Procédure civile – Lettre n°19

L’essentiel

Dans le prolongement de notre Flash Info du 11 octobre 2022, la lettre d’actualité met à sa Une, l’avis rendu le même jour par la Cour de cassation, sur la compétence du conseiller de la mise en état (1).

En matière de procédure d’appel avec représentation obligatoire, la Cour de cassation rappelle la règle pour échapper à l’irrecevabilité des conclusions tardives (2), la nature de l’erreur manifeste (3) et impose toute la rigueur procédurale au défenseur syndical (4).

En matière de procédure d’appel sans représentation obligatoire, l’allègement du formalisme se maintient (5) et le droit à la collégialité est réaffirmé (6). Suit un rappel pédagogique en matière de notification des actes (7).

En matière du droit de l’avocat, le secret professionnel semble réaffirmé (8) et le droit commun s’introduit en matière de fixation judiciaire d’honoraires (9 et 10).

A LA UNE : LA COMPETENCE DU CONSEILLER DE LA MISE EN ETAT

1 – Le Conseiller de la mise en état (CME) ne statue pas sur les fins de non-recevoir tirées des demandes nouvelles et de la concentration des prétentions au fond

Civ. 2e, Avis 11 octobre 2022, n° 22-70.010

La Cour de cassation décide que le CME n’est pas compétent pour statuer sur l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel prévue à l’article 564 du code de procédure civile.

L’avis décide également que le CME n’est pas compétent pour statuer sur l’irrecevabilité résultant de l’application de l’article 910‑4 du code de procédure civile qui impose aux parties de concentrer leurs prétentions dès le premier jeu de leurs conclusions ; en d’autres termes le CME ne statue pas sur l’irrecevabilité d’une prétention nouvelle par rapport à celles contenues dans le premier jeu de conclusions.

Cet avis introduit une distinction entre d’une part les fins de non-recevoir relevant de l’appel, d’autre part les fins de non-recevoir touchant à la procédure d’appel, distinction qui n’est connue ni en droit positif, ni en doctrine. Pas certain que la solution soit heureuse car ce sera au praticien qu’il reviendra de déterminer la nature des fins de non-recevoir, cela impose prudence en saisissant le CME en cas de doute.

PROCEDURE D’APPEL AVEC REPRESENTATION OBLIGATOIRE

2 – Notification des conclusions et pièces après l’ordonnance de clôture : la demande de révocation s’impose pour échapper à l’irrecevabilité prononcée d’office

Civ. 2e, 8 décembre 2022, FS‑B, n° 21‑10.744

Il résulte de l’article 802 du code de procédure civile (CPC), interprété à la lumière de l’article 6, §1, de la CEDH, que des conclusions déposées après l’ordonnance de clôture ne peuvent être déclarées irrecevables lorsque leur auteur n’a pas été préalablement informé de la date à laquelle celle-ci devait être rendue.

Toutefois, énonce l’arrêt commenté, le juge n’est pas tenu de vérifier d’office que les parties ont été avisées de la date de l’ordonnance de clôture et il appartient donc à la partie qui, ayant remis ses conclusions après l’ordonnance de clôture, soutient ne pas avoir été préalablement avisée de la date de son prononcé, d’en solliciter la révocation.

En l’espèce, les dernières conclusions et pièces avaient été remises par RPVA le jour de la clôture à 9h59, après que l’ordonnance de clôture prononcée le même jour, ait été portée à la connaissance des parties par le RPVA à 8h49.

La cour d’appel en a pu exactement déduire que ces conclusions et pièces étaient irrecevables puisque déposées après l’ordonnance de clôture, dont la révocation n’avait pas été sollicitée.

3 – L’erreur manifeste sur la désignation d’une partie dans les conclusions d’appel n’entraîne pas la caducité de la déclaration d’appel

Civ. 2e, 29 septembre 2022, F‑B, n° 21‑16.220

Une erreur affectait la première page des conclusions d’appel : un assureur y était indiqué comme assurant une mauvaise personne morale. La cour d’appel a jugé caduque la déclaration d’appel.

La Cour de cassation casse l’arrêt en décidant au visa des articles 905-2 et 911 du code de procédure civile et 6 § 1 de la CEDH que l’erreur manifeste, affectant uniquement la première page des conclusions, en considération de l’objet du litige, tel que déterminé par les prétentions des parties devant les juges du fond, de la déclaration d’appel et du contenu des premières conclusions qui mentionnent l’exacte qualité de l’intimé, ne peut entraîner la caducité de la déclaration d’appel.

La solution est heureuse car les incidents de cette nature sont courants. Toutefois, comme toujours, le caractère manifeste de l’erreur ne doit faire de doute.

4 – Contentieux prud’hommal : rigueur procédurale y compris pour le défenseur syndical

Civ. 2e, 8 décembre 2022, FS‑B+R, n° 21‑16.186

Une cour d’appel avait constaté l’absence d’effet dévolutif de l’appel interjeté par le défenseur syndical et partant l’absence de saisine de la cour, faute de mention dans l’acte d’appel des chefs critiqués du jugement et faute de régularisation ultérieure par une nouvelle déclaration d’appel dans le délai ouvert à l’appelant pour conclure. Dans son moyen de cassation, le salarié faisait valoir que les règles de l’effet dévolutif de l’appel portaient atteinte à la substance du droit d’accès au juge au sens de l’article 6 § 1 de la CEDH, dès lors que l’appelant n’était pas représenté par un professionnel du droit.

La Cour de cassation écarte ce moyen et énonce que le défenseur syndical, que choisit l’appelant pour le représenter, s’il n’est pas un professionnel du droit, n’en est pas moins à même d’accomplir les formalités requises par la procédure d’appel avec représentation obligatoire, sans que la charge procédurale en résultant présente un caractère excessif de nature à porter atteinte au droit d’accès au juge.

Civ. 2e, 8 décembre 2022, FS‑B, n° 21‑16.487

Dans le même sens, la Cour de cassation retient que l’obligation impartie aux défenseurs syndicaux, en matière prud’homale, de remettre au greffe les actes de procédure, notamment les premières conclusions d’appelant, ou de les lui adresser par lettre recommandée avec AR (et donc à l’exclusion de la télécopie et du courriel), ne crée pas de rupture dans l’égalité des armes, dès lors qu’il n’en ressort aucun net désavantage au détriment des défenseurs syndicaux auxquels sont offerts, afin de pallier l’impossibilité de leur permettre de communiquer les actes de procédure par voie électronique, des moyens adaptés de remise de ces actes dans les délais requis.

PROCEDURE D’APPEL SANS REPRESENTATION OBLIGATOIRE

5 – L’effet dévolutif de la déclaration d’appel : confirmation de l’allègement du formalisme

Civ. 2e, 29 septembre 2022, FS‑B, n° 21‑23.456

Dans les procédures d’appel sans représentation obligatoire, et même lorsque la partie appelante a choisi d’être représentée par un avocat, la déclaration d’appel qui ne mentionne ni les chefs critiqués ni l’objet de l’appel, opère dévolution pour le tout.

Dans notre lettre d’actualité n° 2, nous avions mentionné l’arrêt du 9 septembre 2021 (n° 20‑13.662) qui cantonnait l’obligation de mentionner les chefs du jugement critiqués à la procédure avec représentation obligatoire au motif cette règle constituerait une charge procédurale excessive pour l’appelant non tenu d’être représenté par un professionnel du droit.

Le présent arrêt lève un doute : l’allègement du formalisme aura court même si l’appelant constitue un avocat.

6 – Le moment de la demande de la tenue d’une audience collégiale: jusqu’à l’audience sans égard à la déloyauté

Civ. 2e, 20 octobre 2022, F‑B, n° 20‑22.099

Pour la première fois, semble‑t‑il, la Cour de cassation indique que l’opposition des parties à la tenue de l’audience devant un juge rapporteur en vertu de l’article 945-1 du code de procédure civile peut être présentée le jour même de l’audience et qu’une partie ne peut être privée de son droit à ce que l’affaire l’opposant à son adversaire soit débattue contradictoirement en audience collégiale.

En l’espèce, la demande de renvoi en audience collégiale ne pouvait pas être rejeté au prétexte d’une part que les parties ont été avisées par ordonnance de fixation que l’affaire était inscrite au rôle d’une audience devant le magistrat rapporteur, d’autre part que l’appelante parfaitement avisée, n’a demandé le renvoi en audience collégiale qu’en réponse à la demande de l’intimée présentée lors de l’audience, d’écarter des débats les pièces et conclusions transmises la veille.

NOTIFICATION DES ACTES

7 – Nullité de l’assignation : la notification sur le lieu de travail compte !

Civ. 2e, 8 décembre 2022, F‑B, n° 21‑14.145

Cet arrêt offre l’occasion de rappeler des règles de base que le praticien doit toujours garder à l’esprit.

Selon les articles 654, 655 et 659, al. 1er, du code de procédure civile, lorsque l’huissier de justice n’a pu s’assurer de la réalité du domicile du destinataire de l’acte et que celui‑ci est absent, il n’est tenu de tenter une signification à personne sur son lieu de travail que lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.

Dans cette affaire, la cour d’appel avait rejeté la demande d’annulation de l’assignation en retenant que l’huissier avait constaté qu’aucune personne répondant à l’identification du destinataire de l’acte n’y a son domicile à l’adresse indiquée dans l’acte, que l’intéressé n’y demeure plus, que la boîte à lettres est pleine de courrier, que le voisinage m’indique que l’intéressé a quitté les lieux et qu’il ne figure pas sur les pages blanches de l’annuaire électronique sur internet. Censure inévitable : la cour d’appel aurait dû rechercher comme elle y avait été invitée, si le destinataire de l’acte avait un lieu de travail connu.

Autre enseignement de l’arrêt sur l’article 659, al. 2 et 3, qui prévoit que le jour de la signification ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec AR, une copie du procès‑verbal et de l’acte avec avis par lette simple de l’accomplissement de cette formalité. La Cour de cassation censure l’arrêt qui retient que le destinataire de l’acte n’a pu concevoir aucun grief sur la remise de l’assignation au sens de l’article 114 du code de procédure civile puisque que l’acte mentionne qu’une copie a été envoyée au destinataire par lettre recommandée AR, ainsi qu’un avis par lettre simple : la cour d’appel aurait dû rechercher si le dépôt de l’avis de passage et l’envoi de la lettre simple avaient été réceptionnés par leur destinataire.

DEONTOLOGIE ET HONORAIRES DE L’AVOCAT

8 – Le secret professionnel de l’avocat ne cède pas face aux droits de la défense d’une partie

Civ. 2e, 29 septembre 2022, F‑B, n° 21‑13.625

Dans cette affaire, le CME avait déclaré un appel irrecevable comme tardif ; l’enjeu pour l’appelante était de faire juger que faute de signification à avocat, la signification à partie était nulle (art. 678 CPC). Pour cela, elle avait un argument : l’avocat de l’intimé avait écrit à l’avocat de l’appelante qu’il avait eu communication du jugement, ce qui le dispensait d’avoir à le lui adresser, et qu’il l’informait qu’il allait lui faire signifier.

L’avocat de l’intimé produisit la correspondance couverte par le secret professionnel et la cour d’appel en tira parti pour dire que l’avocat de l’appelante avait le jugement en sa possession et qu’il était donc en mesure d’aviser sa cliente de la marche à suivre et des délais quant à un éventuel recours.

Cassation prononcée : l’avocat ne peut produire des pièces couvertes par le secret professionnel que sous réserve des strictes exigences de sa propre défense, en sorte que la cour d’appel aurait dû rechercher si la pièce produite par l’avocat de l’intimé était couverte par le secret professionnel et si sa production répondait aux strictes exigences de sa défense dans le cadre du litige l’opposant à l’appelante.

9 – La nullité de la convention d’honoraires pour vice de consentement peut être soulevé en fixation judiciaire

Civ. 2e, 27 octobre 2022, F‑B, n° 21‑12.028

La Cour de cassation rappelle que le Premier Président statuant en cause d’appel sur la fixation des honoraires d’un avocat a le pouvoir pour statuer sur les exceptions relatives à la validité de la convention d’honoraires, et partant peut examiner la nullité de la convention litigieuse pour vice du consentement.

10 – Dans le cadre de la fixation judiciaire, le caractère abusive des clauses peut être examiné

Civ. 2e, 27 octobre 2022, F‑B, n° 21‑10.739

Cette fois, la Cour de cassation rappelle que le Premier Président statuant en matière de fixation des honoraires de l’avocat doit examiner le caractère abusif des clauses des conventions d’honoraires lorsqu’un consommateur ou un non‑professionnel est partie au contrat.

Il faut bien le rappeler : les avocats sont concernés par la protection du consommateur contre les clauses abusives notamment dans les conventions d’honoraires qui permettent leur rémunération. Le déséquilibre significatif de l’article L. 212‑1 du code de la consommation est vite atteint, et avec lui la possibilité de réputer non écrites des stipulations contractuelles que l’avocat peut introduire pour s’arroger une prérogative unilatérale.

Nous renvoyons sur ces sujets à notre lettre d’actualité n°10 Droit et Déontologie de l’Avocat.

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