il est tenu d’informer le loueur des obligations de déclaration ou d’autorisation préalables que lui imposent l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme ou bien l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, en exécution de l’article L. 3241-1 précité. Ce texte lui impose d’obtenir du loueur de meublé en tourisme une déclaration sur l’honneur attestant du respect de ces obligations et indiquant si le numéro de déclaration constitue ou non sa résidence principale, et, le cas échéant, le numéro de déclaration en mairie en application de l’article L. 324-1-1, II, du Code du tourisme. Il doit enfin retirer l’annonce dès qu’il a connaissance du dépassement de la limite des 120 jours.

Enfin, l’article L. 324-2-1, IV, du Code du tourisme habilite les agents assermentés du service municipal ou départemental du logement à contrôler le respect des obligations des loueurs et des intermédiaires.

La répression est également aggravée par le prononcé d’amendes civiles.

Les loueurs sont ainsi exposés au paiement d’une amende d’un montant maximal de 5 000 € pour le défaut de déclaration et d’enregistrement de la location, et de 10 000 € pour la location d’une résidence principale au-delà de la limite de 120 jours, en application de l’article L. 324-1-1 du Code du tourisme.

Les intermédiaires, de leur côté, sont exposés au paiement d’une amende civile d’un montant maximal, pour chaque meublé, de 12 500 € lorsqu’ils n’informent pas le loueur de ses obligations et qu’ils n’obtiennent pas de ce dernier la déclaration sur l’honneur attestant du respect de ses obligations. Cette amende est portée à un montant maximal de 50 000 €, lorsqu’ils ne répondent pas à la demande d’information de la commune sur la durée de la location dont un meublé ou une liste de meublés a fait l’objet ou qu’ils ne retirent pas les offres de location de résidences principales au-delà de la limite de 120 jours.

Comme en matière de changement d’usage, le prononcé de l’amende relève de la compétence du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, à la requête de la commune dans laquelle est situé le meublé de tourisme, laquelle bénéficie du produit de l’amende.

2 – Articulation de la loi ELAN avec le droit commun

La mise en œuvre des amendes civiles n’est pas exclusive de l’application du droit commun des obligations et des biens, qu’il s’agisse de protéger un propriétaire contre des sous-locations irrégulières ou bien d’imposer des conditions supplémentaires en présence de copropriétés. Ainsi un tribunal d’instance a jugé pour sa part qu’une plateforme numérique engage sa responsabilité délictuelle à l’égard du propriétaire d’un bien irrégulièrement sousloué dès lors qu’elle a contribué, en méconnaissant les obligations qui lui incombent, à la violation par le locataire de ses propres obligations contractuelles 20. La cour d’appel de Paris a également imposé au locataire de restituer au bailleur les fruits qu’il a retirés d’une sous-location irrégulière, sur le fondement de l’accession 21. Même autorisée dans les termes de l’article L. 631-7 du Code la construction et de l’habitation, une location touristique peut encore se heurter au droit de la copropriété 22. Si le Conseil constitutionnel s’est opposé à ce que le législateur soumette la conclusion d’une location de courte durée à l’autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires 23, la Cour de cassation considère que le respect de la destination de l’immeuble peut s’opposer à la transformation d’un lot en un meublé touristique 24. Plus discutée est la question de savoir si une telle prohibition peut trouver sa source dans une stipulation du règlement de copropriété. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur ce point. Quoiqu’il en soit, il est acquis que le syndicat de copropriété justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir en nullité d’une convention conclue en violation de l’article L. 631-7 du CCH et pour obtenir le rétablissement du lot à son usage initial d’habitation.

II – Le régime des meublés touristiques à l’épreuve des droits fondamentaux

La réglementation des meublés touristiques est susceptible d’entrer en conflit avec le droit tant constitutionnel (A) que communautaire (B).

A – Contrôle de constitutionnalité et changement d’usage

À l’occasion de l’examen de la loi ALUR 25, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution des nouvelles dispositions de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. Il a jugé que le législateur a entendu préciser, par des dispositions contestées, « le champ d’application d’un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et à définir certaines exceptions en faveur des bailleurs », et qu’il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général. Il a également jugé que les dispositions précitées sont en adéquation avec l’objectif poursuivi, et qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

S’inspirant des mêmes considérations, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question préjudicielle de constitutionnalité relative au prononcé des amendes encourues en cas de violation de l’article L. 631-7 du CCH 26. D’une manière générale, elle n’est guère sensible à la force de l’argument constitutionnel dans le domaine de la réglementation du changement d’usage. C’est ainsi que le principe de la légalité des délits et des peines, de même que le principe de la responsabilité du fait personnel ne s’opposent pas à ce qu’une amende soit prononcée à l’encontre du propriétaire sur la seule constatation qu’il a, « en connaissance de cause », autorisé de manière expresse la sous-location de son logement de manière temporaire, alors même que la lettre de l’article L. 631-7 du CCH ne sanctionne que « le fait de louer un local meublé » 27. S’inspirant de considérations analogues, la Cour de cassation a également écarté deux autres QPC soulevées par des plateformes de location de meublés touristiques afin de voir déclarer contraire à la Constitution l’article L. 324-1-2 du Code du tourisme dans sa rédaction issue de la loi de 2016 leur imposant une obligation de surveillance destinée à faire échec à la diffusion d’annonces illicites 28. En revanche, la haute juridiction n’a pas encore été saisie d’une QPC portant sur les amendes civiles prévues par la loi ELAN. Sans doute la question serait-elle recevable dans le silence du Conseil constitutionnel qui ne s’est pas prononcé dans sa décision n° 2018-772 du 15 novembre 2018 relative à la loi ELAN. S’agissant d’une sanction ayant le caractère d’une punition, elle ne peut être infligée qu’à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère, ainsi que le principe du respect des droits de la défense découlant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen 29. S’y ajoute le principe selon lequel nul n’est punissable que de son propre fait 30. Sans doute les plateformes seront-elles amenées à se prévaloir de l’atteinte portée à ces différents principes lors de l’application des sanctions prévues par le Code du tourisme, en particulier lorsqu’elles ne disposent pas des données leur permettant de satisfaire aux demandes d’information. Une autre difficulté pourrait résulter du cumul des sanctions prévues par la loi ELAN avec celles résultant de la loi du 23 octobre 2018 de « lutte contre la fraude ». Le principe non bis in idem pourrait-il y faire obstacle ?

D’autres difficultés proviennent des conditions dans lesquelles les agents des municipalités recueillent les preuves d’une sous-location prohibée. Le Conseil constitutionnel a été saisi par la Cour de cassation 31d’une question prioritaire de constitutionnalité relative aux pouvoirs de contrôle dont disposaient les agents municipaux, en vertu des articles L. 651-6 et L. 651-7 du Code de la construction et de l’habitation. Il a déclaré contraire à la Constitution le sixième alinéa de l’article L. 651-6 autorisant les agents du service municipal du logement, en cas de refus ou d’absence de l’occupant du local ou de son gardien, à se faire ouvrir les portes et à visiter les lieux en présence du maire ou d’un commissaire de police. La censure est intervenue sur le fondement de l’inviolabilité du domicile 32. Cette décision fait suite à celle du 15 novembre 2018 précitée 33 qui a également censuré plusieurs dispositions de la loi ELAN élargissant les prérogatives des agents de contrôle en ce qu’elles constituaient des cavaliers législatifs. Il en est ainsi de l’article 123 permettant aux huissiers de justice d’accéder aux boîtes aux lettres dans les immeubles d’habitation 34 de l’article 135 imposant au bailleur de notifier au syndic de l’immeuble les coordonnées de son locataire, de l’article 144 permettant d’autoriser de manière permanente l’accès aux parties communes des immeubles d’habitation pour les agents assermentés du service municipal ou départemental du logement. En l’absence de contrôle régulier des contrevenants, le processus répressif peut être entravé : le Conseil constitutionnel s’est opposé pour le même motif à l’entrée, dans les parties communes de l’immeuble concerné, de la gendarmerie, de la police nationale, des statisticiens et des huissiers de justice.

B – Réglementation des meublés touristiques et droit communautaire

À l’occasion d’un pourvoi formé par un loueur de meublé touristique à l’encontre d’un arrêt le condamnant à une amende civile, a été soulevée la question de la conformité au droit communautaire des dispositions de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation.

La Cour de cassation a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice de l’Union européenne de six questions destinées à déterminer la conformité dudit régime d’autorisation aux règles communautaires 35. Les deux premières questions portent sur l’applicabilité de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dite Services, aux locations en meublés touristiques et sur le point de savoir si une réglementation nationale, telle que celle prévue par l’article L. 631-7 du CCH, constitue un régime d’autorisation de l’activité susvisée au sens des articles 9 à 13 de la directive Services ou seulement une exigence soumise aux dispositions des articles 14 et 15 du même texte.

La Cour de justice est donc appelée à se prononcer sur l’inclusion du contrat de location à titre onéreux dans la notion européenne de « services » qui est bien plus large qu’en droit national 36. Elle est définie dans la directive comme « toute activité économique non salariée exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 57 TFUE ». Il en est ainsi d’une activité de commerce de détail de produits, tels que des vêtements et des chaussures, même si elle consiste exclusivement en la vente de biens 37. Il devrait en être de même d’une location de meublé touristique.

Dans un second temps, la Cour de cassation s’est interrogée sur le point de savoir si la réglementation du changement d’usage relève de la notion de « régime d’autorisation » au sens des articles 9 à 13 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 ou de celle d’« exigence » soumise aux dispositions des articles 14 et 15 du même texte. Ainsi que la CJUE l’avait rappelé récemment 38, il convient d’entendre par « régime d’autorisation », « toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice », conformément à l’article 4, point 6, de ladite directive. S’agissant de la notion d’« exigence », celle-ci doit être entendue, conformément à l’article 4, point 7, comme visant, notamment, « toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ». Il apparaît à cet égard que le régime d’autorisation du changement d’usage relève plutôt de la première catégorie que de la seconde.

Si tel est le cas, l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitat doit satisfaire aux exigences posées par l’article 9 de la directive qui soumet l’instauration d’un régime d’autorisation pour l’accès à une activité de services et son exercice au respect des trois conditions suivantes :

le régime d’autorisation n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;
la nécessité d’un régime d’autorisation est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général ;
l’objectif poursuivi ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle.
Les raisons impérieuses d’intérêt général sont définies par l’article 4, point 8 de la directive comme celles reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice. Elles ne se déduisent pas de la seule existence d’un motif d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, dont l’appréciation ne lie pas la Cour. La question a donc été posée à la CJUE de savoir si l’objectif tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location constitue une « raison impérieuse d’intérêt général » permettant de justifier la mesure d’autorisation en cause et, le cas échéant, si une telle mesure est proportionnée à l’objectif poursuivi.

En dernier lieu, l’article 10 de la directive Services, relatif aux conditions d’octroi de l’autorisation, prévoit que le pouvoir d’appréciation des autorités compétentes pour la délivrance des autorisations doit être encadré par des critères destinés à éviter l’arbitraire : clarté, absence d’ambiguïté, objectivité, publicité, transparence et accessibilité.

Il appartiendra donc à la Cour de justice de vérifier que le pouvoir d’appréciation des autorités compétentes respecte ces critères. L’octroi des compensations et le marché de la commercialité prêtent à discussion, comme le relevait le Conseil d’État dans son étude citée en introduction : « l’obligation de compensation des surfaces d’habitation dont la destination est modifiée résulte de dispositions très anciennes – leur origine remonte à 1922 – et elle est difficilement adaptée à l’économie numérique en réseau. Et ces dispositions ont été adoptées sans prise en considération globale, du point de vue de l’utilisateur/consommateur/producteur des plateformes, de l’ensemble des contraintes pesant sur lui et des possibilités s’offrant à lui » 39.

La réponse de la Cour de justice est donc très attendue.

Notes de bas de page

  1. « Les meublés touristiques après la loi ELAN », Defrénois 13 juin 2019, n° 148t1, p. 19.[]
  2. Conseil d’État, étude annuelle 2017, Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’« ubérisation », 2017, La documentation française, p. 76.[]
  3. Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC, cons. n° 10.[]
  4. Cass. 3e civ., 15 nov. 2018, n° 17-26156, PBI ; aj. sur la question, Maréchal Poliaud-Dulian C., « Location “Airbnb” : les règles du Code de la construction et de l’habitation à l’épreuve de la directive “services” », D. 2019, p. 415.[]
  5. Breton J.-M., « Activités touristiques – Plateforme en ligne – La saga Airbnb », JT 2019, n° 218, p. 43 ; Bellaud-Guillet A., « Le nouveau règlement municipal parisien en matière d’autorisation de changement d’usage et l’ouverture de la chasse aux touristes », AJDI 2015, p. 237 ; Duchêne J.-P., « Article L. 631-7 du CCH : compensations et marché de la commercialité à Paris de 2009 à 2016 », AJDI 2017, p. 401.[]
  6. Cass. 3e civ., 10 juin 2015, n° 14-15961 : Bull. civ. III, n° 58.[]
  7. Daudré G. et Wallut P., Changements d’usage des locaux d’habitation. Les réformes de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, 2e éd., 2016, LexisNexis, p. 184, n° 605.[]
  8. Cass. 3e civ., 11 déc. 1996, n° 95-10215, D – Cass. 3e civ., 7 juill. 2004, n° 03-11427 : Bull. civ. III, n° 144 – Cass. 3e civ., 29 avr. 2002, n° 00-20213, D. ; Cass. 3e civ., 22 janv. 2014, n° 12-19494, D.[]
  9. Cass. 3e civ., 15 janv. 2003, n° 01-03076 : Bull. civ. III, n° 8.[]
  10. Cass. 3e civ., 15 janv. 2003, n° 01-03076, préc. : Bull. civ. III, n° 8.[]
  11. Cass. soc., 7 juin 1961 : Bull. civ., n° 607.[]
  12. CA Paris, 16 mai 2012, n° 10/08589 : Defrénois 15 févr. 2013, n° 111p6, p. 111, obs. Meng J.-P. et Daudré G.[]
  13. Leroyer A.-M., « Réforme de la prescription civile », RTD civ. 2008, p. 563.[]
  14. Ghestin J. et a., La formation du contrat, L’objet et la cause, Les nullités, t. 2, LGDJ, p. 1215, n° 2538.[]
  15. L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, de modernisation de la justice du XXIe siècle, art. 59.[]
  16. Cass. 3e civ., 16 mai 2019, n° 17-24474, FS-PBI.[]
  17. Cass. 3e civ., 5 juill. 2018, n° 18-40014.[]
  18. Richard D., « La location Airbnb ou la « disruption » rattrapée par la réglementation de la République numérique », AJDI 2017, p. 336.[]
  19. L. n° 2012-387, 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives.[]
  20. TI Paris, 6 févr. 2018 : Contrats, conc. consom. 2018, comm. 27, obs. Loiseau G.[]
  21. CA Paris, 5 juin 2018 : AJDI 2018, p. 864, obs. Vaissière F.[]
  22. Périnet-Marquet H., « Les meublés touristiques dans les immeubles en copropriété – évolutions jurisprudentielles récentes », JCP N 2017, n° 26.[]
  23. Cons. const., 20 mars 2014, n° 2014-691 DC.[]
  24. Cass. 3e civ., 4 janv. 1991, n° 89-10959 : Bull. civ. III, n° 2 – Cass. 3e civ., 8 mars 2018, n° 14-15864[]
  25. Cons. const., 20 mars 2014, n° 2014-691 DC : AJDA 2014, p. 655[]
  26. Cass. 3e civ., 5 juill. 2018, n° 18-40014.[]
  27. Cass. 1re civ., 12 juill. 2018, n° 17-20654 : D. 2018, p. 2435, obs. Mme le Conseiller Collomp A.-L.[]
  28. Cass. 3e civ., 31 janv. 2019, nos 18-40042 et 18-40043 QPC ; sur ces deux arrêts, v. Delpech X., « À la une – Hébergement – Nouvelle défaite pour les plateformes de meublés de tourisme », JT 2019, p. 8, n° 217.[]
  29. Cons. const., 29 déc. 1999, n° 99-424 DC, § 53 ; Cons. const., 29 déc. 2003, n° 2003-489 DC § 11 ; Cons. const., 12 août 2004, n° 2004-504 DC, § 24.[]
  30. Cons. const., 16 juin 1999, n° 99-411, cons. n° 7.[]
  31. Cass. 3e civ., 17 janv. 2019, n° 18-40040, à paraître.[]
  32. Cons. const., 5 avr. 2019, n° 2019-772 QPC, cons. n° 10.[]
  33. Cass. 3e civ., 15 nov. 2018, n° 17-26156, PBI, préc.[]
  34. Un décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 s’inspire de cette disposition censurée par le Conseil constitutionnel pour réglementer l’accès des huissiers de justice aux parties communes d’immeubles, en application de l’article L. 111-6-1 du Code de la construction et de l’habitation issu de la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010.[]
  35. Cass. 3e civ., 15 nov. 2018, n° 17-26156 : Maréchal Poliaud-Dulian C., « Location “Airbnb” : les règles du Code de la construction et de l’habitation à l’épreuve de la directive “services” », D. 2019, p. 415.[]
  36. Aubert de Vincelles C., « Chronique de droit européen des contrats », Contrats conc. consom. 2019.[]
  37. CJUE, 30 janv. 2018, nos C-360/15 et C-31/16, X et Visser Vastgoed Beleggingenn : AJDA 2018, p. 1026.[]
  38. CJUE, 30 janv. 2018, nos C-360/15 et C-31/16, College van Burgemeester en Wethouders van de gemeente Amersfoort c/ X BV et Visser Vastgoed Beleggingen BV ; Bonneville P. et a., « Chronique de la jurisprudence de la CJUE », AJDA 2018, p. 1026.[]
  39. Conseil d’État, étude annuelle 2017 préc., Puissance publique et plateformes numériques : accompagner l’« ubérisation », 2017, La documentation française, p. 75.[]

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