Sanction démolition

Nullité du CCMI, sanction de la démolition et contrôle de proportionnalité

La Cour de cassation s’efforce de clarifier les conséquences de l’annulation du contrat de construction de maison individuelle par l’arrêt du 22 novembre 2018 objet du présent commentaire. Tout en confirmant que la démolition n’est plus de droit mais qu’elle relève désormais d’un contrôle de proportionnalité dont le bien-fondé prête encore à discussion, la Cour de cassation se prononce sur l’étendue des restitutions réciproques en cas de rejet de la demande de démolition.

Cass. 3e civ., 22 nov. 2018, no 17-12537, ECLI:FR:CCASS:2018:C301008, M. X c/ Me Y ès qual. liq. jud. Sté K., PBI (rejet pourvoi c/ CA Nîmes, 8 déc. 2016), M. Chauvin, prés. ; Me Carbonnier, Me Le Prado, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, av.

L’annulation du contrat de construction de maison individuelle (CCMI) a donné lieu à une évolution de jurisprudence remarquable depuis six ans. Après avoir énoncé, par un arrêt du 26 juin 2013 1, que le constructeur est tenu de remettre le terrain en l’état à ses frais sans indemnité, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a décidé, le 15 octobre 2015, que la démolition ne constitue pas pour le maître de l’ouvrage un droit inconditionnel, mais qu’elle est soumise à un contrôle de proportionnalité. Ainsi a-t-elle censuré une cour d’appel qui avait ordonné la démolition de la maison sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la démolition de l’ouvrage « constituait une sanction proportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités qui l’affectaient » 2. Bien des questions restaient en suspens à l’issue de cet arrêt, qu’il s’agisse du fondement du contrôle de proportionnalité, de l’étendue du contrôle opéré par la Cour de cassation 3, de la restitution du prix par le constructeur en cas de rejet de la demande de démolition ou de l’exercice par le maître de l’ouvrage d’un recours indemnitaire.

Poursuivant son effort de clarification, la Cour de cassation répond à certaines de ces questions par un nouvel arrêt du 22 novembre 2018 4 dont l’importance est soulignée par une double publication au Bulletin ainsi que sur le site internet de la Cour de cassation. Un bref rappel des circonstances de l’espèce permettra d’en apprécier le bien-fondé et la portée.

Un maître de l’ouvrage avait confié en 2007 à une entreprise de travaux, la construction d’une maison individuelle. Après interruption des travaux, le constructeur a fait assigner en référé le maître de l’ouvrage, en vue d’obtenir le paiement d’une provision sur la créance correspondant à la partie des travaux réalisée et non réglée. Désigné à la demande du maître de l’ouvrage, l’expert a constaté que les désordres consistaient, en particulier, en une erreur d’implantation de l’angle du bâtiment. Il a évalué le montant total des travaux à la somme de 280 313 €, soit 89,5 % du gros œuvre, tandis que les malfaçons à reprendre s’élevaient à la somme de 27 695 €.

Placé en liquidation judiciaire, le constructeur a fait assigner en paiement et réparation le maître de l’ouvrage qui lui a opposé que les contrats devaient être requalifiés en contrat de construction de maison individuelle sans fourniture de plans et en a demandé la résiliation aux torts exclusifs du constructeur, pour défaut de souscription d’une garantie de livraison par ce dernier, conformément à l’article L. 232-1, g) du Code de la construction et de l’habitation (CCH).

Le tribunal de grande instance d’Avignon, par jugement du 1er septembre 2015, a donné gain de cause au maître de l’ouvrage. Il a requalifié les contrats signés entre les parties en CCMI sans fourniture de plan, et résilié les contrats aux torts exclusifs de l’entreprise de travaux. Il a condamné le maître de l’ouvrage à payer à l’entrepreneur, représenté par son liquidateur judiciaire, la somme de 172 520,46 € représentant le coût des travaux réalisés.

Relevant appel de ce jugement, le maître de l’ouvrage a soutenu, pour la première fois, que le contrat de construction de maison individuelle était nul pour avoir été conclu en violation des dispositions précitées de l’article L. 232-1, g, du CCH. En conséquence de l’annulation du CCMI, il a sollicité la remise en état du terrain, alors qu’il avait pris lui-même l’initiative de faire achever l’ouvrage. L’entreprise de travaux lui a opposé que la démolition serait disproportionnée à la gravité des désordres et des non-conformités.

Annulant le contrat de construction de maison individuelle, la cour d’appel de Nîmes, par arrêt du 8 décembre 2016, a débouté le maître de l’ouvrage de sa demande de démolition qui constituait une sanction disproportionnée au regard des travaux réalisés et aujourd’hui quasiment achevés, ainsi que de la gravité des désordres. Il l’a également condamné à payer au liquidateur de l’entreprise de travaux, la somme de 172 520,46 € représentant le coût de la construction réalisée, sous déduction des malfaçons et moins-values et des sommes déjà versées.

Au soutien du pourvoi formé contre cet arrêt, le maître de l’ouvrage a présenté un moyen unique de cassation divisé en deux branches. Tirant argument de l’arrêt précité du 26 juin 2013, le maître de l’ouvrage a fait valoir dans une première branche que la cour d’appel de Nîmes aurait privé sa décision de base légale au regard des articles L. 230-1 et L. 232-1 du CCH : elle aurait dû rechercher si l’erreur d’implantation à laquelle il ne pouvait plus être remédié ne justifiait pas d’ordonner la démolition de l’ouvrage sans indemnité pour le constructeur. Envisageant, dans une seconde branche du moyen de cassation, les conséquences du rejet de la demande de remise en état, le maître de l’ouvrage a prétendu que la cour d’appel aurait dû substituer à la mesure de démolition, une indemnisation réparant le préjudice constitué par l’obligation de conserver une maison présentant un défaut d’implantation auquel il ne pouvait plus être remédié. En refusant de réparer ce chef de préjudice, la cour d’appel de Nîmes aurait, selon le pourvoi, violé les articles L. 230-1 et L. 232-1 du CCH, ainsi que l’article 1304 du Code civil.

La Cour de cassation a écarté ce pourvoi par l’arrêt commenté. Exerçant un contrôle restreint de la motivation de la décision attaquée, elle approuve la cour d’appel d’avoir décidé que la démolition de l’ouvrage constituait une sanction disproportionnée au regard des désordres et de l’état d’avancement des travaux. Elle ajoute que le maître de l’ouvrage restait redevable, « par le jeu des restitutions réciproques, du coût de la construction réalisée, sous déduction des malfaçons et moins-values et des sommes déjà versées », sans qu’il puisse être reproché à la juridiction du second degré d’avoir omis de statuer sur les conséquences indemnitaires d’un défaut d’implantation dont elle n’avait pas été saisie par le maître de l’ouvrage, en l’état de la mesure de démolition « seule expressément formulée » devant elle.

Cette importante décision présente un double intérêt : d’une part, elle confirme que la démolition n’est plus de droit mais qu’elle relève désormais d’un contrôle de proportionnalité (I) dont le bien-fondé prête encore à discussion (II) ; d’autre part, elle se prononce sur l’étendue des restitutions réciproques en cas de rejet de la demande de démolition (III).

I – Le principe du contrôle de proportionnalité

Jusqu’à l’arrêt précité du 15 octobre 2015 auquel la Cour de cassation attache elle-même, dans son Rapport annuel, « une grande portée symbolique », la remise en état du terrain intervenait de plein droit : le juge était tenu de l’ordonner lorsqu’elle lui était demandée 5 du seul fait qu’il avait annulé le CCMI. La démolition de l’ouvrage était justifiée par l’effet rétroactif de l’annulation, qui avait été élevé au rang de principe général du droit 6 dans le silence du Code civil, avant que la réforme du droit des obligations n’y introduise un nouvel article 1178 prévoyant, au deuxième alinéa, que « le contrat annulé est censé n’avoir jamais existé ».

« Conséquence nécessaire de la nullité » 7, le retour au statu quo ante justifiait donc que les parties soient remises dans l’état dans lequel elles se seraient trouvées si le contrat n’avait jamais existé. Le terrain devait revenir à sa configuration initiale, de sorte que le constructeur devait démolir l’ouvrage. La démolition était ainsi regardée par la Cour de cassation dans son Rapport annuel comme une « simple application des règles relatives aux effets de la nullité du contrat ».

Certains en ont pourtant douté. Plutôt que de retenir une conception large des restitutions dans le but d’effacer la totalité des « traces laissées par l’exécution du contrat », Mme Durand-Pasquier 8 avait proposé de cantonner les effets de la nullité aux seules restitutions des « prestations fournies par chacune » des parties 9. Aussi la construction d’une maison individuelle ne peut-elle être regardée comme une prestation que le constructeur a reçue du maître de l’ouvrage et qu’il serait tenu de lui restituer, en conséquence de l’annulation du CCMI. Il serait donc préférable d’analyser la remise en état comme une forme de réparation en nature sanctionnant la faute commise par le constructeur pour avoir conclu le CCMI en violation d’une règle relevant d’un ordre public de protection. La démolition de l’ouvrage viendrait ainsi le dédommager du préjudice qu’il subit, dès lors qu’il doit conserver une construction sans pouvoir bénéficier de la garantie de livraison, ni de la protection de l’assurance-construction.

Pour sa part, la Cour de cassation s’est inquiétée des conséquences économiques de l’arrêt du 26 juin 2013 qui sanctionne doublement le constructeur pour avoir violé une règle relevant d’un ordre public de protection. Il supporte ainsi les frais de la démolition, sans pouvoir percevoir le coût des travaux qu’il a réalisés. Il subit la même peine dans l’hypothèse où le contrat est non pas annulé mais résilié à ses torts pour défaut de fourniture de la garantie lors de la signature du CCMI et lors du versement d’un acompte, en violation de l’article L. 232-1, g, du Code de la construction et de l’habitation 10.

Une telle sévérité était certes justifiée par l’intention du législateur qui, en créant le contrat de construction de maison individuelle, poursuivait le double objectif d’améliorer substantiellement la protection du consommateur et d’établir, au bénéfice des constructeurs, des règles claires susceptibles de mettre fin à des phénomènes de concurrence déloyale.

Si la Cour de cassation a voulu éviter que le maître de l’ouvrage ne soit dissuadé d’agir contre le constructeur, elle a craint qu’il ne tire prétexte d’une nullité intrinsèque du CCMI pour se soustraire au paiement des dernières situations, en demandant la démolition de la maison, alors que les travaux étaient quasiment terminés et que la maison était habitable. Parce que de telles manœuvres ne devaient pas prospérer, la Cour de cassation a soumis à un contrôle de proportionnalité la sanction de la démolition qui perd son automaticité lorsque le constructeur s’y oppose 11.

Loin de s’en remettre au pouvoir souverain des juges du fond, la Cour de cassation exerce, dans l’arrêt du 22 novembre 2018, un contrôle restreint qui l’a conduit à vérifier que les juges du fond avaient bien mis en balance les intérêts en présence, sans pouvoir les substituer en raison des contraintes inhérentes au débat de cassation. Après avoir rappelé l’étendue des désordres et l’état d’avancement du chantier, à l’examen des énonciations souveraines de l’arrêt, la Cour de cassation en a conclu que la cour d’appel « a pu en déduire que la mesure de remise en état des lieux (…) constituerait une sanction disproportionnée, au regard des travaux réalisés, et aujourd’hui quasiment achevés, et de la gravité des désordres » 12. L’emploi par la Cour de cassation de l’expression « a pu » est bien la manifestation tangible d’un contrôle dit restreint ou léger, « ce qui signifie que, pour l’application du texte en cause, la Cour de cassation laisse au juge du fond, une assez large liberté d’appréciation. De la sorte, le “a pu” signifie que les juges du fond ont fait une application correcte de la loi, mais qu’ils auraient pu en décider autrement, au terme d’une approche différente de l’espèce sans encourir pour autant la cassation de leur décision » 13.

En demeurant ainsi en retrait, la Cour de cassation ne prend pas parti sur le fondement même d’un tel contrôle de proportionnalité, qui donne pourtant lieu à d’intenses débats doctrinaux.

II – Le fondement du contrôle de proportionnalité

Par le présent arrêt du 22 novembre 2018, la Cour de cassation se nourrit de la réflexion collective engagée en son sein à l’initiative de son premier président 14, depuis qu’elle a écarté d’office une loi claire et précise, par un arrêt du 4 décembre 2013, au motif que son application au cas d’espèce porterait excessivement atteinte aux droits et libertés de l’une des parties au litige. Il s’agissait dans cette affaire de l’application de l’article 161 du Code civil prohibant le mariage entre alliés. Les juges du fond furent ainsi censurés pour avoir prononcé la nullité du mariage célébré sans opposition et ayant uni pendant plus de vingt ans le beau-père avec sa bru, alors qu’une telle annulation constituerait « une ingérence injustifiée dans l’exercice du droit au respect dû à la vie privée » 15.

Ce contrôle implique de procéder à l’examen complet et concret du cas d’espèce pour s’assurer que l’atteinte « portée à l’un des droits garantis par la Convention poursuit un but d’intérêt légitime et qu’il existe un rapport raisonnable et de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » 16. La Cour de cassation en fait une application modérée en droit immobilier 17, si ce n’est dans les deux arrêts précités du 15 octobre 2015 et du 22 novembre 2018.

Il en est ainsi de la mise en conformité des lieux ou des ouvrages, la démolition de ces derniers ou la réaffectation du sol prévues à l’article L. 480-5 du Code de l’urbanisme. La chambre criminelle de la Cour de cassation a posé, en principe, que pour ordonner la remise en état des lieux, le juge doit répondre, en fonction des impératifs d’intérêt général poursuivis par la législation, aux chefs péremptoires des conclusions selon lesquels une telle mesure porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale 18. De même, la Cour de cassation a ouvert la voie au contrôle de proportionnalité des mesures de remise en état ordonnées en référé au regard du droit fondamental au respect de la vie privée et familiale et du domicile 19. Si elle avait laissé au juge des référés, dans un premier temps, le pouvoir de décider souverainement des mesures de nature à mettre fin au trouble ou à prévenir le dommage 20, elle a corrigé sa jurisprudence par quatre arrêts récents où les droits garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme avaient été invoqués, pour contrebalancer l’atteinte portée à un droit de propriété ou à une réglementation d’urbanisme 21. Le contrôle de proportionnalité s’exerce sur le choix des mesures par le juge des référés, mais il ne permet pas de retirer un caractère illicite au trouble résultant de l’occupation sans droit ni titre de la propriété d’autrui 22. C’est une pareille erreur de raisonnement que la Cour de cassation a censurée dans un arrêt du 21 décembre 2017, en cassant un arrêt qui avait déduit de l’atteinte qu’une expulsion porterait à l’exercice, par des squatters, de leurs droits consacrés par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, que le trouble allégué était dépourvu de toute illicéité manifeste 23. De même, la Cour de cassation refuse d’exercer un contrôle de proportionnalité sur le droit absolu à faire démolir tout empiètement sur la propriété d’autrui, tant par référence aux dispositions de droit interne 24 qu’au regard de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’Homme 25 : si minime soit-il, l’empiètement donne au propriétaire le droit d’obtenir la démolition, même totale, de l’ouvrage débordant sur son fonds.

S’il résulte de ces précédents que l’existence d’une atteinte à un droit fondamental donne prise à un contrôle de proportionnalité qui apparaît ainsi comme le prolongement du contrôle de conventionalité, son fondement prête à discussion dans les circonstances de l’espèce, lorsqu’aucun droit fondamental n’est en cause, comme c’était le cas dans les arrêts du 15 octobre 2015 ou du 22 novembre 2018 qui ne visent pas une disposition de la Convention européenne des droits de l’Homme. Certains se sont émus que le juge puisse ainsi écarter l’une des conséquences de la nullité, « au motif qu’elle n’est pas conforme à la proportionnalité telle qu’il se la représente, c’est-à-dire par rapport à ce qui lui paraît équitable », sans le soutien d’une disposition législative l’habilitant à exercer un tel contrôle 26, ni des principes régissant l’exercice des sanctions contractuelles.

Le juge dispose certes d’une certaine latitude en matière de responsabilité pour statuer sur les modalités de réparation du dommage 27 : les juges du fond sont souverains pour choisir entre l’allocation d’une indemnité ou une mesure imposant au responsable un acte ou une abstention 28. Mais il en va autrement de l’exécution forcée du contrat, en l’état du droit antérieur au nouvel article 1221 du Code civil issu de la réforme du droit des obligations, qui s’oppose désormais à l’exécution en nature « s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». Refusant pour sa part d’exercer un contrôle de proportionnalité sans le support d’un texte, la Cour de cassation avait considéré, par un arrêt du 11 mai 2005 29, au visa de l’article 1184 du Code civil, que la démolition de l’ouvrage et sa reconstruction étaient justifiées par la seule constatation d’une insuffisance altimétrique de 0,33 cm par rapport aux prévisions du contrat. Conséquence de la primauté de l’exécution en nature, la démolition et la reconstruction de l’ouvrage constituent ainsi pour le maître de l’ouvrage, à l’inverse de la réparation en nature, un « droit inconditionnel » 30 qu’il exerce même en cas de coût exorbitant, sous la seule réserve que ces mesures constituent le seul moyen d’obtenir un ouvrage conforme aux prévisions du contrat 31 et qu’elles soient encore possibles 32.

Il n’est pas davantage tenu compte du contrôle de proportionnalité dans le nouveau régime des restitutions 33 qui ne prend en considération que les fruits, les intérêts et la valeur de jouissance, ainsi que la bonne ou mauvaise foi des parties, aux termes des articles 1352 et suivants du Code civil issus de la réforme du droit des obligations. Le contrôle de proportionnalité vient perturber cet ordonnancement : « la prise en compte de l’exigence de proportionnalité serait toutefois paradoxale, à l’heure où les textes nouveaux visent justement à atteindre un meilleur équilibre dans leur jeu. (…) Il ne faudrait pas dynamiter ce nouvel équilibre en faisant appel à une notion aux contours et aux effets encore mal maîtrisés. Ne soyons pas, en matière de restitutions, plus royalistes que le roi » 34. Il serait tout aussi hasardeux d’étendre, par analogie aux restitutions, les dispositions de l’article 1121 du Code civil qui sont spécifiques à l’exécution en nature du contrat et qui leur sont donc radicalement étrangères. Sans doute l’arrêt du 22 novembre 2018 pourrait-il s’harmoniser avec les nouvelles dispositions du Code civil régissant les restitutions, en considérant la remise en état non plus comme une voie de restitution mais comme une hypothèse de réparation relevant de la responsabilité civile, comme le proposent certains 35. Plutôt que d’exercer un contrôle de proportionnalité qui ne trouve son fondement dans aucun texte, les juges du fond seraient ainsi amenés à moduler les formes de la réparation.

III – Les conséquences de l’annulation du CCMI

Une fois admis le rejet de la demande de remise en état, la Cour de cassation devait encore se prononcer, dans l’arrêt du 22 novembre 2018, sur le sort de la seconde branche du moyen de cassation qui était présentée à titre subsidiaire. Le pourvoi l’invitait à juger que la cour d’appel, à défaut d’avoir ordonné la démolition de l’ouvrage, devait lui « substituer une indemnisation laquelle devait non seulement englober le coût des travaux de reprise et les moins-values, mais également l’obligation de conserver une maison qui, en l’occurrence, présentait un défaut d’implantation ». Pareille argumentation est sèchement écartée par la Cour de cassation qui oppose au maître de l’ouvrage que la cour d’appel n’était pas saisie d’une demande en paiement de dommages et intérêts, la demande de remise en état « étant seule expressément formulée ».

À la supposer formée, une demande indemnitaire aurait-elle prospéré ? On peut en douter. Subordonnée à la preuve que l’annulation n’a pas assuré l’entière réparation du préjudice causé par la conclusion d’un contrat illicite 36, l’action en responsabilité permet seulement au maître de l’ouvrage d’obtenir réparation du préjudice causé par la conclusion d’un contrat illicite : il ne peut pas prétendre à la réparation de la perte du bénéfice escompté ou du manque à gagner, mais seulement du dommage occasionné par sa conclusion, c’est-à-dire des pertes subies 37. La raison en est qu’en optant pour la nullité du CCMI, le maître de l’ouvrage a renoncé à se prévaloir des conséquences dommageables d’une mauvaise exécution contractuelle, telles que le non-respect du délai de livraison initialement convenu 38 ou l’impossibilité d’occuper la maison à compter de la date contractuelle de livraison et de payer des loyers indus 39. L’action en responsabilité était donc bien aléatoire, au cas particulier.

La Cour de cassation s’est encore prononcée in fine sur le sort des restitutions qui, on l’a dit, sont les conséquences nécessaires de la nullité du contrat, et qui peuvent donc être ordonnées d’office par le juge, dans le silence des parties, ou bien faire l’objet d’une nouvelle instance 40, sans que le principe de concentration des moyens ne s’y oppose 41.

S’appropriant les énonciations de l’arrêt attaqué, la Cour de cassation précise par un obiter dictum que le maître de l’ouvrage « restait redevable, par le jeu des restitutions réciproques, du coût de la construction réalisée, sous déduction des malfaçons et moins-values et des sommes déjà versées », ainsi que la cour d’appel de Nîmes en avait posé le principe. Le constructeur recouvre ainsi le droit de solliciter le coût des travaux réalisés dont il était privé par l’effet de la démolition, quand bien même il avait violé une règle d’ordre public. La solution n’est pas nouvelle, car la Cour de cassation avait déjà décidé que « le prononcé de la nullité pour violation des règles d’ordre public régissant le contrat de construction de maison individuelle était, en l’absence de démolition, sans effet sur le droit à restitution des sommes déboursées par le constructeur » 42.

L’évaluation des prestations soulève une difficulté car la cour d’appel de Nîmes, pour en déterminer le montant, a repris purement et simplement les montants retenus par l’expert judiciaire, à une date où le constructeur réclamait le paiement des travaux en exécution des contrats dont l’annulation n’était pas encore demandée par le maître de l’ouvrage. Cela étant, le pourvoi ne pouvait pas reprocher à la cour d’appel d’avoir évalué les prestations par référence à un contrat annulé. Ce moyen n’ayant pas été invoqué en appel, il ne pouvait pas être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation. Sans doute sera-t-elle amenée, lorsque l’occasion se présentera, à faire application des principes qu’elle avait dégagés en cas d’annulation du contrat de sous-traitance 43. Doit ainsi être versé non le prix convenu au contrat qui a été annulé 44, mais la contre-valeur de la prestation que le constructeur a effectivement réalisée, soit le coût réel des travaux réalisés, sans tenir compte de leur qualité, ni de la valeur de l’ouvrage 45. Le coût des travaux doit être apprécié au jour du contrat 46. Mais la règle a été modifiée à la suite de la réforme du droit des obligations : le nouvel article 1352 du Code civil prévoit que la valeur de la chose est estimée au jour de la restitution.

De la contre-valeur de la prestation, la Cour de cassation prescrit d’en déduire, par le jeu de la compensation, non seulement les diverses sommes que le constructeur a reçues du maître de l’ouvrage et dont il lui doit restitution selon le principe du nominalisme monétaire, mais encore les malfaçons et les moins-values.

Cette dernière affirmation prête à discussion. On comprend que le constructeur ne puisse obtenir restitution des moins-values lorsqu’elles ne sont pas imputables au maître de l’ouvrage : elles se seraient pareillement produites si la chose était restée dans le patrimoine du constructeur, compte tenu de son état initial 47. Mais il en va autrement des moins-values qui sont imputables au maître de l’ouvrage. Le nouvel article 1352-1 du Code civil met les dégradations et détériorations à la charge du restituant lorsqu’elles sont dues à sa faute, même s’il est de bonne foi. Lorsqu’elles sont dues à un cas fortuit, il n’en est tenu que s’il a reçu la chose de mauvaise foi 48.

En cas de rejet de la demande de remise en état, le régime des restitutions ne plaide donc pas en faveur de l’exercice d’une action en nullité par le maître de l’ouvrage.

D’une part, il devra payer l’immeuble tout en étant privé des garanties décennales et de parfait achèvement auxquelles le constructeur est tenu contractuellement.

D’autre part, il renonce à se plaindre d’une mauvaise exécution contractuelle, en conséquence de l’annulation d’un contrat, de sorte qu’il ne peut plus obtenir réparation que des préjudices causés par la nullité du contrat de construction de maison individuelle, alors que l’action en résolution qui lui était également ouverte pour défaut de fourniture de la garantie, lors de la signature du CCMI, en violation de l’article L. 232-1, g, du CCH 49, lui aurait permis de faire sanctionner l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat, et de solliciter l’indemnisation des préjudices qu’elle lui a causés. Son changement de stratégie en cause d’appel s’est donc retourné contre lui.

Notes de bas de page

  1. Cass. 3e civ., 26 juin 2013, n° 12-18121 : Bull. civ. III, n° 83 ; RDI 2013, p. 474, obs. Garcia F. ; RDC 2013, p. 315, obs. Laithier Y.-M. ; Adde sur les conséquences de la nullité du CCMI, Vennetier A. et Garcia F., « Le nouveau régime de la nullité du contrat de construction de maison individuelle », RDI 2014, p. 144 ; Durand-Pasquier G., « De quelques réflexions sur les prestations dues par le constructeur suite à l’annulation d’un contrat de construction de maison individuelle », Constr. et urb. 2014, n° 28.[]
  2. Cass. 3e civ., 15 oct. 2015, n° 14-23612 : Bull. civ. III, n° 97 ; RDI 2016, p. 27, obs. Tomasin D. ; RTD civ. 2016, p. 140, obs. Gautier P.-Y. ; RTD civ. 2016, p. 107, obs. Barbier H. ; D. 2015, p. 2423, obs. Dubois C. ; RDC 2016, n° 113f9, p. 214, obs. Stoffel-Munck P. ; JCP G 2016, 86, spéc. n° 3, obs. Béhar-Touchais M.[]
  3. Béhar-Touchais M., JCP G 2016, 86, spéc. n° 3.[]
  4. Cass. 3e civ., 22 nov. 2018, n° 17-12537, PB.[]
  5. Cass. 3e civ., 21 janv. 2016, n° 14-26085 : Bull. civ. III, n° 13.[]
  6. Cass. 1re civ., 4 avr. 2001, n° 99-11488 : Bull. civ. I, n° 103.[]
  7. Cass. 1re civ., 11 juin 2002, n° 00-15297 : Bull. civ. I, n° 163.[]
  8. Durand-Pasquier G., « De quelques réflexions sur les prestations dues par le constructeur suite à l’annulation d’un contrat de construction de maison individuelle », Const. et urb. 2004, n° 28.[]
  9. Cass. 1re civ., 10 déc. 2014, n° 13-23903 : Bull. civ. I, n° 206 ; RTD civ. 2015, p. 869, obs. Barbier H.[]
  10. Cass. 3e civ., 12 févr. 2014, n° 12-28902 : Bull. civ. III, n° 19.[]
  11. Dans l’hypothèse inverse où il ne conteste pas cette mesure, le juge est tenu de l’ordonner sans que le constructeur puisse percevoir le coût des travaux réalisés (Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-14748, D).[]
  12. En ajoutant incidemment que le maître de l’ouvrage ne pouvait solliciter la démolition de l’ouvrage qu’il « avait pris l’initiative de faire achever », la Cour de cassation stigmatise ce revirement subit qui caractérise sa mauvaise foi. Le contrôle de proportionnalité procède alors d’une exigence de cohérence qui était déjà sanctionnée sur le terrain de la loyauté contractuelle et qui participe d’un mouvement de moralisation des sanctions contractuelles.[]
  13. Droit et pratique de la cassation en matière civile, 3e éd., 2012, LexisNexis, n° 1015, p. 397.[]
  14. Louvel B., « Ouverture de la conférence débat du 24 novembre 2015 : regards d’universitaires sur la réforme de la Cour de cassation », JCP G 201[]
  15. Cass. 1re civ., 4 déc. 2013, n° 12-26066 : Bull. civ. I, n° 234.[]
  16. Vigneau V., « Propos introductifs », in Le juge judiciaire face au contrôle de proportionnalité, Agresti J.-P. (dir.), 2018, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p. 11 et s.[]
  17. Sturlèse B., « Le contrôle de proportionnalité en droit immobilier : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ! », in Le juge judiciaire face au contrôle de proportionnalité, Agresti J.-P. (dir.), 2018, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p. 125 et s. ; Le rôle normatif de la Cour de cassation, 2018, Étude annuelle, Cour de cassation, p. 314 et s.[]
  18. Cass. crim., 31 janv. 2017, n° 16-82945 : Bull. crim. n° 26 – Cass. crim., 4 avr. 2018, n° 17-81083, D : RDI 2018, p. 336, obs. Roujou de Boubée G.[]
  19. Mme le conseiller Meano A.-L., « Chronique de la Cour de cassation », D. 2016, p. 1028.[]
  20. Cass. soc., 18 févr. 2014, n° 13-10294 : Bull. civ. V, n° 55 – Cass. 2e civ., 15 nov. 2007, n° 07-12304 : Bull. civ. II, n° 255.[]
  21. Cass. 1re civ., 30 sept. 2015, n° 14-16273 : Bull. civ. I, n° 241 – Cass. 3e civ., 22 oct. 2015, n° 14-11776 : Bull. civ. III, n° 102 – Cass. 3e civ., 17 déc. 2015, n° 14-22095 : Bull. civ. III, n° 138 – Cass. 3e civ., 21 janv. 2016, n° 15-10566 : Bull. civ. III, n° 14 ; Adde Cayrol N., « Le contrôle de la proportionnalité des mesures conservatoires et de remise en état ordonnées en référé », RTD civ. 2016, p. 449.[]
  22. Cass. 3e civ., 20 janv. 2010, n° 08-16088 : Bull. civ. III, n° 19.[]
  23. Cass. 3e civ., 21 déc. 2017, n° 16-25469, PBI : D. 2018, p. 1328, obs. Mme le conseiller Méano A.-L.[]
  24. Cass. 3e civ., 10 nov. 2016, n° 15-19561 : Bull. civ. III, n° 154.[]
  25. Cass. 3e civ., 21 déc. 2017, n° 16-25406, PB.[]
  26. Malinvaud P., « Le principe de proportionnalité et le droit de la construction », RDI 2016, p. 437 ; Gautier P.-Y., « La balance des intérêts au secours de l’entrepreneur : pas de démolition de l’ouvrage mal construit, en application d’un contrat nul », RTD civ. 2016, p. 140 ; Chénédé F., « Contre-révolution tranquille à la Cour de cassation ? », D. 2016, p. 796.[]
  27. Jourdain P., « Appréciation des modalités de réparation du dommage : le champ de la liberté des juges du fond », RTD civ. 2018, p. 923.[]
  28. Cass. 3e civ., 16 juin 2015, n° 14-12548, D ; Adde Viney G., Jourdain P. et Carval S., Les effets de la responsabilité, 4e éd., 2017, LGDJ, p. 121, n° 91 et la jurisprudence citée.[]
  29. Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21136 : Bull. civ. III, n° 103.[]
  30. Genicon T., « Droit inconditionnel du créancier à l’exécution en nature (même en cas de coût exorbitant) vs appréciation judiciaire de l’opportunité de la réparation en nature », RDC 2015, n° 112s3, p. 839.[]
  31. Cass. 3e civ., 22 oct. 2008, n° 07-16739, D ; Cass. 3e civ., 16 juin 2015, n° 14-14612, D.[]
  32. Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n° 17-12906, D : RDI 2018, p. 398, obs. Malinvaud P. ; Charbonneau C., « Défaut d’implantation de l’ouvrage, entre droit spécial et droit commun », RDI 2016, p. 253.[]
  33. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 917 et s.[]
  34. Seube J.-B., « Le juge et les restitutions », RDC 2016, n° 113f1, p. 411 et s.[]
  35. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 924, note n° 19.[]
  36. Cass. com., 12 juill. 2011, n° 10-19297, D ; Cass. 3e civ., 26 juin 2013, n° 12-18121 : Bull. civ. III, n° 83.[]
  37. Cass. 3e civ., 9 juill. 2013, n° 12-13327, D.[]
  38. Cass. 3e civ., 30 mars 2011, nos 10-13457 et 10-13854 : Bull. civ. III, n° 53 – Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-14748, D.[]
  39. Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-14748.[]
  40. Deshayes O., Genicon T. et Laithier Y.-M., Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, 2e éd., 2018, LexisNexis, p. 919, note n° 6 et la jurisprudence citée.[]
  41. Barbier H., « La théorie des restitutions en bonne forme ! Préservée de l’enrichissement sans cause et de la concentration des moyens », RTD civ. 2015, p. 869.[]
  42. Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 14-11582 : Bull. civ. III, n° 74 ; RTD civ. 2015, p. 869, obs. Barbier H.[]
  43. Charbonneau C., « Les restitutions consécutives à la nullité du contrat de sous-traitance », RDI 2015, p. 20.[]
  44. Cass. 3e civ., 25 juin 2013, n° 09-16553, D.[]
  45. Cass. 3e civ., 13 sept. 2006, n° 05-11533 : Bull. civ. III, n° 175.[]
  46. Cass. com., 14 juin 2005, n° 03-12339 : Bull. civ. IV, n° 130.[]
  47. Guelfucci-Thibierge C., Nullités, restitutions et responsabilité, Thèse, 1992, LGDJ, p. 468, n° 817.[]
  48. Terré F., Simler P., Lequette Y. et Chénédé F., Les obligations, 12e éd., 2018, n° 1813, p. 1888.[]
  49. Cass. 3e civ., 12 févr. 2014, n° 12-28902 : Bull. civ. III, n° 19.[]

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