Manquement à l’obligation de mise en garde et charge probatoire pesant sur la caution

Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d’éléments comptables sur l’activité prévisionnelle de l’emprunteur ne dispense pas la caution d’établir qu’à la date à laquelle son engagement a été souscrit, il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, lequel résultait de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.

Cass. com., 9 mars 2022, no 20-16277, M. Y c/ CRCAM de Paris et d’Île-de-France, F–B (rejet pourvoi c/ CA Versailles, 14 janv. 2020), M. Mollard, f. f. prés. ; SCP Thouin-Palat et Boucard et SCP Yves et Blaise Capron, av. : LEDB mai 2022, n° DBA200t2, obs. M. Mignot ; GPL 19 avr. 2022, n° GPL434s9, note C. Albiges

Rappel. Par cet arrêt, la chambre commerciale rappelle la caution à son obligation probatoire lorsqu’elle invoque le manquement du banquier à son devoir de mise en garde à son égard. Il lui revient d’établir qu’au moment où son engagement a été souscrit, il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, lequel résultait de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La caution ne peut s’en décharger, même en présence de circonstances particulières, tel l’octroi d’un crédit de démarrage, pour lequel, par définition, il est difficile de déterminer la bonne santé financière de l’entreprise à financer, ou encore en raison de la légèreté de la banque qui s’est abstenue de toute vérification à cet égard.

Faits et procédure. Les faits de l’espèce méritent d’être rappelés. Une banque avait consenti le 2 juillet 2015 un prêt de « démarrage » à une société, sans lui demander de comptes prévisionnels ni d’ailleurs aucun autre document qui aurait attesté du sérieux du projet d’activité nouvellement créé. Dans le même acte, le président et associé majoritaire de cette société s’était porté caution des engagements de celle-ci. Dès le 15 mars 2016, la société a été mise en liquidation judiciaire. La banque a déclaré sa créance et, le mois suivant, a actionné la caution. Reconventionnellement, la caution a invoqué le manquement de la banque à son devoir de mise en garde, notamment parce que le prêt avait été accordé à la société emprunteuse, sans que la banque n’ait procédé à la moindre vérification concernant la viabilité de l’activité. Le tribunal de commerce de Pontoise a néanmoins condamné la caution à honorer ses engagements. En appel, la cour de Versailles a, par arrêt du 14 janvier 2020, confirmé le jugement.

La caution a formé un pourvoi qui posait notamment la question de la charge de la preuve du risque d’endettement excessif de l’emprunteur principal lorsque celui-ci démarre son activité et que la banque n’a procédé à aucune vérification du sérieux du projet d’entreprise.

Par un attendu de principe, la chambre commerciale a rejeté le pourvoi dans les termes suivants : « Pour établir que le banquier dispensateur de crédit était tenu, à son égard, d’un devoir de mise en garde, la caution non avertie doit établir qu’à la date à laquelle son engagement a été souscrit, celui-ci n’était pas adapté à ses capacités financières ou qu’il existait un risque d’endettement né de l’octroi du prêt, lequel résultait de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur. La circonstance que la banque a octroyé le prêt sans disposer d’éléments comptables sur l’activité prévisionnelle de l’emprunteur ne dispense pas la caution d’établir l’inadaptation de ce prêt aux capacités financières de l’emprunteur. »

Cet arrêt a le mérite de rappeler la répartition de la charge probatoire en matière de responsabilité du banquier pour manquement à son devoir de mise en garde, laquelle charge de la preuve ne peut être allégée, même en présence de circonstances particulières qui auraient pu justifier un devoir de se renseigner à la charge du banquier dispensateur de crédit.

Charge probatoire complète de premier rang de la caution : existence du devoir de mise en garde du banquier. Le devoir de mise en garde qui pèse sur le banquier et se distingue de ses devoirs d’information et de conseil a été consacré depuis près de 20 ans, par un arrêt de 20051. Il a été codifié depuis au nouvel article 2299 du Code civil2, à la demande des praticiens et de divers auteurs en raison de son importance, le devoir de mise en garde constituant le premier moyen de défense des cautions3.

L’étendue de ce devoir a été élargie puisque, désormais, toutes les cautions personnes physiques en sont créancières, peu important leur caractère averti ou non, ce qui fait des dirigeants-cautions les grands bénéficiaires de cette réforme4, tout en mettant fin à l’important contentieux suscité par la définition de ce qu’est une caution avertie.

Du côté de la sanction, celle-ci consiste désormais en une déchéance du banquier de son droit à poursuivre la caution, dans la mesure cependant du préjudice subi par celle-ci. Si ce changement permet à la caution d’user du non-respect du devoir de mise en garde comme un moyen de défense imprescriptible, il s’agit cependant toujours d’appréhender le manquement du banquier, même s’il ne l’est plus sous l’angle de la responsabilité civile5.

En outre, le devoir de mise en garde n’est dorénavant dû par le banquier qu’en cas d’inadaptation du crédit aux capacités de financement de l’emprunteur principal. La caution qui aurait souscrit un engagement disproportionné à ses propres capacités ne bénéficie donc plus que des dispositions du nouvel article 2300 du Code civil, soit d’une réduction de son engagement à hauteur de ses facultés au jour de la souscription du cautionnement6.

Mais la réforme n’a rien changé à la répartition de la charge de la preuve : c’est à la caution de démontrer préalablement que le crédit accordé était inadapté aux capacités financières de l’emprunteur (et/ou, avant la réforme, aux siennes)7, ce qui établit l’existence du devoir de mise en garde du banquier, à charge ensuite pour celui-ci d’établir qu’il y a satisfait8. La solution est classique et ancienne, même si un arrêt isolé avait donné à penser qu’il incombait au juge de rechercher lui-même si le crédit accordé était risqué ou non9. L’arrêt commenté se situe dans la droite ligne de cette jurisprudence classique, sauf à réaffirmer, à l’instar d’une jurisprudence ancienne, qu’aucune circonstance particulière n’impose à la banque une obligation de se renseigner.

Aucune circonstance particulière n’est de nature à alléger la charge probatoire de la caution. Pendant un temps, la jurisprudence semblait avancer que pesait sur le banquier une obligation particulière de se renseigner, au moins lorsque le crédit était octroyé dans des circonstances particulières, tel le démarrage d’une activité nouvelle.

Un devoir de se renseigner, soit de solliciter des documents comptables prévisionnels, avait ainsi été consacré par la jurisprudence dans de telles occurrences10. Cette obligation du banquier faisait dès lors partie intégrante de son devoir de mise en garde11, et la preuve de l’inadaptation du crédit découlait du simple manquement du banquier, ce qui, sans aboutir à un renversement de la charge de la preuve, en facilitait grandement l’administration pour l’emprunteur ou la caution. La doctrine avait pu en déduire que, d’une manière générale, le banquier dispensateur de crédit « a un devoir préalable de se renseigner. Il doit être en mesure de rapporter la preuve de ses diligences »12.

La Cour de cassation a effectivement jugé qu’un établissement de crédit pouvait être dispensé de son devoir de mise en garde lorsqu’il avait obtenu de l’emprunteur, préalablement à l’octroi du prêt, une étude relative à l’acquisition de l’exploitation comportant divers documents prévisionnels13. Un tempérament a cependant été très vite apporté à cette rigueur : dès lors que le banquier s’est renseigné, il n’est pas tenu de vérifier la véracité des informations qui lui sont données par l’emprunteur, sauf anomalie apparente14.

Puis la Cour de cassation a décidé que le banquier n’avait pas l’obligation de se renseigner s’il faisait remplir par la caution une fiche patrimoniale15. Plus, elle a affirmé que le banquier n’avait pas à s’enquérir de la situation financière de la caution qui ne lui a fourni aucun élément patrimonial16.

Mais finalement, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence relative aux sociétés nouvellement créées17, en rappelant qu’il incombe aux cautions seules d’établir le risque d’endettement excessif, peu important que la banque n’ait pas été en mesure de présenter de documents prévisionnels relatifs à l’activité future de l’emprunteur. L’arrêt commenté se situe dans le sillage de cette jurisprudence : la preuve de l’inadaptation du crédit ou du cautionnement pèse sur la caution, peu important que la banque ait octroyé le crédit de démarrage sans disposer du moindre élément comptable relatif à l’activité prévisionnelle de l’emprunteur. Exit donc le devoir de se renseigner du banquier, au moins en tant que facteur d’allègement de la charge probatoire de la caution.

Notes de bas de page

  1 – Cass. 1re civ., 12 juill. 2005, n° 03-10921 : JCP E 2005, 1359, obs. D. Legeais.

  2 – Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés, entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

  3 – D. Legeais, « Le devoir de mise en garde de la caution : de la consécration jurisprudentielle à la consécration légale », RD bancaire et fin. 2022, dossier 5.

  4 – D. Legeais, « Le devoir de mise en garde de la caution : de la consécration jurisprudentielle à la consécration légale », RD bancaire et fin. 2022, dossier 5.

  5 – D. Legeais, « Le devoir de mise en garde de la caution : de la consécration jurisprudentielle à la consécration légale », RD bancaire et fin. 2022, dossier 5.

  6 – P. Simler, « Réforme du cautionnement », JCP G 2021, 30003 (n° hors-série).

  7 – Cass. com., 5 févr. 2020, n° 18-21444 ; Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-23462 ; Cass. com., 4 juin 2014, n° 13-10975 ; Cass. com., 13 mai 2014, n° 13-13843 ; Cass. com., 19 avr. 2005, n° 03-14533 ; v. sur cette question, R. Routier, « Mise en garde : la preuve du risque d’endettement excessif n’incombe pas au banquier ! », LEDB mars 2016, n° 41, p. 3.

  8 – Cass. com., 22 mars 2016, n° 14-20216 : A.-S. Barthez, « Cautionnement – devoir de mise en garde », RDC mars 2017, n° 113z6.

  9 – Cass. 1re civ., 17 déc. 2015, n° 14-29022 : J. Lasserre-Capdeville, « Charge de la preuve du risque d’endettement », LEDB févr. 2016, n° 29, p. 6.

  10 – Cass. com., 11 avr. 2012, n° 10-25904 : D. Legeais, « Devoir de mise en garde envers une caution non avertie », RD bancaire et fin. 2012, comm. 83 ; v. aussi, R. Routier, « Société nouvellement créée : responsabilité du banquier pour octroi d’un crédit inapproprié », BJS juill. 2012, n° 303, p. 548.

  11 – Cass. com., 11 avr. 2012, n° 10-25904 et les références citées en note 23 ; v. aussi L. Dumoulin, « Manquement au devoir de mise en garde lié au défaut d’information par le banquier dans le cadre de l’octroi d’un crédit de démarrage », JCP E et A 2012, 1646, spéc. n° 43.

  12 – D. Legeais, « La responsabilité bancaire pour fourniture de crédit », RD bancaire et fin. 2014, étude 24.

  13 – Cass. com., 15 nov. 2017, n° 16-16424 : S. Moreil, « Un rappel sur les conditions du devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit », GPL 27 févr. 2018, n° GPL314w0.

  14 – Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-15118 : D. Legeais, « Portée du devoir de se renseigner du banquier », RD bancaire et fin 2018, comm. 30 – Cass. 1re civ., 24 mars 2021, n° 19-21254.

  15 – Cass. com., 19 mai 2021, n° 19-20568.

  16 – Cass. com., 15 mai 2019, n° 18-12457.

  17 – Cass. com., 26 janv. 2016, n° 14-23462.

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