L’acquéreur d’un immeuble auquel des troubles du voisinage sont imputables, n’est pas fondé à appeler en garantie son vendeur

Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

1) « L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extracontractuelle qui, indépendamment de toute faute, permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit ». Une cour d’appel qui constate que le trouble subsistait après la vente du fonds à l’origine des désordres, en déduit exactement que la responsabilité des acquéreurs devait être retenue, peu important que les infiltrations aient commencé à se produire avant la vente.

2) « Dans les assurances “dégâts des eaux”, l’assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance ». Viole l’alinéa 1er de l’article L. 1245 du Code des assurances, la cour d’appel qui, pour écarter la garantie de l’assureur multirisques habitation, retient que l’origine des fuites sur le réseau constituant la cause génératrice du dommage est antérieure à la date de prise d’effet de l’assurance.

Cass. 3e civ., 16 mars 2022, no 18-23954, M. P. et Mme F. c/ SA Axa France Iard, Époux Z. et a., FS–B (cassation partielle CA Paris, 5 sept. 2018), Mme Teiller, prés. ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Rocheteau, Uzan-Sarrano et Goulet, SCP Bouzidi-Bouhanna, av. : RGDA avr. 2022, n° RGA200s2, note L. Mayaux

Mme Z était usufruitière d’un pavillon assuré par la société FILIA MAIF au titre d’une garantie multirisques habitation. Le 3 mars 2007, elle a déclaré à son assureur un dégât des eaux dans son pavillon. Elle en a imputé l’origine à des infiltrations provenant du pavillon voisin que M. et Mme F. avaient acquis des consorts G. deux mois avant la survenance du sinistre, par acte du 26 janvier 2007, et qui était assuré depuis cette date auprès de la société Axa France.

Agissant sur le fondement de la théorie des troubles du voisinage, Mme Z a fait assigner les propriétaires successifs du pavillon et la société Axa France, afin d’obtenir le paiement de dommages et intérêts, ainsi que la réalisation des travaux rendus nécessaires par les infiltrations.

M. et Mme F. ont appelé en garantie les consorts G.

La cour d’appel a déclaré M. et Mme F. responsables, sur le fondement de la théorie des troubles du voisinage, des désordres affectant le pavillon de Mme Z dans la proportion de 60 %, et a rejeté leur appel en garantie contre la société Axa France.

1. M. et Mme F. ont alors formé un pourvoi en cassation qui posait deux questions : la première portait sur l’identification du responsable en cas de vente du fonds à l’origine des troubles de voisinage ; la seconde question concernait la prise en charge du sinistre par l’assureur multirisques habitation de la victime.

De ce que « la responsabilité d’un trouble anormal de voisinage est une responsabilité autonome détachée de toute faute »1, la Cour de cassation a déduit par le passé que le poids de la dette pèse sur le propriétaire actuel de l’immeuble au moment où les dommages apparaissent sur le fonds voisin2. Il importe peu qu’il n’en ait pas été le propriétaire à l’époque de la réalisation du dommage ou n’en soit pas l’auteur. C’est ainsi que le syndicat des copropriétaires doit, en sa qualité de propriétaire du fonds d’où proviennent des inconvénients anormaux, répondre de ce dommage, quand bien même celui-ci serait le fait personnel de certains copropriétaires – qui n’ont pu être identifiés – dans l’usage des parties de l’immeuble qui leur seraient privatives3.

Par analogie avec la solution retenue en cas d’empiètement sur la propriété voisine4, la Cour de cassation a donc admis que la réparation des troubles du voisinage s’analyse en une obligation propter rem qui est transmise aux propriétaires successifs du fonds à l’origine des dommages5.

Mais la responsabilité du propriétaire actuel n’est pas exclusive de celle du vendeur en sa qualité d’auteur direct des travaux à l’origine des troubles. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 28 mars 20136, a ainsi admis que le maître de l’ouvrage devait répondre des troubles anormaux de voisinage imputables aux travaux de construction d’un immeuble, alors même qu’il en avait cédé la propriété.

Dans la présente espèce, l’acquéreur en déduisait, au soutien de son pourvoi, que le vendeur devait assumer une part du dommage causé par l’immeuble avant qu’il n’en cède la propriété. La troisième chambre civile de la Cour de cassation rejette une telle argumentation. Après avoir rappelé que l’action fondée sur un trouble anormal de voisinage est indépendante de toute faute et qu’elle permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit, la Cour de cassation a considéré que la responsabilité des propriétaires actuels du bien devait être retenue du seul fait que le trouble subsistait après la vente, « peu important qu’ils n’aient pas été propriétaires de ce fonds au moment où les infiltrations avaient commencé à se produire ».

La Cour de cassation exclut ainsi d’imputer une part de responsabilité aux anciens propriétaires de l’immeuble dont provient le trouble de voisinage. Il est vrai qu’aucun arrêt n’avait jamais admis de retenir in solidum la responsabilité de ses propriétaires successifs. Si la persistance des troubles justifie de retenir la condamnation du propriétaire actuel de l’immeuble, l’arrêt n’en est pas moins surprenant en tant qu’il décharge de toute responsabilité l’ancien propriétaire auquel une partie des troubles est pourtant imputable.

Si la Cour de cassation prive le propriétaire actuel du droit d’exercer une action récursoire contre son vendeur sur un fondement personnel, il en va autrement de l’action exercée sur un fondement subrogatoire, lorsque, ayant payé en lieu et place du débiteur final, il se trouve subrogé dans les droits de la victime. Dans une telle hypothèse, le demandeur à l’action récursoire ne fait qu’exercer l’action qui appartenait déjà à la victime, et il lui est donc loisible d’exercer contre l’ancien propriétaire de l’immeuble à l’origine des troubles, l’action fondée sur les troubles du voisinage que la Cour de cassation lui avait déjà reconnue dans l’arrêt précité du 28 mars 2013.

2. Le litige concernait, en second lieu, l’application de l’article L. 124-5 du Code des assurances qui prévoit que « la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation ». La question se posait de savoir si le fait dommageable à l’origine des désordres subis par M. et Mme F. relevait du champ d’application temporel du contrat multirisques habitation à effet au 26 janvier 2007. Pour écarter la garantie de l’assureur, la cour d’appel s’est attachée à la date de survenance du défaut d’étanchéité des réseaux d’eau qui constituait la cause des infiltrations, antérieurement à la date de prise d’effet du contrat d’assurance.

Une telle motivation aboutit à ce paradoxe que l’assureur peut se prévaloir de l’antériorité de l’origine du trouble pour échapper à sa responsabilité, tandis que le propriétaire actuel ne peut en tirer argument pour faire supporter une part de responsabilité à son auteur. Elle pouvait cependant s’autoriser d’une jurisprudence bien établie qui définit le fait dommageable comme l’événement qui est la cause génératrice du dommage et qui est donc distinct de la manifestation du dommage, comme le prévoit l’article L. 124-1-1 du Code des assurances7.

Cette motivation est néanmoins censurée par la Cour de cassation qui rappelle, au visa de l’article L. 124-5 du Code des assurances, que « dans les assurances “dégâts des eaux”, l’assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance ».

Ce faisant, la Cour de cassation s’inspire des solutions retenues en matière d’assurances de responsabilité civile couvrant ce type de dommage. Antérieurement à l’entrée en vigueur de l’article L. 124-5 du Code des assurances, la Cour avait posé en principe que, dans les assurances dégâts des eaux, l’assureur est tenu à garantie dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat, le sinistre « dégât des eaux » se définissant comme l’apparition dudit dégât8.

Notes de bas de page

  1 – Cass. 2e civ., 28 mars 2013, n° 12-13917, D.

  2 – Cass. 3e civ., 11 mai 2000, n° 98-18249 : Bull. civ. III, n° 106 ; RDI 2000, p. 313, obs. M. Bruschi ; D. 2001, p. 2231, obs. P. Jourdain ; G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, Les régimes spéciaux et l’assurance de responsabilité, 4e éd., 2017, LGDJ, p. 229, n° 183.

  3 – Cass. 3e civ., 24 janv. 1973, n° 72-10585 : Bull. civ. III, n° 78.

  4 – Cass. 3e civ., 16 déc. 1998, n° 96-14760 : Bull. civ. III, n° 252.

  5 – D. 2001, p. 2231, note P. Jourdain.

  6 – Cass. 2e civ., 28 mars 2013, n° 12-13917, D.

  7 – Cass. 3e civ., 12 oct. 2017, n° 16-19657 : Bull. civ. III, n° 114.

  8 – Cass. 1re civ., 30 janv. 1996, n° 93-20085 : Bull. civ. I, n° 46 – Cass. 1re civ., 7 mai 2002, n° 98-18168, D.

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