Clause partiellement abusive

La sanction d’une clause partiellement abusive


Peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance.


Cass. 1re civ., 2 juin 2021, no 19-22455, M. H. c/ Caisse de crédit mutuel de Wavrin et Mme H., FS-P (rejet pourvoi c/ CA Douai, 16 mai 2019), Mme Batut, prés. ; SCP Delamarre et Jehannin, SCP Célice, Texidor et Perrier, av. : Gaz. Pal. 7 sept. 2021, n° 425i9, p. 31, note S. Piédelièvre ; LPA 30 sept. 2021, n° 201c9, p. 69, note V. Legrand


Il résulte de l’article L. 132-1 du Code de la consommation qu’une clause est abusive lorsqu’elle a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Il peut arriver qu’une clause soit partiellement abusive en ce que seules certaines de ses stipulations ont pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif. Faut-il alors réputer la clause non écrite dans son ensemble ou permettre son application par voie de retranchement des seules dispositions abusives ? Telle était la question posée par le pourvoi dans cette affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 juin 2021.


Cette question était inédite en droit de la consommation. En dehors du régime des clauses abusives, il était arrivé à la Cour de cassation de réputer partiellement non écrites une clause de non-concurrence1 ou une clause d’indexation partiellement irrégulières.


En l’espèce, l’article 14 des conditions générales d’un contrat de prêt permettait à la banque de prononcer la déchéance du terme dans 21 hypothèses et, en particulier, lorsque ” l’emprunteur est en retard de plus de trente jours dans le paiement d’une échéance en principal, intérêts ou accessoires du présent prêt “. Dans certains cas, les stipulations de l’article 14 pouvaient être regardées comme abusives en tant qu’elles faisaient dépendre la déchéance du terme d’événements extérieurs à l’exécution du prêt. Les emprunteurs en déduisaient que l’article 14 devait être réputé non écrit en totalité, et non pour partie seulement, au moment où ils ont contesté les deux commandements que la banque leur avait délivrés, après avoir été vainement mis en demeure de s’acquitter des échéances impayées. Ils n’ont pas obtenu gain devant le juge de l’exécution, ni devant la cour d’appel. Tout en concédant que les stipulations contractuelles prévoyant la déchéance du terme pour des causes extérieures au contrat pouvaient être déclarées abusives, la juridiction du second degré a rappelé que leur caractère non écrit ne saurait remettre en cause l’ensemble de la clause qui, sous l’intitulé ” exigibilité immédiate “, prévoit des causes de déchéance du terme valables, notamment celles liées à l’inexécution du contrat lui-même, de sorte que la clause querellée pouvait survivre au retranchement de certaines de ses stipulations.


Critiquant une telle motivation au soutien de leur pourvoi, les emprunteurs ont prétendu que la cour d’appel ne pouvait déclarer abusive la seule partie de la clause prévoyant la déchéance du terme pour des motifs extérieurs au contrat, et la laisser subsister pour le reste.


Refusant de se laisser enfermer dans cette logique du tout ou rien, la Cour de cassation a posé, en principe, que ” peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance “. La Cour de cassation a donc approuvé les juges du fond d’avoir décidé que les causes de déchéance du terme liées à l’exécution du contrat étaient valables et divisibles des autres causes qui étaient déclarées abusives car étrangères à l’exécution du contrat lui-même.


En combinant le critère de la divisibilité de la clause avec celui tiré d’une modification de la substance de la clause, la Cour de cassation mêle diverses sources d’inspiration. En s’attachant à la modification de la substance de la clause, la Cour se fonde sur une interprétation a contrario d’un arrêt rendu par la cour de Justice le 26 mars 2019, qu’elle cite expressément2. La Cour de justice y a dit pour droit que ” les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doivent être interprétés en ce sens que, d’une part, ils s’opposent à ce qu’une clause d’échéance anticipée d’un contrat de prêt hypothécaire jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance “.
La Cour de justice est traditionnellement réticente à admettre la technique du réputé non écrit partiel, comme le rappelle la Commission dans une communication du 22 juillet 2019 : ” La suppression partielle d’une clause contractuelle abusive est (…) irrecevable, car elle équivaut généralement à une révision d’une clause contractuelle consistant à en modifier le contenu. Il ne peut en être autrement que dans les cas où ce qui peut ressembler à une “clause contractuelle” est, en réalité, composé de clauses contractuelles différentes (…). Tel peut notamment être le cas lorsqu’une clause contractuelle contient deux (ou plusieurs) stipulations qui peuvent être distinguées de telle sorte qu’il soit possible d’en supprimer une, tandis que les autres stipulations restent claires et peuvent être évaluées selon leurs mérites propres. (…) Ce qui importe pour déterminer le caractère séparable des clauses contractuelles est le contenu ou la fonction de stipulations particulières plutôt que la façon dont elles sont présentées dans un contrat donné et le fait qu’une suppression partielle n’est pas possible lorsque deux parties d’une clause contractuelle sont liées de telle sorte que la suppression d’une partie affecterait la substance de la clause restante du contrat “3. Le critère de la divisibilité a été mis en œuvre, pour sa part, par le Bundesgerichtshof qui a admis de séparer une clause contractuelle en plusieurs parties dont l’une est abusive afin de sauver le surplus de la clause, suivant ” la doctrine du crayon bleu “. Dans ses conclusions sous l’arrêt commenté, l’avocat général en rappelle les conditions : ” L’idée est toujours que (i) la partie “infectée” puisse être biffée sans autre modification, (ii) que la phrase subsistante conserve un sens même sans les éléments biffés, et (iii) que la finalité initiale de la phrase subsistante soit préservée, c’est-à-dire ne change pas de sens. Si ces conditions ne sont pas réunies, en particulier si l’opération ne peut pas être réalisée par un simple “trait de feutre”, il ne s’agit plus d’une “division” mais d’une “réduction/modification salvatrice” ” (§ 88 et s.).
En mettant en œuvre le critère de la divisibilité en droit de la consommation, la Cour de cassation rejoint les dernières tendances du droit commun des contrats. Par un arrêt du 6 février 20204, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi censuré une cour d’appel qui avait réputé non écrite dans son entier une clause d’indexation en tant qu’elle stipulait une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision. La cassation est intervenue car la clause d’indexation n’engendrait une distorsion prohibée que lors de la première révision.

Notes de bas de page

  1. Cass. soc., 20 févr. 2013, n° 11-17941, D ; Cass. soc., 21 oct. 2020, n° 19-18928, D.[]
  2. CJUE, 26 mars 2019, nos C-70/17 et C-179-17, Abanca Corporacion Bancaria SA et Bankia SA[]
  3. ” Orientations relatives à l’interprétation et à l’application de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs “, communication de la Commission européenne, 22 juill. 2019, Bruxelles, C(2019)5325 final, p. 50 et 51.[]
  4. Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 18-24599, P : RTD civ. 2020, p. 373, note H. Barbier.[]

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