Ouverture d’un PEA : cantonnement des obligations du banquier

Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

« L’article 1er du décret n° 92-797 du 17 août 1992 dispose que l’ouverture d’un PEA fait l’objet d’un contrat écrit et que ce contrat informe le souscripteur qu’il ne peut être ouvert qu’un plan par contribuable ou par chacun des époux soumis à une imposition commune. Il en résulte que la seule obligation qui pèse sur la banque à cet égard est de proposer aux souscripteurs un contrat comportant la mention précitée. »

Cass. com., 9 févr. 2022, no 20-16471, M. O.  c/ Sté BNP Paribas, FS–B (rejet pourvoi c/ CA Paris, 26 févr. 2020), Mme Mouillard, prés. ; SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, av. : LEDB avr. 2022, n° DBA200q9, obs. N. Mathey

Devoir d’information limité. Par cet arrêt, la Cour de cassation limite le devoir d’information du banquier en matière de prestation de services d’investissement, dans le cadre de l’ouverture d’un plan d’épargne en actions (PEA) et des obligations fiscales qui en résultent. Le prestataire de services d’investissement (PSI) n’étant pas le conseiller fiscal de son client – du moins tant qu’il ne prête pas activement son concours à une opération immobilière de défiscalisation poursuivie comme telle1 –, il n’est pas tenu de mettre en garde son client, même profane, contre les implications fiscales de l’ouverture d’un PEA. Son seul devoir à cet égard est d’insérer, dans la convention d’ouverture de compte, un rappel à la loi, ainsi que le prescrit l’article 1er du décret du 17 août 19922. Logiquement, sur le terrain de la preuve, il incombe alors au client qui prétend que ce rappel à la loi – qui ne constitue pas une « information » dont le banquier serait débiteur à son égard – ne lui a pas été prodigué, de le prouver par la production de la convention d’ouverture de compte.

Faits et procédure. En l’espèce, l’administration fiscale avait notifié à M. B. une proposition de rectification portant sur le bénéfice de l’exonération de l’imposition sur la plus-value réalisée sur la cession, en 2008, de titres inscrits dans un PEA ouvert en 2001 ; l’administration fiscale soutenait que M. B. était privé du bénéfice de l’exonération fiscale attachée à la souscription d’un PEA pour en avoir souscrit un second auprès d’une autre banque.

Le client a reproché à cette seconde banque d’avoir omis de l’informer de l’interdiction faite à un particulier de détenir plus d’un PEA. Concrètement, le client reprochait donc au PSI un déficit d’information en matière fiscale.

Le tribunal de grande instance de Paris a accueilli la demande et condamné la banque à indemniser son client à hauteur de 100 000 €. La cour d’appel de Paris a, par un arrêt du 26 février 2020, infirmé le jugement et débouté M. B. de ses demandes. Les juges du second degré ont retenu, en substance, qu’il incombait au client de démontrer la défaillance de la banque, que l’interdiction de posséder un PEA résulte de l’article 163 quinquies D du Code général des impôts dans sa version alors applicable, que nul n’est censé ignorer la loi, que M. B. ne produisant pas la convention d’ouverture de PEA litigieuse, il ne prouvait pas la défaillance de la banque, et qu’il résultait en outre des circonstances factuelles du dossier, relevées par l’administration fiscale, que le contribuable n’ignorait pas qu’il n’avait pas le droit d’ouvrir un second PEA.

Rejet. M. B. a formé un pourvoi en cassation qui a été rejeté par la chambre commerciale dans l’arrêt sous commentaire. Dans un attendu de principe, la haute juridiction pose que « l’article 1er du décret n° 92-797 du 17 août 1992 dispose que l’ouverture d’un PEA fait l’objet d’un contrat écrit et que ce contrat informe le souscripteur qu’il ne peut être ouvert qu’un plan par contribuable ou par chacun des époux soumis à une imposition commune. Il en résulte que la seule obligation qui pèse sur la banque à cet égard est de proposer aux souscripteurs un contrat comportant la mention précitée ». Puis la Cour de cassation approuve la cour d’appel pour avoir jugé qu’il incombait à M. B. de démontrer la défaillance qu’il invoquait à l’encontre de la banque, qu’il ne rapportait pas cette preuve, alors que le PSI produisait aux débats un exemplaire d’une convention d’ouverture de PEA contemporaine, certes conclue avec un autre client mais comportant la mention prétendument manquante.

Cet arrêt apporte deux enseignements, le second procédant logiquement du premier : l’interdiction fiscale de posséder plus d’un PEA n’entraîne pour le banquier aucune obligation d’information, mais lui impose règlementairement un simple rappel à la loi inséré dans la convention d’ouverture de compte. Il incombe donc au client qui prétend qu’une telle mention était absente dans sa convention d’ouverture de PEA, de l’établir.

Interdiction de souscrire plus d’un PEA : un simple rappel à la loi par le PSI. L’on sait que, traditionnellement, l’obligation d’information qui pèse sur le banquier est particulièrement étendue et se double, en matière de prestations de services d’investissement, d’un devoir de mise en garde des investisseurs profanes. Ce devoir de mise en garde n’est cependant opérant qu’en matière d’opérations spéculatives, ce que ne recouvrent en principe pas les PEA qui absorbent des investissements classiques sur les marchés au comptant dont les risques, liés à la variabilité imprévisible des marchés financiers, sont connus de tous les épargnants3.

Il reste néanmoins que le PSI doit informer et conseiller utilement ses clients candidats à l’ouverture d’un PEA, obligation à laquelle il ne satisfait pas en se bornant à leur remettre de simples documents descriptifs4.

En effet le PSI est bien débiteur d’informations à l’égard de son client, tant sur les caractéristiques de l’opération que sur le fonctionnement du compte. La Cour de cassation a ainsi jugé que le banquier est tenu d’informer son client de ce que, si le solde du compte associé au plan d’épargne en actions ne permet pas de financer un ordre d’acquisition d’actions, celui-ci sera exécuté sur son compte de dépôt5. Effectivement, l’ouverture d’un PEA repose sur deux comptes bancaires étroitement liés : le compte de titres, alimenté en actions acquises par le titulaire du PEA, et le compte monétaire qui comporte les liquidités nécessaires à l’acquisition d’actions et qui a aussi vocation à recevoir le produit des cessions d’actions6.

En revanche, les implications fiscales de l’ouverture d’un PEA – et c’est l’enseignement de l’arrêt – n’entrent pas dans le champ de l’obligation d’information du banquier. En effet, pour la Cour de cassation, le devoir d’information du banquier ne saurait porter sur la législation fiscale à laquelle le produit distribué est soumis7. En l’occurrence, cette législation résulte de l’article 163 quinquies D du Code général des impôts dans sa version alors applicable. L’article 1er du décret n° 92-797 du 17 août 1992 imposait alors à la banque de mentionner, dans la convention d’ouverture du PEA, l’interdiction d’en posséder plus d’un. Cette règle a été reprise à l’identique par l’article D. 221-113-1 du Code monétaire et financier.

L’adage « nul n’est censé ignorer la loi » est-il, comme il a pu être avancé8, au cœur de la solution dégagée par la Cour de cassation et justifie-t-il « la conception minimaliste du devoir d’information du banquier »9 qui aurait ainsi été dégagée par elle ? Il est permis d’en douter. Cet adage suranné mais dont la Cour de cassation fait parfois une application rigoureuse10, correspond, on le sait, à une véritable fiction, notamment en matière fiscale, même si le Conseil constitutionnel veille à l’intelligibilité de la loi. L’adage avait bien été soulevé dans le moyen de cassation et le rapporteur en a examiné les implications, mais plutôt pour en restreindre les contours. Et la Cour de cassation, dans son attendu de principe, s’est bien gardée d’y faire allusion, alors qu’elle a pu le faire par le passé11.

Plus certainement, l’interdiction de posséder plus d’un PEA a été exclue du devoir d’information du banquier, non parce que nul n’est censé ignorer la loi, mais parce qu’un rappel de cette règle fiscale a déjà été prévu réglementairement comme devant être inséré dans la convention d’ouverture. Dès lors que le banquier satisfait à ce rappel formel de la réglementation, il a rempli ses obligations et n’est débiteur d’aucune autre information à ce titre. Autrement dit, si la réglementation a déjà aménagé les modalités d’information du souscripteur, le banquier n’a qu’une obligation, celle de les respecter.

La preuve de la défaillance du banquier pèse sur le client. Dès lors – et c’est le second enseignement de l’arrêt –, puisque le client ne peut se plaindre d’un déficit d’informations en tant que tel, mais seulement d’une défaillance du banquier dans les mentions devant être insérées dans la convention d’ouverture du PEA, il en résulte logiquement qu’il lui appartient de l’établir. Le client ne peut en administrer la preuve qu’en produisant la convention dont il a reçu un exemplaire. Inversement, le banquier, sur qui le risque de la preuve ne pèse pas, peut néanmoins produire utilement une autre convention d’ouverture de PEA, même conclue avec un autre client, dès lors qu’elle est contemporaine de celle qu’il a passée avec son client.

La solution n’est pas nouvelle en matière de PEA. La Cour de cassation a en effet déjà eu l’occasion de juger, dans le cadre de la mise en jeu, par un souscripteur, de la responsabilité d’une banque à laquelle était reproché un déficit d’information relatif au défaut d’éligibilité d’un FCP aux fonds adossés à un PEA, qu’un tel grief ne relevait pas d’un déficit d’information mais, tout au plus, de la transmission éventuelle, par le banquier, d’une information erronée, qu’il incombait au souscripteur d’établir12. Effectivement, dès lors qu’un manquement est reproché au banquier et que cette défaillance est étrangère à une obligation légale ou contractuelle d’information pesant sur lui, il appartient au client de l’établir13.

Tel était bien le cas en l’espèce : invoquant une défaillance de la banque dans l’obligation formelle d’insérer dans la convention d’ouverture du PEA la mention réglementairement prescrite, le client devait l’établir. Ne le faisant pas, il ne pouvait que succomber dans sa prétention.

Notes de bas de page

  1 – J. Lasserre-Capdeville, « Opérations de défiscalisation et responsabilité du banquier », RD bancaire et fin. 2017, dossier 22.

  2 – D. n° 92-797, 17 août 1992, fixant les modalités d’application de la loi n° 92-666 du 16 juillet 1992 relative au plan d’épargne en actions ainsi que les obligations déclaratives des contribuables et des intermédiaires.

  3 – D. Djoudi, « Obligation d’information et de conseil du banquier – souscription d’un plan d’épargne en actions », RD bancaire et fin. 2012, comm. 58.

  4 – Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28800.

  5 – Cass. com., 4 mars 2008, n° 07-11790.

  6 – X. Delpech, « Devoir d’information du banquier et PEA », Dalloz actualité, 14 mars 2008.

  7 – X. Delpech, « Obligation d’information de la banque commercialisant un plan d’épargne en actions », Dalloz actualité, 7 mars 2022.

  8 – X. Delpech, « Obligation d’information de la banque commercialisant un plan d’épargne en actions », Dalloz actualité, 7 mars 2022.

  9 – X. Delpech, « Obligation d’information de la banque commercialisant un plan d’épargne en actions », Dalloz actualité, 7 mars 2022.

  10 – M. Véron, « Droit pénal et procédure pénale », JCP G 1996, 3950.

  11 – Cass. com., 26 mai 2009, n° 08-15115.

  12 – Cass. com., 8 avr. 2015, n° 14-10058.

  13 – J. Chacornac, « Des limites de l’activisme du banquier à l’égard du souscripteur d’un PEA : ni mal, ni trop peu… », JCP G 2015, 653.

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