Prescription de l’action en responsabilité de la caution contre la banque : point de départ et interruption

Auteur : Nicolas Boullez, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation

Lorsque la caution actionne la banque en responsabilité, le point de départ de la prescription se situe au jour de la présentation d’une mise en demeure, peu important que la caution appelée en garantie par la banque n’ait pas retiré la lettre recommandée et donc que la banque ne puisse présenter un accusé de réception. Par ailleurs, la procédure d’exécution forcée diligentée antérieurement par la banque à l’encontre de l’emprunteur a un effet interruptif de prescription à l’égard de la caution.

Cass. 1re civ., 11 janv. 2023, n° 21-23957, Caisse de Crédit Mutuel c/ Mme [N], F–B (CA Besançon, 7 sept. 2021 cassation), M. Chauvin, prés. ; SARL Le Prado – Gilbert, SCP Lyon-Caen et Thiriez, av. : LEDB mars 2023, n° DBA201i6, obs. M. Mignot

Rien en réalité de bien nouveau dans cet arrêt qui applique, concernant le point de départ de la prescription extinctive, des principes déjà connus à l’hypothèse de l’action en responsabilité pour disproportion de son engagement, intentée par la caution à l’encontre d’une banque dispensatrice de crédit. Concernant le point de départ de la prescription, il importe peu que la caution n’ait pas – intentionnellement, on l’imagine – retiré le pli recommandé de mise en demeure qui lui a été adressé par la banque. Un tel rappel est utile en matière de cautionnement, et c’est l’apport principal de l’arrêt qui rappelle, par ailleurs, que l’interruption de la prescription de l’action en paiement dirigée contre l’emprunteur principal s’étend à la caution.

Une banque avait consenti à une société civile deux prêts immobiliers garantis par le cautionnement solidaire d’une personne physique. La banque a prononcé la déchéance du terme pour défaut de paiement et obtenu la vente forcée de l’immeuble de l’emprunteur. Elle s’est ensuite retournée contre la caution et lui a envoyé, le 9 décembre 2009, un courrier recommandé de mise en demeure. Plusieurs années plus tard, le 15 juin 2015, elle lui a fait signifier un commandement aux fins de saisie-vente. Le 2 décembre 2016, la caution a assigné l’établissement de crédit pour voir reconnaître la caducité de son engagement et obtenir le paiement de dommages-intérêts réparateurs d’une prétendue disproportion du cautionnement. Reconventionnellement, la banque a réclamé le paiement des sommes qui lui étaient dues. En appel, les juges du fond ont, tout d’abord, déclaré recevable l’action en responsabilité engagée par la caution, dès lors que l’établissement de crédit n’avait pu produire d’accusé de réception signé par elle de la sommation du 9 décembre 2009. Ensuite, la cour d’appel a jugé la demande en paiement de la banque prescrite car si la caution avait opéré des paiements partiels, ceux-ci n’étaient pas intervenus pendant le délai de cinq ans suivant la sommation. Le délai avait donc expiré le 10 décembre 2014, sans que la banque ne puisse par ailleurs se prévaloir d’aucun acte interruptif utile.

L’établissement de crédit se pourvoit devant la haute juridiction : cassation sur deux moyens, l’une prononcée sur le point de départ de l’action en responsabilité pour disproportion du cautionnement intentée par la caution qui n’a pas retiré la lettre recommandée de sommation qui lui avait été adressée par la banque (1) ; l’autre sur le périmètre de l’effet interruptif de prescription de l’action en paiement diligentée par la banque contre le débiteur principal, à savoir l’emprunteur (2).

1. Par un attendu de principe prononcé au visa des articles 1139 et 2224 du Code civil, la Cour de cassation pose que « (…) le défaut de réception effective par la caution de la mise en demeure, adressée par lettre recommandée, n’affecte pas sa validité et (…) le point de départ de son action à l’encontre de la banque est fixé au jour où elle a su que les obligations résultant de son engagement allaient être mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, soit à compter de la mise en demeure qui lui a été adressée ». L’envoi d’une mise en demeure, même non réceptionnée par la caution, suffit donc pour interrompre la prescription. Classiquement, le point de départ de l’action en responsabilité de la caution contre la banque se prescrit par cinq ans à compter du jour de la mise en demeure adressée à elle par l’établissement de crédit, car ce courrier lui permet d’appréhender, au regard du montant récapitulé des sommes dues par l’emprunteur, une éventuelle disproportion de son engagement 1. Et la Cour régulatrice a déjà précisé, dans d’autres hypothèses, que le défaut de réception effective par le débiteur de la mise en demeure adressée par lettre recommandée n’affecte pas sa validité, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un acte contentieux 2.

Si la solution 3 est opportune en termes d’efficacité et permet à l’établissement de crédit de contourner l’écueil d’une caution qui « fait la morte » 4, elle n’est pas sans questionner. Bien sûr, la carence de la caution ne doit pas se retourner contre la banque créancière 5. D’un autre côté, l’article 1139 ancien exige une « interpellation suffisante », laquelle est douteuse en présence d’une lettre recommandée qui n’a jamais été lue par son destinataire, lequel n’a donc pas pu connaître le montant des sommes dues et la disproportion éventuelle de son engagement  6. En réalité, il ne faut pas confondre validité et efficacité de la lettre recommandée. En tant que mise en demeure, elle constitue un acte unilatéral réceptice, en sorte que sa communication au destinataire n’est pas une condition de sa validité, mais de son efficacité. Juridiquement, la solution dégagée par la Cour de cassation ne se conçoit donc que si l’on a recours à une fiction de réception de la lettre recommandée par la caution 7 : cette dernière aurait dû la retirer ; comme elle ne l’a pas fait, elle est présumée en connaître le contenu et être à même de faire valoir ses droits.

En tout cas, la solution est désormais bien établie, même si la Cour de cassation reste floue quant à la date effective du point de départ de la prescription : date de la lettre, celle de son envoi ou celle de sa présentation ? En toute logique, c’est cette dernière date qui devrait être retenue, car c’est à ce moment-là que la caution aurait dû connaître les faits pertinents.

2. L’article 2246 du Code civil pose que l’interpellation faite au débiteur principal interrompt le délai de prescription contre la caution. La jurisprudence conçoit de façon large cette extension, à la caution, de l’effet interruptif de la prescription à l’égard du débiteur principal. La Cour de cassation a ainsi récemment décidé d’étendre l’effet interruptif au donneur d’aval, malgré la généralité des termes de l’article L. 511-78, alinéa 5, du Code de commerce 8, le droit commun l’emportant pour une fois sur la règle spéciale. L’aval est, en effet, considéré comme une variante cambiaire du cautionnement 9. Un commandement de payer valant saisie immobilière signifié à l’emprunteur interrompt également la prescription à l’égard de la caution 10. Il en est de même d’un commandement à fin de saisie-vente non suivi d’un acte d’exécution 11. En outre, la déclaration de créance au passif du débiteur principal interrompt la prescription à l’égard de la caution 12, sans qu’une notification à cette dernière soit nécessaire 13. Et l’effet interruptif se poursuit, tant à l’égard du débiteur principal que de la caution, jusqu’à l’extinction de l’instance, ce qui s’entend, dans une procédure d’exécution, de la clôture de l’ordre ou de la distribution par contribution 14.

Dans l’arrêt commenté, le point qui faisait difficulté était que la caution avait opéré des paiements après le 10 décembre 2014, soit postérieurement à la date d’acquisition de la prescription à son profit. Ces paiements étaient donc en principe inopérants en présence d’un droit acquis, encore qu’il aurait pu être soutenu que la caution, en effectuant de tels versements, avait renoncé à se prévaloir de la prescription – ce qui supposait cependant que les versements aient été opérés en toute connaissance de cause 15. Mais la Cour régulatrice, dans l’arrêt commenté, vient rappeler que la procédure de vente forcée diligentée à l’encontre du débiteur principal constitue une cause légale d’interruption du délai de prescription à l’égard de la caution. La solution est sans surprise, mais son rappel est bienvenu 16.

Notes de bas de page

   1 –Cass. 1re civ., 5 janv. 2022, n° 20-17325 – v. aussi, Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-22830 – Cass. com., 13 déc. 2016, n° 14-28097.

   2 –Cass. 1re civ., 20 janv. 2021, n° 19-20680.

   3 –Qui avait déjà des précédents en d’autres matières : Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, n° 12-18034 – Cass. 2e civ., 1er déc. 2016, n° 15-27725.

   4 –R. Boffa, « Mise en demeure : double choc de simplification », D. 2022, p. 310.

   5 –C. Helaine, « De l’art d’une bonne gestion de la prescription en matière de cautionnement », D. Actu. 18 janv. 2023 ; v. aussi, G. Guerlain, « Mise en demeure d’exécuter l’obligation contractuelle : quel formalisme ? », LEDC mars 2021, n° DCO113t8.

   6 –C. Gijsbers, « Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité de la caution contre le créancier est la date de première présentation de la lettre recommandée, même si celle-ci n’est pas retirée… », RTD civ. 2023, p. 146 ; v. aussi, pour une critique de la solution, J.-D. Pellier, « Précisions sur le régime de la mise en demeure », Dalloz actualité., 11 févr. 2021.

   7 –M. Mignot, « Le point de départ du délai de la prescription de l’action de la caution en responsabilité du créancier », LEDB mars 2023, n° DBA201i6.

   8 –Cass. com., 25 janv. 2023, n° 21-16275 : C. Gijsbers, « L’interruption du délai de prescription contre le débiteur principal joue aussi à l’égard de la caution », D. 2023, p. 172.

   9 –P. Simler et P. Delebecque, Droit civil, Les sûretés, 7e éd., 2016, Dalloz, Précis Dalloz, p. 84, n° 91.

   10 –Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 18-25997.

   11 –Cass. 2e civ., 1er juin 2017, n° 16-17589.

   12 –V. par ex. Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-21953 : C. Hélaine, « De l’interruption de la prescription à l’égard du donneur d’aval », Dalloz actualité, 3 févr. 2023.

   13 –Cass. com., 10 févr. 2015, n° 13-21953.

   14 –Cass. 2e civ., 6 sept. 2018, n° 17-21337 – Cass. 2e civ., 1er mars 2018, n° 17-11238 – pour un effet interruptif jusqu’à la clôture de la procédure collective, Cass. com., 23 oct. 2019, n° 17-25656.

   15 –M. Mignot, « Le point de départ du délai de la prescription de l’action de la caution en responsabilité du créancier », LEDB mars 2023, n° DBA201i6.

   16 – D. Nemtchenko, « Précisions sur la prescription des actions réciproques entre créancier et caution », LEDC févr. 2023, n° DCO201i9

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